Revue n° 7, 1991
Changement et prise de décision
Le changement rapide est peut-être la principale caractéristique du monde d’aujourd’hui. Les transformations survenues en Europe de l’Est et en Union soviétique en fournissent les exemples les plus spectaculaires. De même, sur presque tous les autres continents, les paysages sociaux, politiques et même physiques se trouvent profondément modifiés par des forces qui vont de l’exigence croissante de démocratie à la menace d’effondrement d’écosystèmes surchargés.
La rapidité et l’ampleur du changement placent un lourd fardeau sur les épaules des décideurs. Que ce soit à l’échelon local, national ou international, au sein ou en dehors des gouvernements, la qualité de la prise de décision est cruciale quant à l’aptitude de l’humanité à gérer les changements inexorables qui surviennent actuellement.
Nombre de méthodes acceptées couramment pour parvenir à des décisions, qu’elles soient politiques, légales ou économiques, vont clairement à contre-courant de la vague de changement : totalitarisme et autoritarisme, avec leurs décisions imposées du sommet, sont totalement discréditées; les systèmes législatifs et gouvernementaux en Occident, fondés sur l’opposition, divergent et sont souvent dépassés, ou ne suffisent pas pour gérer la complexité et l’interdépendance des questions actuelles les plus pressantes.
Depuis plus de cent ans, les communautés bahá’íes mettent en pratique une méthode originale de prise de décision non conflictuelle qui reflète les meilleurs éléments dès divers systèmes de gouvernement et quelques nouveaux principes importants. Connue des bahá’ís sous le terme de “consultation”, cette méthode cherche à créer un consensus communautaire de manière à unir les différentes constituantes au lieu de les diviser. Elle encourage la diversité d’opinion au lieu de la réprimer. Soigneusement suivi, le processus contribue également à limiter la lutte, hélas trop courante, pour le pouvoir.
Sa pratique encourage un nouveau type de leadership qui va promouvoir le service et l’ouverture d’esprit plutôt que l’abandon du pouvoir aux plus agressifs, aux égocentriques ou aux manipulateurs.
Le terme de “consultation” est, bien entendu, couramment appliqué aux processus par lesquels une information complémentaire sur un avis est obtenue. Pour les bahá’ís, cependant, le mot a une signification bien particulière. Il fait référence à un ensemble distinct de lignes directrices et de principes utilisés dans les prises de décisions par les communautés bahá’íes au niveau local, national ou international.
Cette orientation fut définie au siècle dernier par Bahá’u’lláh, fondateur de la Foi bahá’íe, son essence est la promotion de l’unité.
• Une multitude de points de vue devrait être bien accueillie et se voir accorder toute possibilité d’être entendue. Le plus d’informations possible devrait être rassemblé à partir de toutes les sources pertinentes, en accordant toute leur valeur aux conseils de spécialistes tels qu’avocats, ingénieurs, médecins ou scientifiques dans les domaines où de telles compétences s’avèrent importantes.
• Durant la discussion, les participants ont la responsabilité de partager leurs vues de façon tout à fait sincère, en exerçant la modération tant dans le ton que dans l’expression. On doit s’attacher à ce que la consultation suscite une gamme de perspectives culturelles aussi large que les circonstances le réclament et le rendent possible.
• Lorsqu’une idée est avancée, elle devient aussitôt propriété de tout le groupe. Elle cesse d’être la propriété de l’individu ou d’un sous-groupe. Cette notion, simple en apparence, est peut-être le principe essentiel de la consultation. Mis en pratique, il atténue division et égoïsme. Il met fin, en lui retirant l’attribution du succès, à la recherche du pouvoir par l’individu et modifie ainsi fondamentalement le processus traditionnel de prise de décision.
• Le groupe devrait s’évertuer à obtenir l’unanimité, cependant un vote majoritaire peut être pris en compte pour trancher. Un aspect important de ce principe est la compréhension que la responsabilité du groupe entier, une fois la décision prise, est de la faire appliquer, dans un esprit d’unité, sans se soucier de la proportion de la majorité.
Les bahá’ís pensent que dans le cas d’une mauvaise décision, l’évidence en apparaît rapidement en cours d’application ; mais seulement si le groupe décideur, et par extension la communauté dans son ensemble soutiennent de tout cœur cette décision qu’ils croyaient bonne au départ. Sans un tel soutien, il n’apparaîtra jamais clairement si l’échec d’une décision, ou d’un programme particulier, est dû à l’idée elle-même, à un manque de soutien de la communauté ou, dans le pire des cas, aux actions obstinées d’opposants non convaincus.
Ces principes-là paraissent simples et les bahá’ís ont constaté qu’ils présentent une méthode efficace pour prendre des décisions et unir une communauté.
Dans ce numéro de “One Country”, un récita trait à la consultation comme technique d’organisation et de prise de décision communautaire. En Inde, dans un centre rural de formation professionnelle, les jeunes femmes sont formées à mettre en pratique les techniques de consultation pour résoudre des problèmes dans leur village.
Ces principes peuvent être adaptés à d’innombrables cas où des décisions s’avèrent nécessaires. Ils sont applicables dans la vie familiale ou communautaire ainsi que dans la gestion des entreprises et dans les méthodes de gouvernement sur le plan national ou international. Ils offrent un modèle original et les décideurs, en cette époque de transformation rapide et planétaire, pourront les trouver dignes d’un examen attentif.
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