Revue n° 7, 1991
L’agressivité: innée ou acquise?
La conférence « L’éducation contre la haine », tenue en Israël, rassemble des points de vue très divers HAIFA, Israël – Dans tout le Moyen Orient, des dissensions profondes et persistantes entre des groupes nationalistes ou religieux ont depuis longtemps provoqué l’animosité et la défiance, souvent avec des résultats violents.
Récemment, un groupe peu commun de personnalités internationales s’est réuni à Haifa dans l’espoir de trouver des solutions à ce problème. Les participants représentaient presque toutes les religions de la région : chrétiens, juifs, musulmans, druzes et bahá’ís, ainsi que des chercheurs, des universitaires, des auteurs et des journalistes de diverses nationalités et de diverses formations. Leur but était de discuter d’un nouvel instrument contre la haine: l’éducation, et de forger cet instrument.
La conférence, organisée du 2 au 5 juin 1990 sous les auspices de la Fondation Elie Wiesel pour l’humanité, s’intitulait : “L’éducation contre la haine : impératif de notre temps”. Et, à l’issue de cette réunion de trois jours, il est certain que des étapes ont été franchies.
La conférence n’a pas eu de conclusion officielle, mais ce qui est important c’est qu’une réunion de personnalités aussi diverses ait eu lieu dans une région si souvent enflammée par la haine.
« La haine est un problème qui domine notre vie et qui, avec la technologie actuelle, peut conduire à la destruction du monde », a déclaré Sigmund Strochlitz, homme d’affaires américain. « Au cours de ces trois journées nous nous sommes enrichis en partageant le point de vue les uns des autres et nous partirons avec de nouvelles perspectives sinon des solutions. »
Au cours de sept réunions, on a exploré, entre autres, le rôle de l’éducation, de la religion, de la littérature et des médias, dans le contexte de la haine.
La religion et la haine
Selon certains participants « la religion est une grande force pour la détermination des valeurs humaines et un élément majeur pour la compréhension de la haine ».
D’autres ont fait remarquer que la religion elle-même est une cause de haine et qu’il pourrait être nécessaire de disloquer certains pouvoirs religieux pour y mettre fin. « Cela implique, dans beaucoup de cas, un renversement de la religion », a déclaré BIu Greenberg, écrivain et présidente de “Jewish Women Leaders Consultation”.
Le Professeur Robert McMee Brown, du “Pacific School of Religions” de Californie aux Etats-Unis, a souligné le rôle de l’amour, de la justice et du pardon pour ce qui est de la suppression de la haine. « Ce n’est pas qualité des rapports rédigés ni la pondeur des débats qui détermineront la réussite ou l’échec de notre conférence, mais plutôt la mesure dans laquelle ses participants parviendront à comprendre ceux qui jusqu’ici pouvaient être les cibles potentielles de leur haine », a-t-il déclaré.
Pour Farid Wajdi Tabari, Cadi de Haifa et membre de la Cour suprême musulmane, c’est surtout l’égoïsme ou l’égocentrisme qui engendreraient la haine et les principales religions du monde offriraient « un baume efficace un élixir pour surmonter la haine et encourager l’amour ».
M. Robert Henderson, Secrétaire de l’Assemblée spirituelle nationale des bahá’ís des Etats-Unis, a fait valoir que ce comportement de plus en plus haineux et agressif qui caractérise le monde n’est pas intrinsèque à la nature humaine.
« Dieu nous a créés riches et nobles; il nous a donné la capacité d’être bons, justes, aimants et de refléter ses propres attributs de Créateur », a-t-il déclaré. « Ces principes spirituels sont le fondement de la période de transition que nous devons traverser, transition qui, inéluctablement, fera passer l’humanité d’un groupe de “nations fragmentées et en guerre” à une confédération de nations unifiées, ayant pour seule frontière la planète. »
« L’humanité est à un moment critique de son évolution en tant qu’espèce », a ajouté M. Henderson, « son destin est d’avancer inexorablement vers l’unité, vers la réalisation d’un monde uni ».
Le rôle des médias
Le lauréat du prix Nobel, Elie Wiesel, qui était présent à toute la conférence, a souligné l’importance des mots à la fois pour créer la haine et pour la combattre. Il a qualifié l’acte d’écrire comme un acte moral. « Les mots peuvent tuer, les mots peuvent guérir, les mots peuvent devenir prières, les mots peuvent être transformés en propagande bon marché, incitant à la haine. »
M. Vitaly Korotich, rédacteur en chef de “Ogonyok”, une des revues soviétiques les plus libres d’expression, a invité les médias à reconnaître leur propre rôle dans la création de l’image de l’ennemi haï, qui conduit au résultat logique de la guerre. Il a invité’ les journalistes à reconnaître leur responsabilité lorsqu’ils attisent les flammes de la haine et a exhorté la presse à renouveler son sens de l’éthique. Il a également souhaité une coopération accrue entre la télévision, la radio, la presse écrite et les éditeurs de manuels scolaires, afin d’œuvrer à l’élimination de la haine et de la suspicion.
M. Korotich a ajouté que la télévision joue un rôle important dans la démocratisation mondiale et que les pays ne peuvent pratiquement plus contrôler les images. Ainsi, la destruction du mur de Berlin est un exemple spectaculaire d’un évènement qu’a pu voir, partout dans le monde, le grand public. Les images télévisées pulvérisent les murs entre les peuples, les murs qui permettent à la haine de s’implanter et de s’accroître, mais ces images ne sont pas suffisantes pour mettre fin à la haine. M. Korotich a souligné qu’il fallait des efforts systématiques, en particulier la réécriture de l’Histoire et l’enseignement à partir de ces nouveaux textes.
C’était la troisième d’une série de conférences internationales, sous l’égide de la Fondation Elie Wiesel, sur le sujet de “L’anatomie de la haine et ses conséquences”. Les deux premières ont eu lieu à Paris et Boston, la quatrième clôturait le cycle fin août de la même année, à Oslo, en Norvège.
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