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Revue n° 44, 2002

En Inde, la plus grande école du monde, se distingue par sa philosophie fondée sur la tolérance et la paix

LUCKNOW, Inde — A peine sorti de l’université, Jagdish Gandhi savait, il y a près de quarante-deux ans, que son principal but dans la vie était de servir les autres. Et l’éducation des enfants lui paraissait être un bon moyen pour y arriver.

Il a alors emprunté environ 300 roupies (soit moins de 10 Euros), loué quelques locaux et fondé la City Montessori School dans cette capitale provinciale historique au Nord de l’Inde. La première classe comptait cinq élèves. M. Gandhi n’aurait jamais imaginé que cette école deviendrait un jour la plus grande école privée du monde, également connue pour son enseignement original sur la citoyenneté mondiale et la tolérance religieuse.

« On compte ici des centaines d’autres écoles », dit M. Gandhi, qui a aujourd’hui 66 ans et a fondé l’école en 1959 avec sa femme Bharti. « Nous ne pensions donc jamais devenir la plus grande école du monde, ni être aussi axés sur le mondialisme. »

Avec un effectif de 26 000 élèves allant de la maternelle au lycée, la City Montessori School est mentionnée dans le livre Guinness des Records comme l’école privée comptant le plus grand nombre d’élèves dans le monde.

Parents et enseignants avouent que ce chiffre élevé n’est dû ni au hasard ni au fait que les droits d’entrée soient très peu élevés ou que l’équipe sportive soit brillante. Ils attribuent plutôt l’attrait de l’école à deux facteurs : son excellent niveau scolaire et son programme original d’éducation morale.

En ce qui concerne le niveau scolaire, les élèves de l’école sont régulièrement classés parmi les premiers aux examens et obtiennent les premières places dans les prestigieuses universités indiennes.

Les parents affirment qu’ils ont également choisi d’envoyer leurs enfants dans cette école parce qu’elle donne aux élèves les moyens intellectuels, moraux et spirituels de réussir dans un monde de plus en plus globalisé dans lequel la capacité de vivre en harmonie avec les autres, quels que soient leur religion, leur groupe ethnique et leur nationalité, aura une importance primordiale.

Initiation au mondialisme

L’école ne dissimule aucunement cette mission annoncée dans sa brochure sous le thème : « relations internationales et initiation au mondialisme ». Par ailleurs, des banderoles et posters exposés dans les différents bâtiments de l’école affichent des slogans tels que « chaque enfant peut être la lumière du monde ». D’autres banderoles soulignent le principe du rapprochement entre les religions.

« Pourquoi un aussi grand nombre de parents envoient-ils leurs enfants dans cette école ? Parce qu’ils veulent leur bien », répond M. Gandhi. « Oui, ils veulent leur donner une bonne éducation et qu’ils obtiennent de bons résultats. Et c’est ce que nous faisons. Mais ils veulent aussi qu’on leur inculque de bons principes. Et c’est aussi ce que nous faisons. »

« Les parents savent également que leurs enfants baigneront dans une ambiance internationale », ajoute M. Gandhi, qui note que l’école organise des conférences internationales sur des thèmes aussi divers que la musique ou la culture, la robotique ou l’informatique, accueillant de nombreux visiteurs étrangers.

« Ici, les enfants s’imprègnent d’une idée, celle du mondialisme », poursuit-il. « Ils auront ainsi les moyens de changer le monde aux postes qu’ils occuperont. Je tiens à ce que nos diplômés soient des agents convaincus du changement social et qu’ils servent au mieux les intérêts de la communauté et de l’ensemble du monde. »

Techniquement parlant, l’école est plutôt un district scolaire avec une vingtaine d’annexes disséminées dans Lucknow. Chaque annexe compte environ 1 250 élèves et forme un petit campus autonome.

Certaines annexes ont été construites spécifiquement pour l’école et les infrastructures sont parmi les plus modernes des nombreuses écoles privées que compte Lucknow, voire l’Inde. En outre, par la qualité de leur construction et la conception architecturale d’ensemble, les campus ressemblent en réalité plus à une université qu’à une école élémentaire et secondaire.

Le programme couvre toutes les matières traditionnelles requises par les élèves pour passer les examens officiels, mais il met en plus l’accent sur l’éducation morale. Or, à l’école, cette matière recouvre en grande partie le concept de citoyenneté du monde et d’harmonie entre les religions.

La source des valeurs morales

Les valeurs morales qui sont enseignées par l’école s’inspirent des enseignements de la foi bahá’íe. Au début de leur vie commune, M. et Mme Gandhi étaient largement influencés par les idées philanthropiques du Mahatma Gandhi, influence qui a en partie amené M. Gandhi à fonder l’école. En 1974, M. et Mme Gandhi sont devenus bahá’ís.

Depuis, ils ont introduit les principes spirituels et sociaux de cette foi dans le programme moral et spirituel de l’école. Ce qui ne veut pas dire que l’école impose la foi bahá’íe à ses élèves. En réalité, elle cherche avant tout à défendre les valeurs enseignées par toutes les religions et à respecter les croyances des élèves et de leurs parents. L’école reflète la diversité religieuse présente à Lucknow qui compte 70 % d’hindous, 25 % de musulmans et 5 % de chrétiens et de sikhs.

