Revue n° 51-52, 2005
Le Parlement des religions examine les relations entre les confessions après le 11 septembre
BARCELONE, Espagne — Une ombre planait visiblement sur le Parlement 2004 des religions en raison de la violence et du terrorisme international, notamment après les événements du 11 septembre 2001.
Réagissant à l’actualité, les organisateurs, intervenants et participants au Parlement se sont demandé comment réconcilier les religions, espérant ainsi faire jaillir la lumière dans l’obscurité.
Sur le thème « les chemins de la paix », le Parlement a accueilli près de 9 000 personnes venues de plus de 75 pays, devenant ainsi l’un des plus grands rassemblements œcuméniques de l’histoire.
Dans le cadre de plus de 400 ateliers, groupes de discussion, et séances plénières il a été essentiellement question de paix et de compréhension entre les religions.
Prenant la parole à la séance de clôture, Federico Mayor Zaragoza, ancien directeur général de l’UNESCO et président de la Fondation espagnole pour la culture de la paix a dit : « Nous sommes déterminés à promouvoir la compréhension et la coopération entre les cultures et les religions. La diversité n’est pas une menace. Notre union fait notre richesse. »
Les organisateurs estiment que le caractère pacifique et œcuménique de ce Parlement est un exemple de coopération entre les religions depuis le 11 septembre.
« Le fait qu’un Parlement d’une telle envergure et d’une telle diversité ait pu être organisé après le 11 septembre donne de la religion une image différente de celle qui nous a été proposée par les journaux ces dernières années », dit Dirk Ficca, directeur exécutif du Conseil du Parlement des religions du monde (CPRM) basé à Chicago et organisateur du Parlement. « Je pense que cela est révélateur. »
Le Parlement s’est inscrit dans la continuité des réunions précédentes, celle de 1993 à Chicago et celle du Cap en 1999, le thème étant la promotion du dialogue entre les religions. Ces trois Parlements se disent les héritiers du Parlement des Religions du Monde convoqué durant l’Exposition Colombienne de Chicago en 1893.
Parrainé également par le Centre UNESCO de Catalogne et le Forum 2004 de Barcelone, le Parlement 2004 visait plus précisément à encourager les religions du monde entier à prendre des engagements concrets pour faire en sorte que « la foi transforme le monde », notamment dans quatre domaines spécifiques : l’accès à l’eau potable, l’élimination de la dette des pays pauvres, l’aide à tous les réfugiés et la maîtrise du fanatisme religieux.
Chaque groupe était invité à examiner la question du pluralisme religieux, certains aspects du programme étant mis de côté pour faire place au dialogue entre les religions.
« La plupart des communautés religieuses expliquent à leur manière qui elles sont et comment elles se ressemblent », dit Dirk Ficca, expliquant que l’un des objectifs du Parlement est de faire en sorte que les groupes religieux se parlent. « Se parler nous paraît être un élément primordial du mouvement œcuménique. Nous en avons fait la question essentielle de nos programmes. »
Objectif : le dialogue
Le dialogue entre les religions a été au centre des débats. Nombre d’intervenants ont évoqué le 11 septembre et le fanatisme religieux.
A une session très suivie sur « la bataille pour Dieu », Karen Armstrong, écrivain et théologienne, a dit qu’à son avis les fondamentalistes, à quelque tradition religieuse qu’ils appartiennent, sont en réalité des rebelles contre le triomphe apparent de la vision moderniste et laïque de la société.
« Tout mouvement fondamentaliste, chrétien, juif ou musulman, a la crainte profonde, bien ancrée en lui, que la société laïque moderne ne veuille effacer la religion », dit-elle. Mme Armstrong est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont A History of God.
La peur de la modernité a conduit les fondamentalistes à dénaturer les traditions religieuses qu’ils essaient de préserver, dit-elle encore. « Ils minimisent l’importance des passages [de leurs Saintes Ecritures] sur la tolérance et la compassion, et le respect des droits des autres. C’était évident, même avant le 11 septembre. »
L’atelier sur la « Responsabilité de la communauté musulmane après le 11 septembre », rassemblait diverses personnalités musulmanes pour analyser la question de savoir comment le monde islamique peut modifier à la fois son attitude et sa perception des autres dans l’optique d’une compréhension mutuelle.
