Revue n° 51-52, 2005
En Ouganda, l’éducation pratique est le gage du succès de l’alphabétisation
ONGIDO, Ouganda — Lorsque ses enfants avaient des crises de paludisme, Judith Kojjo avait l’habitude d’aller voir un marabout. Depuis qu’elle apprend à lire et à écrire dans le cadre du programme UPLIFT, elle préfère les soigner en leur faisant boire une décoction à base de feuilles locales.
« Je n’emmène plus mes enfants chez le marabout. Je leur administre tout d’abord un remède traditionnel à base de feuilles de margousier », dit Mme Kojjo, 53 ans et mère de huit enfants, qui vit dans ce village d’environ 400 personnes situé dans la région du Nil occidental. « Je fais bouillir les feuilles dans une tasse d’eau », explique-t-elle. « Lorsqu’un enfant a le paludisme, je lui en donne une petite cuillérée trois fois par jour et si son état ne s’améliore pas, je l’emmène à l’hôpital. »
Alors que les programmes traditionnels d’alphabétisation visent essentiellement à apprendre aux adultes à lire et à écrire, UPLIFT a d’autres objectifs tels que la lutte contre le paludisme, la fabrication du compost ou la nutrition.
C’est ainsi que UPLIFT ne se contente pas seulement d’enseigner la lecture et l’écriture mais qu’il dispense aussi les compétences, le savoir et la motivation qui sont au cœur de ce que le projet appelle un « plan de perfectionnement individuel tout au long de la vie ». L’éducation morale et la tolérance religieuse ont aussi une place importante dans ce processus.
Ce « plus » qu’apporte UPLIFT n’a pas échappé aux responsables locaux qui se félicitent de l’approche intégrée du programme, du dynamisme des formateurs et des résultats des élèves.
« Premièrement, on observe un changement dans leurs attitudes et leurs styles de vie. Ils savent compter, écrire, tenir une comptabilité et améliorent ainsi leurs activités commerciales », dit Joseph Kakura, président du Conseil local N° 3 du district de Parombo où UPLIFT est présent.
« Et puis, ils cultivent mieux la terre, par exemple en utilisant des semences améliorées. Ces élèves et la communauté pourront désormais vivre mieux parce qu’ils savent reconnaître certaines maladies évitables. L’assainissement des maisons a été amélioré, la plupart des maisons ont désormais des latrines. L’environnement est beaucoup mieux protégé. »
Cent communautés
Fondé en 2001 par un groupe de bahá’ís, UPLIFT est présent en Ouganda dans plus de 100 communautés du district de Nebbi, une région isolée et relativement pauvre au nord-ouest du pays.
A l’est, de l’autre côté du Nil occidental, se trouve le district de Gulu ravagé par la guerre, théâtre de batailles avec l’armée de la résistance, un groupe rebelle qui a enrôlé de nombreux enfants. Les effets de cette guerre civile se sont parfois fait sentir jusqu’à Nebbi.
L’économie du district de Nebbi dépend essentiellement de l’agriculture de subsistance. On y cultive essentiellement le manioc, le millet, le sorgho, le maïs, les haricots et l’arachide. La pêche y est également importante. Plus de 90 % de la population vit en milieu rural. Les normes d’hygiène sont généralement inférieures à la moyenne nationale. Les pénuries de matériels et fournitures médicales sont fréquentes, faute de moyens de transport et d’un réseau routier adéquats. De plus, la pauvreté freine l’accès aux soins de santé.
Le taux d’alphabétisation dans la région est d’environ 58 %, légèrement inférieur au pourcentage national (68 %). Il est plus faible chez les femmes (30 à 40 %) qui sont dès lors la cible essentielle du programme UPLIFT. A ce jour, plus de 80 % des 2 300 participants au programme sont des femmes.
