Revue n° 30, 1997
Cambodge : un projet d’alphabétisation vise à promouvoir la paix et la liberté d’action
Le projet « De l’espoir pour le cœur » vise non seulement à apprendre la lecture et l’écriture mais aussi à inculquer les principes indispensables à l’édification d’une culture de la non-violence KANDAL KOHTOUCH, Cambodge — Un Sokhem et Chhear Sem sont comme presque toutes les jeunes filles de dix-huit ans du monde : un peu timides, elles baissent de prime abord les yeux devant un étranger, mais elles rient également facilement s’amusant de la moindre question ou remarque.
Cette heureuse nature ne les empêche pas d’avoir un sens élevé des responsabilités. Dans cette communauté pittoresque mais pauvre de riziculteurs, à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Phnom Penh, elles ont beaucoup à faire à la maison et pour leur famille, ce qui les empêche souvent d’aller à l’école.
« Bien sûr, je sais lire et écrire mais pas très bien » dit Mlle Un. « J’ai beaucoup de travail et il me reste peu de temps pour l’école. Chez nous, on manque de nourriture et, la plupart du temps je dois aller dans les champs de riz. »
Les deux jeunes filles viennent cependant de suivre des cours d’alphabétisation organisés dans leur village par la communauté bahá’íe du Cambodge. Elles reconnaissent que grâce à ces cours elles savent mieux lire et écrire et qu’elles ont appris à mieux connaître des principes moraux importants.
« J’ai l’impression de lire beaucoup mieux qu’avant » dit Mlle Chhear. « De plus, les cours m’ont aussi aidée dans ma vie. »
« Ces cours enseignent également les valeurs spirituelles et qu’il est important de mettre en équilibre l’harmonie dans la famille avec le principe d’égalité entre les hommes et les femmes » explique Mlle Chhear. « Il est sûr que je sais à présent comment réfléchir plus clairement » et elle ajoute qu’en privilégiant les valeurs elle se sent plus libre.
Sous un angle international, le projet est instructif en ce sens qu’il s’est développé sans beaucoup d’aide étrangère et sans l’apport d’enseignants étrangers. Il repose au contraire essentiellement sur des bénévoles cambodgiens qui se déplacent dans leurs villages et à la périphérie. Ce sont en majorité de jeunes lycéens qui, après avoir suivi un stage de formation intensif, dispensent des cours d’alphabétisation dans leurs propres communautés.
Le projet d’alphabétisation mené au Cambodge est aussi particulier par l’introduction des principes d’éducation morale. L’objectif est d’aller au-delà du simple apprentissage de la lecture et de l’écriture, d’essayer de donner un nouveau souffle aux participants au projet en leur donnant, comme son nom l’indique « De l’espoir pour le cœur » .
Le chemin vers la paix
Ainsi le projet vise non seulement à fournir un service social des plus urgents - l’apprentissage de la lecture et de l’écriture - mais aussi à jeter les bases d’une reconstruction générale de la société. Bien qu’il soit à l’heure actuelle mené à petite échelle, dans près d’une douzaine de villages du district de Sa’ang au Sud-ouest de Phnom Pen, les membres de la communauté bahá’íe du Cambodge qui le gèrent espèrent que le fait d’inculquer des principes moraux, outre la lecture et l’écriture, pourra aider les citoyens de ce pays à vivre dans la paix.
« Je participe à ce projet parce que je veux aider les gens » dit San Ngeth, 23 ans, membre de la commission nationale bahá’íe chargée de l’alphabétisation. « Parfois, un problème banal prend des proportions exagérées et si les gens sont mécontents, ils sont prêts à se battre » ajoute M. San.
A son avis, le pays a besoin d’une transformation spirituelle et morale. « Lorsque nous apprenons aux gens à être plus profonds, à bannir tous préjugés, ou à ne pas dire du mal des autres, ils peuvent changer. »
Le projet se déroule en associant la pratique et la morale. L’apprentissage de la lecture et de l’écriture et, en même temps, des valeurs morales se fait à l’aide de manuels spécialement élaborés à cet effet où la morale est présentée sous forme d’histoires et de paraboles adaptées aux niveaux de lecture et d’écriture des élèves.
« Au premier niveau, nous utilisons un manuel intitulé “ Les fleurs d’un unique jardin ”. Le thème général est que les peuples ne forment qu’une race interdépendante et qu’à ce titre ils ont besoin de valeurs morales. Au deuxième niveau, nous travaillons sur un texte intitulé “ Le chemin de la liberté ”. Ici, les textes sont accompagnés de questions qui permettent de lancer une discussion. »
« Les questions portent d’abord sur la compréhension du texte puis sur ce que pensent les participants, leur culture, leurs habitudes, leurs attitudes et ce qu’ils aimeraient changer dans leur vie personnelle et leur communauté » dit Sammi Smith, consultant basé à Bangkok.
