Revue n° 10, 1992
Innovation à Macao : le mandarin et l’éducation pour la paix à l’Ecole des nations
MACAO — Chaque semaine, Lisa Jacobson choisit parmi les élèves de ses deux classes à l’Ecole des nations, celui qui mérite le titre peu ordinaire de “Artisan de paix de la semaine”. La photo des élus est accrochée en bonne place en haut du mur de la classe.
Certains diplomates pourraient bien avoir des difficultés avec ce concept alors que, pour la plupart, ces enfants de 7, 8 et 9 ans n’en ont pas, même si un front se plisse encore de temps en temps lorsqu’il s’agit de définir “la paix”.
« Qu’est-ce qu’un artisan de la paix ? » demandait dernièrement l’enseignante américaine de 27 ans, avant de décerner la récompense. Des mains impatientes fusent bien haut.
« Les gens ne se battent pas et utilisent des mots pour régler les problèmes », répond Kam Leong, 9 ans.
« Celui qui ne dit pas de gros mots », dit Lai Yin Yin, 8 ans.
« Ne pas faire la grimace aux autres gens », dit Carlos de Silva, 8 ans.
Après quelques autres réponses du genre, Mme Jacobson décerne la récompense à Arnon Songlumjiak et Daniel Lai. « Ils se sont aidés mutuellement pour étudier », dit-elle. « Ils étaient dans le même groupe de lecture. Arnon lit plus lentement et ils se sont entraidés pour les mots difficiles. »
Le fait de souligner la coopération et l’unité est courant dans les classes de l’école, à la fois maternelle et primaire, dans cette petite colonie urbaine portugaise de la côte chinoise.
C’est en 1986 que l’Ecole des nations fut fondée par la communauté bahá’íe locale après l’étude de rapports révélant que plus de 2.000 enfants étaient privés d’école à Macao. Elle est rapidement devenue une des institutions les plus respectées de la colonie et le terrain de nombreuses expériences éducatives.
En plus de l’accent qu’elle met sur l’internationalisme et l’éducation morale, l’Artisan de paix en est un exemple, l’Ecole des Nations s’attache à promouvoir l’éducation écologique. Les élèves apprennent également le chinois-mandarin, c’est la seule école où le mandarin véhicule l’instruction dans cette colonie de langue cantonaise. L’enseignement est surtout fait en anglais. Avec l’utilisation des deux langues, l’école offre une préparation exceptionnelle pour 1999 lorsque le contrôle de Macao reviendra à la Chine.
« Pour nous, l’Ecole des nations représente davantage qu’une école primaire », dit Anula Samuel, directeur de l’école. « C’est égale ment un projet de développement social créé pour aider la population de Macao à préparer 1999. Nous espérons que certains seront capables d’utiliser le mandarin pour aider, le moment venu, leur communauté à communiquer avec les continentaux. »
L’école s’est rapidement développée depuis l’ouverture de ses portes avec 6 élèves, en 1988. Cent élèves étaient inscrits pour l’année scolaire 1989-90 et 220 en 1990-91. Cette année il y en a 91 en maternelle et 171 en primaire, soit 262.
Soutien financier et moral du gouvernement
Cette expansion s’est en partie réalisée grâce à l’aide du gouvernement de Macao. Le département de l’éducation a versé une subvention conséquente l’année dernière. Son montant a servi à l’acquisition des locaux pour l’expansion de l’école primaire. « Il est remarquable que le gouvernement accorde son aide à une école privée pour des travaux », déclare Mme Chistiana Almeida, directeur adjoint du département de l’éducation. « Et cela témoigne de son intérêt pour l’école et de son soutien. »
« L’Ecole des nations offre des choses plutôt nouvelles à Macao mais qui sont exactement ce dont nous avons besoin ici », ajoute-t-elle. « Car Macao est réellement un microcosme culturel, et l’éducation multiculturelle de l’école parait très utile pour l’avenir. »
Mme Almeida ajoute également que l’accent mis par l’école sur les compétences en mandarin devrait s’avérer utile pour l’avenir de Macao. « Car pour ceux qui voudront rester à Macao après 1999, le fait de parler mandarin permettra d’aider à développer une sorte de groupe de spécialistes qui pourra à son tour développer des organismes de concert avec les Chinois. D’une façon générale nous avons de plus en plus besoin de personnes parlant le mandarin pour développer nos rapports avec la Chine continentale. »
Le mandarin est même enseigné à la maternelle où trois enseignants chinois viennent dispenser des notions élémentaires en mandarin. Et, dans l’approche du développement des tout-petits, une large place est laissée à l’éducation morale.