« Le développement repose en grande partie sur les femmes », dit Hizzaya Hissani Mwani, responsable du programme. « Lorsqu’elles savent lire et écrire, elles envoient plus volontiers leurs enfants à l’école. Elles font davantage attention à l’hygiène et s’expriment mieux. »
Au-delà de la priorité donnée aux femmes, le programme doit son succès à sa démarche novatrice en matière d’alphabétisation des populations rurales. On commence par apprendre les éléments phonétiques de la langue locale au lieu de mémoriser l’alphabet. Par ailleurs, chacun est appelé à participer pleinement à l’enseignement par le chant, le théâtre et les jeux de rôle.
La plupart des participants apprennent à lire et à écrire en une centaine d’heures alors que, selon les spécialistes, il faut compter en général 200 à 300 heures pour un tel apprentissage.
La méthode qui a été mise au point par M. Mwani consiste à décomposer la langue, l’Alur, en unités phonétiques faciles à mémoriser.
« M. Mwani a recensé cinq ou six mots clés donnant chaque lettre et chaque son en langue Alur », dit Tom Gossen, consultant international pour le développement et membre d’une équipe de gestion d’UPLIFT. « Travaillant souvent au tableau noir sous un arbre, les éducateurs décomposent ces mots clés en chacun des sons et des lettres qui les représentent. Les participants les mémorisent et sont vite capables de les assembler pour former des mots et finalement des phrases. »
Autre aspect important du projet : l’apprentissage de la lecture et de l’écriture s’appuie sur des textes qui préoccupent ou intéressent les gens, ce qui est un plus. Les manuels d’alphabétisation traitent de la prévention et du traitement du paludisme, de la fabrication du compost ou d’autres techniques simples d’amélioration de l’agriculture, de soins de santé primaires et d’assainissement.
« La démarche consiste à étudier les besoins de l’ensemble de la communauté et à relier le contenu du programme à la vie de tous les jours », explique M. Mwani.
Pour Maureen Kendrick, professeur assistante d’alphabétisation familiale à l’université de Colombie britannique, qui s’est rendue à deux reprises sur les lieux du projet, le fait d’adapter le projet au contexte social devrait le rendre durable à long terme.
« Les autres programmes d’alphabétisation que j’ai observés ne sont pas fermement enracinés dans le contexte social et culturel », dit-elle. « Souvent empruntés à un autre contexte culturel, ils ne durent pas parce qu’ils ne sont pas rattachés à la vie des gens. »
« Ce qui m’a particulièrement frappé dans ce projet, c’est la somme d’efforts déployés pour recueillir l’opinion des participants. On essaie vraiment de comprendre ce que les gens veulent et quels sont leurs besoins. Il ne s’agit pas seulement d’apprendre aux gens à lire et à écrire. On essaie de comprendre leur véritable motivation par rapport à leurs besoins et on leur apprend, par exemple, à faire du compost. »
Des éducateurs résidents
Comme d’autres organisations non gouvernementales qui s’occupent d’alphabétisation, UPLIFT fait appel à des personnels d’encadrement, appelés « éducateurs », qui viennent animer des classes dans les communautés.
Cependant, ce qui distingue UPLIFT des autres organisations, c’est que les éducateurs résident au sein même des communautés dont ils ont la charge. M. Mwani lui-même passe plus de la moitié du temps sur le terrain et vit comme les éducateurs locaux.
« Il est important d’accepter l’idée que l’argent n’est pas la clé du développement des plus démunis », dit M. Goosen. « Ils ont plutôt besoin d’apprendre à être indépendants par l’acquisition d’un savoir-faire, de connaissances et d’une spiritualité. »
Au départ, presque tous les éducateurs étaient bénévoles et les classes se déroulaient en plein air, souvent sous un arbre aux branches généreuses. A mesure que le projet a fait ses preuves, elles ont commencé à se tenir dans différents bâtiments, églises, écoles ou centres communautaires.
Depuis peu, les éducateurs reçoivent une petite compensation. Par ailleurs, le gouvernement met quelques bicyclettes à la disposition des éducateurs pour faciliter leur transport.