« Ensuite, on pose la question de savoir ce qu’ils comptent faire pour apporter les changements éventuellement souhaités. Ainsi, l’accent se déplace du “ nous devrions faire ceci ou cela ” à l’affirmation “ je suis responsable ” et “ je vais faire ça ”. Il s’agit moins d’exploiter les ressources humaines que de susciter une prise de conscience. »
« A certains égards, il vaudrait mieux parler d’un cours de post-alphabétisation, puisque la plupart des participants savent déjà plus ou moins lire et écrire » dit Mlle Smith. « Le vrai but du projet est d’apprendre aux gens à agir librement, de les encourager à mieux exprimer des pensées et des sentiments et à être capables de mettre une dose d’analyse dans leur propre faculté de pensée. » En plus de son caractère novateur, le projet se distingue par le fait qu’il emploie des bénévoles cambodgiens au lieu de travailleurs rémunérés. Au cours de la première phase, par exemple, 13 jeunes cambodgiens du district de Sa’ang dans la province de Kandal ont reçu une formation d’animateur. Au début de l’année 1996, ces jeunes - dont 12 femmes - ont ensuite donné des cours quotidiens d’une heure dans leurs villages pendant trois mois. Au total, cinq classes ont été formées avec une quinzaine de participants chacune.
Chheamg, 19 ans, est un bénévole typique. Élève dans un établissement secondaire du village de Prek Touch dans le district de Sa’ang, M. Chheamg a suivi un cours d’animateur en avril dernier et a prévu de diriger une classe de village pendant la deuxième phase du projet qui devait commencer l’été 1997 mais a été reportée à l’automne.
« Dans notre pays, la plupart des jeunes n’ont pas la possibilité de faire des études » dit M. Chheamg. « Depuis que j’ai appris quelque chose, je veux en faire profiter les autres. C’est pour rendre service à la communauté. »
Pour M. Chheamg, comme pour beaucoup d’autres volontaires, l’objectif est, en définitive, de réduire la violence. « La plupart des gens ne savent ni lire ni écrire. S’ils apprenaient, je suis sûr qu’ils penseraient et réfléchiraient ; il y aurait alors moins de conflits et nous serions plus unis. »
Malgré l’enthousiasme des volontaires, le projet a rencontré de nombreux obstacles - dont beaucoup n’ont pas encore été levés. Pendant la première phase du projet, certains ont été obligés de réduire les classes parce que leurs familles avaient besoin d’eux à la ferme ou parce que la préparation des examens exigeait un effort intense. Pendant ces périodes de tension, il leur avait été impossible de conduire les classes.
La plupart des bénévoles sont des bahá’ís. Ils reconnaissent que leur foi leur apporte une motivation supplémentaire. « Même avant de devenir bahá’í, j’avais envie de servir la communauté » dit M. Chheamg qui a assisté à un stage de formation en avril. « Mon professeur me disait que quand on a appris quelque chose, on ne peut pas le garder pour soi. Il faut transmettre ses connaissances. Depuis que je suis devenu bahá’í, j’ai vraiment compris qu’il est important de rendre service aux autres. Et de travailler bénévolement sans toujours penser à la rémunération. »
La communauté bahá’íe
Le projet est géré par l’Organisation cambodgienne de recherche, de développement et d’éducation (CORDE), créée en 1994 par la communauté bahá’íe du Cambodge afin de promouvoir le développement de ce pays. La CORDE finance également un projet de développement communautaire dans la ville de Battambang au nord du Cambodge. Le projet « De l’espoir pour le cœur » a reçu environ 45 000 FF du Bureau pour le développement économique et social de la Communauté internationale bahá’íe, qui est la seule source de financement. Les fonds ont tout d’abord été utilisés pour compléter la rémunération de deux membres du projet pendant la phase de démarrage ; à l’heure actuelle, aucun ne perçoit de rémunération. Les fonds ont donc été utilisés pour financer certains coûts de transport essentiels et ceux de l’impression des manuels pédagogiques.
Sur le plan matériel, les participants au projet ne reçoivent que peu d’aide. « C’est ce qui explique aussi pourquoi notre projet d’alphabétisation est différent » dit Ly Sita, membre de la commission nationale d’alphabétisation. « Nous ne leur donnons qu’une formation et pas plus d’un manuel d’apprentissage. »
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