« Ici nous parlons de gentillesse, du partage des choses avec les autres, pas de canons ni de combats. Et, comme nos élèves sont issus de tant de cultures et de pays différents, nous démontrons que nous sommes tous des membres de la même famille humaine », dit Jinous Nouri, directrice de la maternelle.
Les parents semblent apprécier ce sentiment d’internationalisme. « J’aime bien la façon dont se retrouvent les élèves de différentes ethnies », déclare M. Lee Veng-Fat dont la petite fille de 3 ans fréquente l’école. « J’ai entendu dire du bien de l’école, alors je suis venu voir et cela m’a plu. »
Dans le primaire, les parents et les enfants semblent tout aussi satisfaits. « “Le système du perroquet” est souvent de mise dans les écoles », dit M. Mak, PDG d’une firme locale, qui a deux enfants à l’école primaire. « Il consiste à apprendre et réciter sans comprendre et à faire beaucoup de devoirs à la maison. Mais cela n’apprend pas aux enfants à penser par eux-mêmes. A l’Ecole des nations, c’est bien différent. »
« Il y a un grand échange entres élèves et professeurs », ajoute-t-il. « J’ai aussi choisi cette école pour que mes enfants y grandissent dans un environnement plus international, là où ils peuvent rencontrer des gens du monde entier. »
Des élèves de 24 nationalités sont actuellement inscrits à l’école, signe d’un engagement international.
« Nous veillons à la préparation des élèves qui participeront à la création d’une civilisation mondiale », dit Alan Fryback qui gère l’école avec Mme Samuel. « Cela signifie que nous essayons de prendre en compte tous les aspects de l’éducation et d’éliminer ce qui fait obstacle à l’émergence de cette civilisation, tels le nationalisme, le racisme, le matérialisme et le sexisme. »
L’école tente également d’impliquer étroitement les parents au processus éducatif. « De nombreuses écoles fonctionnent avec l’idée traditionnelle qu’elles seules, et non les parents, savent comment éduquer les enfants », dit Alan Fryback. « Mais bon nombre de nos buts ne peuvent être atteints que si les parents sont impliqués. »
A l’Ecole des nations, les enseignants ont, eux aussi, conscience de participer à une expérience éducative. C’est le cas de Mahin Kleinhenz, enseignante d’origine iranienne mariée à un Américain, qui a contribué à l’introduction des cours sur l’environnement à l’école. Récemment, elle a fait fabriquer du papier recyclé à ses élèves.
« Nous avons fait le tour des corbeilles à papier et récolté leur contenu », dit-elle. « Nous avons découpé les parties blanches pour en faire du papier en utilisant un procédé traditionnel de pâte à papier et des écrans de séchage. »
Mme Jacobson, elle, a choisi une approche créative de l’éducation à la paix, c’était le thème de sa thèse à l’Université de Stanford aux Etats-Unis. « Pour moi, l’éducation à la paix s’organise autour de deux pôles : le développement du caractère et la reconnaissance d’une citoyenneté mondiale. Je suis venue ici car je voulais vraiment m’impliquer dans la mise en pratique des principes bahá’ís dans le domaine de l’éducation », déclare-t-elle. « L’école s’appuie sur cette prise de conscience selon laquelle nous devons bâtir et travailler en vue d’une société globale. Et cela est un défi ! »
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