Pour Zahid Bukhari, membre du Centre pour la compréhension entre musulmans et chrétiens de l’Université de Georgetown, « des questions sérieuses se posent maintenant à propos du Coran, du prophète Mohammed, du Djihad, de la violence. Ces questions appellent d’autres réponses que celles du type ‘L’Islam, c’est la paix’, ou ‘Nous avons les cinq piliers’ ». Les dirigeants et les spécialistes de l’Islam doivent apporter des réponses précises.
William Lesher, président du CPRM, dit que le 11 septembre et l’inquiétude générale suscitée par la violence religieuse ont donné au Parlement et au mouvement interreligieux en général une autre dimension. C’est ainsi qu’à Barcelone on a enregistré pour la première fois une forte participation du monde international des affaires.
Ford Automobiles a financé un atelier sur la mise en place d’un réseau religieux pour apaiser les tensions religieuses sur le lieu de travail. Iberdrola, deuxième société espagnole de production d’énergie, a été la première à donner de l’argent à un Parlement des religions.
« Il y a quatre ou cinq ans, il était impensable de demander à une société de financer une manifestation religieuse », dit W. Lesher. « Or, le monde des affaires prend de plus en plus conscience que la religion peut poser problème sur le lieu de travail. »
Chris Hamilton, professeur de politique et religion comparées à l’université de Washburn (Etats-Unis), juge que le Parlement montre une tendance croissante à l’intégration « horizontale » des populations qui souvent aujourd’hui ne comptent plus sur les institutions traditionnelles « verticales » pour promouvoir le changement.
« Des laïcs décident de leur propre chef que d’autres religions donnent du sens et sont des alliés potentiels dans la réalisation d’objectifs universels, tels que la paix », dit le professeur Hamilton, un bahá’í. « Ce Parlement devient de plus en plus un mouvement non gouvernemental, transnational, comme le mouvement écologiste, et il pourrait bien infléchir le destin de la planète. »
Participation des bahá’ís
La Communauté internationale bahá’íe et la communauté bahá’íe d’Espagne ont organisé des débats, des conférences et des activités de tous genres pour soutenir le Parlement et le thème de la paix.
Plus de 100 bahá’ís ont participé au Parlement. Ils sont venus d’Andorre, du Botswana, du Canada, des Etats-Unis, de France, d’Allemagne, d’Inde, d’Irlande, d’Italie, du Portugal, d’Espagne, de Suisse, et du Royaume-Uni.
« L’objectif des bahá’ís c’est d’aider les religions à mieux se comprendre », dit Miguel Gil qui représentait la communauté bahá’íe d’Espagne. « Nous voulons contribuer à dissiper les malentendus entre les religions et nous intéresser aux problèmes qui préoccupent le monde. »
Nombre de bahá’ís présents au Parlement représentaient moins la foi bahá’íe que les différentes organisations religieuses ou universitaires au sein desquelles ils jouent un rôle de premier plan.
Lally Lucretia Warren, originaire du Botswana, une bahá’íe membre du Comité consultatif international du Parlement, pense pour sa part que si les bahá’ís ont réussi à promouvoir le dialogue entre les religions, c’est en partie parce qu’ils embrassent toutes les grandes religions du monde.
« Les bahá’ís croient en la mission divine du Christ, de Mohammad, d’Abraham, de Moïse, de Bouddha, de Krishna, de Zoroastre, et, bien sûr, de Bahá’u’lláh. Nous reconnaissons les autres religions car nous croyons sincèrement en leur véracité. »
Moojan Momen, universitaire bahá’í du Royaume-Uni, a ouvert un débat sur « le fondement théologique du dialogue entre les religions chez les bahá’ís ».
« La foi bahá’íe rejette tout ce qui est une cause de conflits », dit-il. « Pour les bahá’ís Dieu est un Etre caché », dit M. Momen, auteur de nombreux ouvrages sur la religion. C’est pourquoi les différentes visions de la « Réalité ultime » que les religions présentent nous paraissent toutes limitées. Elles sont à la fois exactes et inexactes. La foi bahá’íe, elle, ne pose pas la question « Qu’est-ce que Dieu ? » et se place sur un plan où les individus sont capables de comprendre les choses par eux-mêmes.
Ainsi, nous laissons de côté les questions de doctrine, sur lesquelles les religions ont tendance à se diviser, pour aborder des questions plus concrètes, par exemple des questions d’éthique sur lesquelles les religions sont globalement d’accord. Par exemple, toutes les religions ont une sorte de Règle d’Or, toutes disent que nous devrions nous détacher du monde matériel, et toutes insistent sur les vertus de l’amour, de la fraternité et de la justice.
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