Revue n° 53-54, 2005
Restauration d’un bâtiment historique
AKKA, Israël — A la fin des années 1860,
les pèlerins bahá’ís parcouraient des
centaines de kilomètres depuis la Perse,
marchant à travers des montagnes arides,
déjouant des embuscades ennemies et faisant
fi des déserts balayés par le vent, pour
atteindre cette antique cité méditerranéenne
située aujourd’hui au nord d’Israël.
Le but de ce pèlerinage était de rendre
visite à Bahá’u’lláh, le fondateur de la foi
bahá’íe, détenu dans une forteresse de Saint-
Jean-d’Acre où les autorités ottomanes
l’avaient exilé. Pour de nombreux pèlerins,
le simple fait de contempler Son visage
devait être l’expérience la plus saisissante
de leur vie.
Malheureusement, beaucoup ont fait ce
long chemin depuis l’Iran pour être refoulés
aux portes de cette cité fortifiée. Ils sont
souvent restés derrière les murs, se
contentant d’apercevoir brièvement
Bahá’u’lláh qui leur faisait signe de sa main
depuis sa fenêtre lointaine.
Aujourd’hui encore, des milliers de
bahá’ís viennent en pèlerinage dans cette
même ville et la ville voisine de Haïfa. Le
simple fait de voir les lieux où Bahá’u’lláh
a vécu de 1868 jusqu’à sa mort en 1892 est
toujours un temps fort pour les pèlerins.
La visite de la forteresse où Bahá’u’lláh a
été détenu de 1868 à 1870 est l’un des
moments marquants du pèlerinage bahá’í.
En effet, il s’agit du lieu où Il a révélé une
partie de ses Ecrits les plus connus, dont la
proclamation de sa mission aux rois et
dirigeants religieux.
Pendant une dizaine d’années, cette
partie de la forteresse est restée fermée au
public pour travaux de restauration. Ces
travaux sont à présent achevés et les pèlerins
peuvent la visiter à nouveau.
Cette réouverture est un événement
important pour tous les bahá’ís. Après des
années de recherches, de réflexion
approfondie et de négociations délicates, la
citadelle a été enfin restaurée en conciliant
la réflexion historique avec la démarche
scientifique.
L’histoire de la restauration de la citadelle
nous donne une leçon sur l’art du
compromis dans la restauration d’un
bâtiment historique. Dans le cas présent, la
forteresse-prison a une importance
historique non seulement pour les bahá’ís préserver la mémoire des résistants juifs qui
y ont été incarcérés et exécutés sous le
mandat britannique.
« Ce qu’il y de passionnant dans ce
projet, c’est qu’il a plusieurs facettes », dit
Erol Paker, architecte vivant à Jérusalem et
consultant du projet. Le bâtiment a été
construit il y a un millier d’années et a eu
de multiples fonctions.
« Son histoire commence aux Croisades
puis il a été abandonné pendant quelque
temps jusqu’à ce que les Ottomans
construisent une nouvelle fortification », dit
M. Parker. « Bahá’u’lláh y a été incarcéré
et, dans les années 1920 à 1940 des
prisonniers juifs y ont été détenus sous le
mandat britannique. »
Saint-Jean-d’Acre dans l’histoire
Saint-Jean-d’Acre est une cité historique
qui a servi de base aux Romains, aux Perses
et aux Croisés. Ces derniers lui ont donné
son nom et elle leur a servi de dernière
capitale ainsi que de territoire en Terre sainte.
A la fin du 19e siècle, les Ottomans ont
fait de Saint-Jean-d’Acre une colonie
pénitentiaire, sorte de bagne pour les pires
criminels de l’empire. L’exil dans cette ville
équivalait à la peine de mort, vu l’insalubrité
et la pestilence des lieux.
Le bâtiment dans lequel Bahá’u’lláh était
incarcéré a été construit par les Ottomans
vers 1797 au sommet de l’hospice des
hospitaliers de Saint Jean, l’une des rares
structures ayant survécu aux Croisés.
Surplombant la Méditerranée, la citadelle de
pierre est située à l’extrémité nord-ouest de
l’ancienne muraille qui a su résister aux
bombardements de Napoléon.
Il y a une quinzaine d’années, à
l’instigation de quelques survivants parmi
les prisonniers juifs, le gouvernement a
décidé de transformer le site en musée. Les
bahá’ís ont demandé qu’il soit également
tenu compte du caractère sacré de ce lieu
pour leur communauté.
La restauration
Une question s’est très vite posée au
moment de la restauration : à quelle période
fallait-il se référer ? Les Israéliens
proposaient 1947, date de l’évasion des
prisonniers juifs alors que les bahá’ís
préféraient 1870, date à laquelle Bahá’u’lláh
a été incarcéré.
Les discussions ont piétiné pendant des
années lorsque l’on s’est aperçu qu’en
creusant le sol pour restaurer les bâtiments
des Croisés sous la citadelle, la structure
s’était affaissée. C’est ainsi qu’il y a une
dizaine d’années les autorités israéliennes
ont lancé un projet de renforcement et de
restauration de la citadelle.
« Les autorités ont compris que le
bâtiment était menacé », dit Albert Lincoln,
secrétaire général de la Communauté
internationale bahá’íe qui a négocié avec les
autorités israéliennes pour le compte des
bahá’ís. « Ils nous ont alors permis de
donner notre avis sur le projet. »
« En fin de compte, un accord a été
trouvé autour d’un compromis ingénieux
selon lequel l’intérieur de l’étage supérieur
de la tour nord-ouest (où se trouvait
Bahá’u’lláh) serait restauré dans l’état où il
se trouvait en 1920 et l’extérieur dans celui
de 1947. »
La date de 1920 a été choisie plutôt que
celle de 1870 pour l’intérieur parce qu’il
existe peu de documentation sur la période
précédant l’arrivée des Britanniques et que,
selon toute vraisemblance, peu de changements
ont été apportés durant les cinquante
dernières années du règne ottoman.
Un autre problème était celui de
l’authenticité. Sur les photos des années
1920 les fenêtres sont en bois et non en fer.
« Il se trouve que les barreaux en fer ont été
posés par les Britanniques dans les années
1940 », explique M. Lincoln. « Les
Israéliens n’ont pas voulu les retirer sous
prétexte qu’ils rendaient bien l’atmosphère.
Or c’était pour nous une question
d’authenticité. »
L’architecte du projet, Erol Paker,
concède que ces sortes de questions et de
compromis n’ont rien d’exceptionnel quand
il s’agit d’une restauration historique importante.
« Au bout du compte, toutes les parties
ont fait quelques concessions », dit-il.
Une autre question était celle de savoir
dans quelle mesure la restauration devait
refléter les techniques modernes de construction
et comment on pouvait obtenir un
aspect authentique.
D’une manière générale, on a utilisé des
matériaux traditionnels pour obtenir un
résultat aussi authentique que possible. C’est
ainsi que sous le toit en béton on a posé des
faux plafonds en bois épais et lourd, le
katrani, utilisé par les constructeurs
ottomans. Par ailleurs, les murs écaillés ont
été enduits à la chaux, comme au 19e siècle.
« Nous ne voulions pas que l’ensemble
paraisse trop neuf sans pour autant lui
donner une patine ancienne artificielle »,
dit Orang Yazdani, spécialiste bahá’í de la
conservation des bâtiments qui a dirigé les
travaux.
« Dans cinq ans, il ressemblera plus à ce
qu’il était du temps de Bahá’u’lláh, en
vieillissant, il aura plus l’air d’être
d’époque. »
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