« Nous respectons toutes les religions dans nos écoles », dit Bonita Joel, directrice de l’annexe d’Indira Nagar, elle-même chrétienne. « Il n’y a pas qu’une seule religion qui est enseignée ici. L’école est laïque mais nous apprenons à nos enfants à respecter chaque religion. »

Bonita Joel n’est pas la seule dans l’école à considérer que le pluralisme religieux que celle-ci défend est étroitement lié à l’accent qui est porté par l’école sur le mondialisme.

« Nous voulons faire tomber les étroites barrières nationales qui nous séparent et nous ouvrir à d’autres cultures et à d’autres nations », dit-elle. « Avec la mondialisation, nous estimons que les élèves ne peuvent plus se cantonner à leur voisinage, leur culture, ou leurs nations. Ils doivent s’ouvrir à l’humanité toute entière. »

Sadhna Choormani, directrice de l’annexe de Chowk, pense que l’importance donnée au mondialisme et à la tolérance religieuse contribue pour beaucoup à préparer ses élèves à réussir dans le monde moderne.

« Nos élèves n’ont aucune réticence à sortir ou à travailler avec les autres, quelles que soient leur religion ou leur origine », dit Sadhna Choormani, qui a 38 ans et est hindoue. « Ils acceptent les gens comme ils sont. Le sentiment de ne faire qu’un avec l’espèce humaine est profondément ancré en eux. »

Conséquence sur l’harmonie de la commune

Pour Sadhna Choormani, l’esprit de tolérance et d’unité prôné par l’école a contribué à faire régner un sentiment général d’harmonie dans la commune de Lucknow. En 1992, alors que des émeutes éclataient dans plusieurs centres urbains après la destruction par des fondamentalistes de la Mosquée Babri à Ayodhya, Lucknow a échappé à des troubles importants et elle passe généralement pour une ville pacifique.

« Avec des effectifs aussi nombreux et un tel degré de participation de la part des parents, l’école n’est certainement pas étrangère au sentiment d’harmonie que l’on ressent à Lucknow», dit encore Mme Chooramani.

Et elle ajoute : « Les habitants de Lucknow ont reconnu petit à petit que le principe d’unité de l’humanité était le seul moyen pour avancer vers l’harmonie et la paix et améliorer les conditions de vie. »

En 1992, Sadhna Choormani a organisé une réunion de quartier pendant la crise d’Ayodhya pour lancer un appel au calme. « J’ai dit qu’aucune religion n’enseignait ce type de violence.»

Pendant cette période, des réunions et des activités ont aussi été organisées par d’autres annexes et toute l’école a organisé une marche pour la paix. « Des centaines d’enfants ont défilé avec une banderole clamant que ‘Dieu est un et l’humanité est une’ », dit Mme Bharti Gandhi, directrice de l’école. « À cette époque, Lucknow n’a déploré aucun mort alors qu’ailleurs des hindous ont tué des musulmans et que des musulmans ont tué des hindous. »

La City Montessori School s’efforce de renforcer cet idéal non seulement dans son programme d’études mais aussi en organisant des conférences internationales. Plusieurs campus parmi les plus vastes accueillent des hôtels-dortoirs et des services de restauration qui permettent la tenue de telles manifestations à un coût relativement faible.

L’importance accordée par la City Montessori School à la paix et à la tolérance a été particulièrement appréciée par l’UNESCO qui a discerné à l’école, le 23 septembre 2002, son Prix de l’éducation pour la paix [Voir article sous le titre «La City Montessori School reçoit le Prix UNESCO ... » dans le même numéro].

Sur le plan éducatif, l’école cherche aussi à innover. Elle a adopté différentes méthodes de gestion, par exemple des « Cercles de qualité » qui encouragent l’innovation et l’affinement des idées. Elle dispose aussi d’un pavillon où 25 employés se consacrent entièrement à la recherche, au développement et à l’introduction de nouvelles méthodes d’enseignement dans le système et puisent leur inspiration aussi bien en Inde qu’à l’étranger.

Pour leur part, les parents sont heureux de l’orientation prise par l’école. « Beaucoup d’autres écoles donnent une bonne éducation, mais celle-ci va plus loin et apporte ce qu’il y a de mieux : bon niveau, développement personnel et des valeurs morales », dit Manoj Agrawal, ingénieur de 35 ans qui a deux enfants à l’école. « On tire ici le meilleur d’un enfant », ajoute sa femme Deepa. « On leur donne des opportunités de développement et les encouragements voulus ».

Les Agrawal et d’autres parents se félicitent également de l’importance que l’école attache aux bonnes relations entre parents et enseignants. Les enseignants sont tenus de rendre régulièrement visite aux parents et ceux-ci sont invités à jouer un rôle dans l’école. « Cela crée une sorte de lien entre l’enseignant et les parents », dit M. Agrawal.

Om Prakesh Patel, propriétaire terrien et agriculteur de 32 ans, originaire du district de Kaimur (Etat de Bihar) à quelque 390 km de l’école, avait tellement à cœur d’inscrire son fils à l’école qu’il a emménagé à Lucknow avec les parents de sa femme, ce qui est tout à fait contraire aux traditions. Avec sa femme, il a choisi l’école pour sa réputation, la coopération entre parents et enseignants et la priorité donnée à l’éducation morale.

« L’éducation morale est un plus », dit M. Patel dont le fils de 9 ans est inscrit à l’école depuis cinq années. « Nous sommes un pays laïque et la décentralisation progresse en Inde. Nous estimons donc que la société doit être plus tolérante sur le plan religieux. Et dans ce monde matérialiste l’éthique est très importante. »



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