Revue n° 18, 1994
La conférence au Maryland se demande si les différences ethniques et religieuses sont source de conflit ou de conciliation
COLLEGE PARK, Maryland, USA — Quand le jeune guitariste israélien David Broza est monté sur scène, il a chaleureusement été accueilli par ses fans; ils l’ont applaudi et ont chanté avec lui des chansons pop israéliennes très connues, chantées en anglais ou en hébreu.
L’artiste suivant, Nabil Azam, un arabe palestinien aux cheveux blancs, a été accueilli avec moins de chaleur et avec plus de distance. Il y avait beaucoup de juifs parmi le public; ils écoutaient attentivement pendant qu’il jouait un instrument à cordes, le oud. Les applaudissements étaient polis, sans être enthousiastes.
Ensuite, M. Azam a échangé son oud contre un violon, et la mélodie douce et mélancolique qu’il a jouée semblait détruire une barrière invisible. Comme par réflexe, un crescendo de voix s’est levé et a chanté en hébreu « Jérusalem d’or », une chanson israélienne qui parle de la ville sainte. Il était impossible de résister à ce geste, symbole d’une branche d’olivier offerte.
Le concert a clôturé la conférence du 9-11 avril qui a eu lieu à l’université de Maryland sur le thème « Quand les empires se meurent: la religion, l’ethnicité et les possibilités pour la paix. » L’harmonie qu’on a pu voir sur scène entre un israélien et un palestinien était un symbole de l’espoir d’une résolution paisible du conflit au Moyen-Orient l’un des 40 conflits actuels dans le monde basés sur des différences religieuses ou culturelles.
La question de savoir comment les facteurs de religion ou d’ethnicité peuvent aider ou retarder le processus de paix a été étudiée à travers des manifestations artistiques, des conférences et des groupes de discussions.
« Se sont réunies des personnes qui normalement ne se fréquentent pas, par exemple des représentants du Moyen Orient et des représentants de différentes régions de l’Afrique », a déclaré Bernard Cooperman, l’un des trois organisateurs de la conférence, directeur du Centre d’études juives Joseph et Rebecca Meyerhoff. Les deux autres organisateurs étaient le département d’histoire et la Chaire bahá’íe pour la paix mondiale de l’université de Maryland.
Plus de 700 personnes, dont des étudiants, des universitaires et des personnalités publiques sont venues du monde entier, et ont représenté un échantillon de différentes idéologies politiques et religieuses.
Les conférenciers et les 30 animateurs d’atelier ont parlé des possibilités uniques pour la paix qui se sont présentées à la fin de la guerre froide, ainsi que des opportunités pour rediriger les ressources militaires vers des problèmes mondiaux urgents.
L’une des idées principales qui est ressortie était que la religion, souvent considérée comme source de conflit, peut être source de paix.
Mona Grieser, directeur de Glovis Inc., une société pour le développement de la communication, a déclaré que les paramètres économiques actuels ignorent les composants psychologiques et spirituels qui sont à la base du développement des pays du tiers-monde.
« Il est certain que nous possédons la technologie nécessaire pour nourrir, habiller et loger tous les peuples de la terre », a dit Mme Grieser, qui est bahá’íe. « La raison pour laquelle cela n’est pas fait est une question spirituelle que nous avons le devoir d’examiner. »
« La spiritualité, quand elle s’adresse aux problèmes mondiaux collectifs et individuels, pourrait établir un nouveau programme mondial basé sur une vision partagée », a-t-elle affirmé. « La spiritualité peut donner l’autorité morale et la motivation nécessaire pour réaliser une nouvelle politique et des programmes conçus selon de nouvelles priorités. »
Paul-Marc Henry, Ambassadeur de France, a dit qu’« un décalage spirituel » est en partie responsable de la « profonde crise » que traverse le monde, comme le démontrent la détérioration des travaux publiques, du système éducatif, le chômage qui ne cesse de croître et la violence causée par la frustration des jeunes.
« On ne peut pas établir des prévisions à long terme en se basant sur le produit national brut, mais uniquement par l’espoir dans le futur », dit-il. « Au fond, cette crise est une crise de désespoir. »
Ernest Gellner, directeur du Centre européen pour l’étude du nationalisme à Prague, a examiné le problème sous un autre angle : les différences de culture devraient être considérées comme des accidents de naissance ou d’histoire et elles ne devraient pas influencer les droits de citoyenneté accordés à un groupe au dépens d’un autre.
Le nationalisme, a dit M. Gellner, est un « phénomène artificiel » selon lequel une culture est étroitement définie par un groupe d’élite. Ceux qui ne sont pas au niveau des critères établis par cette élite courent le risque d’être exclus ou opprimés, ce qui mène à la violence.
Les exposés présentés à la conférence seront réunis dans un livre qui, selon les vœux des organisateurs, aidera à encourager des discussions au sujet de nouvelles opportunités qui s’ouvrent pour la paix.
« Le fait que le monde universitaire se rend compte que la religion est un facteur important pour le développement de la paix ou pour préparer les conditions pour une meilleure compréhension entre des peuples différents, parfois ennemis, est déjà un fait remarquable », a dit Suheil Bushrui, qui occupe la Chaire bahá’íe pour la paix mondiale.
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