Le fait de rouler à bicyclette plutôt qu’en voiture est aussi une particularité des éducateurs d’UPLIFT. « Imaginez qu’un homme vienne en voiture dans nos villages d’analphabètes », dit M. Joseph de Parombo. « Les analphabètes ne sont pas dans les villes mais là où les voitures ne
peuvent pas passer. »
Participation de toutes les religions
Autre originalité d’UPLIFT : son ouverture à toutes les religions, d’où l’apaisement des tensions
entre les différentes communautés. La région est en majorité chrétienne, mais compte aussi beaucoup de musulmans. En tant qu’organisation d’inspiration bahá’íe, UPLIFT a tenu à accueillir dans ses classes des membres de toutes les religions, ce qui est inhabituel dans un domaine où les communautés religieuses restent la plupart du temps cloisonnées.
Les manuels de lecture, par exemple, citent des passages de la Bible, du Coran ainsi que des Ecrits bahá’ís. On y trouve aussi des citations sur les vertus élémentaires, l’honnêteté, la fidélité ou la charité.
Zoe Bakoko Bakoru, ministre ougandais de la condition féminine, du travail et du développement social dit que « ce qui différencie notamment UPLIFT, c’est qu’il fait appel à la spiritualité ».
« Les bahá’ís parlent d’humanité, d’unicité et d’unité. La majorité des Ougandais ont souffert avant l’arrivée au pouvoir de ce gouvernement, sous le régime d’Amin Dada, et ils ont besoin de se reconstruire. UPLIFT vise tout le monde dans la communauté, musulmans, chrétiens ou athées », dit M. Bakoru qui s’est rendu sur les lieux du projet. « Ainsi, UPLIFT a trouvé ici un terrain fertile où il est possible de semer les graines de l’unité entre des personnes de religions différentes et les aider à coexister. »
Les autorités locales se font l’écho de cette remarque. « UPLIFT a résolu nombre de problèmes dans la communauté », dit Matthew Ngarombo, membre de l’administration du district de Nebbi. « Il y a eu beaucoup de désaccords, en particulier à propos des différences religieuses, des idéologies tribales et ainsi de suite. Aujourd’hui, les gens coopèrent. Ils viennent unis, grâce à UPLIFT qui a rapproché les gens en organisant des activités multiconfessionnelles. »
L’alphabétisation reste au cœur du programme et la plupart des participants reconnaissent que le programme a énormément changé leurs vies.
Une plus grande confiance
« Maintenant, je peux lire et écrire des lettres à mes amis alors qu’avant je demandais à mes amis de le faire », dit Florence Nyiewege, 28 ans, agricultrice dans le village d’Ongido. « Aujourd’hui, je suis fière et j’explique même à mes enfants comment le programme m’a aidée. »
« Avant, j’étais ignorante puisque je ne savais pas lire », dit Judith Nyiwegi qui suit le programme dans le district de Panyango. « A présent, je suis capable de lire la Bible, j’ai appris à tenir ma maison et j’ai davantage d’autorité sur mes enfants. »
Pour d’autres, l’alphabétisation leur a donné confiance en eux-mêmes. « J’ai réussi à prendre la parole en public », dit Kulastika Okwanga, autre participant d’UPLIFT dans le district de Panyango. « J’aime savoir comment me tenir en public, comment faire des choses ensemble. »
Beaucoup de femmes avouent qu’elles se sentent mieux à même de tenir un petit commerce depuis qu’elles savent lire, écrire et faire des opérations simples. Les jeunes mères tout juste sorties du programme disent également qu’elles sont heureuses de pouvoir aider leurs enfants à faire leurs devoirs.
« On observe un regain de confiance », dit Elizabeth Kharono, directrice du conseil d’administration d’UPLIFT.
« Les femmes se sentent désormais reconnues chez elles et dans la communauté. Elles expriment leurs points de vue en public, organisent des réunions de femmes, font circuler l’information et ouvrent de petits commerces pour suppléer aux finances du ménage. » |