Revue n° 12, 1992
Des mats du nord au sud
Du désert du Mali à la province du Québec des mats, oasis culturelles et d’échange, sont érigés sous l’impulsion d’un artiste visionnaire PARIS — Antoine de Bary plante des mats autour de la planète, du Nord au Sud, du Québec au Mali. Chaque mat matérialise le centre d’une « Oasis culturelle » : nouvelle approche topologique de l’activité artistique où un groupe d’hommes, entouré de sable, d’eau .ou de foule anonyme affirme son identité dans la défense de la vie, de la liberté,de la connaissance. L’interaction de ce groupe avec l’artiste crée « la sympathie au cœur des différences dans la bigarrure accordée des images ».
Sculpteur français, artiste de renommée internationale, Antoine de Bary est avant tout un citoyen du monde, visionnaire et créatif, « des oasis culturelles il y en a partout », dit-il. Il en a repéré trois au Mali à Bamako, Médine, Tombouctou, qui s’organisent autour d’une coopérative culturelle d’artistes, d’intellectuels, d’écoles et d’artisants, et trois au Québec à Saint Hilaire, Pointe Bleue et Inukjuak au sein de la population canadienne française, amérindienne, inuit, où des artistes créent. Deux mats sont déjà plantés : celui de Bamako (Sud 1) et celui de Saint-Hilaire (Nord 1). « Planter un mat est un acte puis un signe », dit le sculpteur.
A Bamako, Antoine de Bary rencontrait dès 1988 Alpha Oumar Konaré, depuis élu à la présidence de la République du Mali, fondateur de la coopérative culturelle Jamana, avec lequel il a pu créer un atelier de jeunes artistes. Il leur a proposé, dans un premier temps, de gagner leur subsistance en réalisant des panneaux publicitaires. Ensuite, il leur a donné le loisir de s’exprimer librement en organisant une exposition artistique permanente. Il a alors installé, dans divers lieux de Bamako, des repères artistiques, aquarelles, encres de Chine en référence au mat qu’il a finalement planté en 1989, au centre de l’exposition.
Le mat est bâti de bois de calcédrat, d’ébène orné d’un cauri, l’ancienne monnaie en Afrique et de porcelaine placée sur une feuille d’or. A ce mat, est associé un livre-objet tiré sur papier chiffon qui contient des textes d’écrivains ou de poètes ainsi que des œuvres d’art et dont la couverture est façonnée par des artisants traditionnels par la technique du Bogolan (teinture à l’argile).
Aujourd’hui, l’atelier des jeunes artistes s’est spécialisé dans cette technique qui est devenu son principal moyen d’expression. Ces jeunes vivent maintenant de leur propre ressource. Ils soutiennent la coopérative Jamana et la démocratie naissante par la conception d’affiches, du travail de mise en page de livres et de journaux.
A Saint Hilaire au Québec, c’est encore avec un collectif d’artistes que Antoine de Bary a organisé une première exposition intitulée « famille d’esprit ». Ils ont choisi sept maison-antennes de l’écomusée, qu’ils ont balisé avec des repères, chacune des œuvres d’art liées au mat. Sur la butte de Saint Hilaire, avec ses 11 mètres de haut, le mat de bois peint de rouge s’élance face au Mont Sébastien orné d’une lanterne multicolore à 1,50m du haut.
Parallèlement, un symposium d’artistes organisé par la ville de Saint Honoré, a livré sept espaces à des sculpteurs professionnels. Des artistes amateurs, peintres et photographes, ont également présenté leurs œuvres dans des galeries ouvertes de maisons particulières, mises à leur disposition par les habitants.
Quatre mats sont encore en projet à Tombouctou, Médine, Pointe-Bleue et Inukjuak. Chacun différent les uns des autres, contenant des trésors d’art et de symbolisme signe de ’importance de l’oasis, pour la culture du vivant d’abord, comme un lieu fertile entouré de sable ; pour les échanges, la rencontre et la reconnaissance de nos cultures multiples ensuite, comme un lieu de vie créatrice — K. D.
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