Revue n° 31-32, 1998
La spiritualité et le développement
Note de la rédaction : le texte ci-après est tiré d’un document intitulé : « Valorisation de la spiritualité dans le développement : Considérations initiales concernant la mise en place des indicateurs spirituels pour le développement » présenté par la foi bahá’íe au « Dialogue fois mondiales et développement », les 18 et 19 février 1998 à Londres [Voir article sous le titre « Une réunion inhabituelle entre banquiers et croyants » dans le même numéro].
Selon le point de vue bahá’í, le développement est un processus organique dans lequel « le spirituel s’exprime et se réalise à travers le matériel ». Il ne peut y avoir de développement réel sans un équilibre entre les processus apparemment antinomiques du progrès individuel et du progrès social, de la mondialisation et la décentralisation et de la défense des critères universels et la diversité culturelle. Dans ce monde de plus en plus interdépendant, la poursuite du développement doit être animée par des valeurs universelles et inspirée par une idée claire de ce que doit être la communauté mondiale.
Les communautés locales et nationales ne pourront progresser dans ce type d’avenir que si elles reconnaissent la dimension spirituelle de la nature humaine et donnent la priorité essentielle au développement moral, physique et intellectuel de l’individu. Elles devront garantir la liberté de religion et encourager l’édification des lieux de culte, défendre le respect des droits et des responsabilités, encourager l’égalité et le partenariat entre les femmes et les hommes, et protéger et éduquer les familles. Elles devront aussi promouvoir la beauté, naturelle et fabriquée, et avoir comme objectif la préservation et le réaménagement de l’environnement. Attachées au concept d’unité dans la diversité, elles préconiseront une large participation aux affaires de la société et se tourneront de plus en plus vers des dirigeants motivés par le désir de servir.
Les bahá’ís sont persuadés que cet avenir est inévitable et qu’il est même en marche. Ils sont aussi réalistes et comprennent que pour avancer vers cet avenir, il faut beaucoup de persévérance, de sacrifice et de changement. Le rythme et le coût de ce progrès seront en grande partie déterminés par les gouvernements, les organisations multilatérales, le secteur privé et les organisations de la société civile. Tous les intéressés doivent comprendre clairement l’enjeu afin de devenir des participants à part entière du processus.
Pour mesurer les progrès réalisés en matière de développement, les différents acteurs - institutions des Nations Unies, gouvernements, entreprises et chercheurs - utilisent des indicateurs économiques. Ceux-ci ne changent pas la réalité des choses mais peuvent nous aider à les percevoir et à avoir une compréhension commune de ce que représente le développement.
Aujourd’hui, de nombreux efforts sont entrepris pour que les indicateurs du développement reflètent mieux la réalité du progrès individuel et communautaire. Le plus intéressant est l’indice du développement humain, tel qu’il est calculé par le Programme des Nations Unies pour le Développement dans son Rapport annuel sur le développement.
L’idée selon laquelle les valeurs spirituelles sont essentielles pour le progrès humain, idée que la grande majorité de l’humanité reconnaît, est de plus en plus acceptée par les spécialistes laïques du développement. Les plans mondiaux d’action élaborés dans le cadre des grandes conférences de l’ONU au cours de cette décennie ont permis de considérer sous un angle nouveau le développement qui n’est plus conçu comme un processus vertical ayant pour moteur la technique et l’économie mais comme un processus dans lequel les individus et les communautés définissent et prennent en mains leur propre progrès. C’est pourquoi l’idée d’indicateurs du développement fondés sur la spiritualité est tout à fait d’actualité.
Les indicateurs établis sur la base des valeurs spirituelles évaluent le développement comme une fonction de l’application des principes spirituels. Au cœur de cette conception figure l’idée que la nature humaine est d’essence spirituelle et que les principes spirituels, qui reflètent l’existence de l’âme humaine, ont un énorme pouvoir de motivation au sacrifice et au changement. C’est pourquoi les hommes seront beaucoup plus enclins à appuyer des politiques et des programmes fondés sur des indicateurs spirituels plutôt que sur une conception purement matérielle de la vie. C’est en prenant ces mesures en compte que l’on pourra transformer non seulement la conception mais aussi la vraie gestion du développement, en essayant d’établir, de préciser et de donner un rang de priorité aux buts, objectifs et programmes.
Un indicateur fondé sur des principes spirituels doit notamment prendre en compte les éléments suivants : l’objectif de paix et d’unité pour l’avenir de l’humanité; le(s) principe(s) déterminant(s) pour la réalisation de cet avenir; le domaine d’action visé par ce(s) principe(s); et l’objectif dans lequel l’indicateur évalue le progrès. L’indicateur doit être mesurable et vérifiable sur les plans quantitatif et qualitatif et également adaptable à toutes sortes de contextes différents sans violer l’intégrité du ou des principe(s) en cause.
Nous suggérons pour commencer de retenir cinq principes : 1) l’unité dans la diversité; 2) l’équité et la justice; 3) l’égalité des sexes; 4) la confiance et la direction morale; et 5) la recherche indépendante de la vérité. Ces cinq principes peuvent être appliqués à des domaines de politique générale afin de créer des indicateurs de développement fondés sur des valeurs spirituelles. Aux fins de la discussion, nous suggérons pour commencer de retenir cinq domaines d’action : 1) le développement économique; 2) l’éducation; 3) la gestion de l’environnement ; 4) la satisfaction des besoins élémentaires dans les domaines de l’alimentation, de la nutrition, de la santé et du logement; et 5) la gestion des affaires publiques et la participation.
En juxtaposant ces principes et ces domaines d’action, il existe différentes méthodes pour créer des indicateurs du développement fondés sur des principes spirituels. Essayons par exemple d’appliquer à l’éducation le principe d’unité dans la diversité. Concrètement, il peut s’exprimer de plusieurs manières; un aspect particulièrement intéressant est sa relation avec le concept de conscience universelle.
On pourrait donc mesurer le pourcentage du temps consacré- en classe et après la classe - à telle matière ou telles activités aptes à éveiller la conscience universelle ou encore, analyser le contenu des manuels pour déterminer le nombre de pages consacrées à ce thème. Un autre indicateur serait de mesurer la part de cette matière dans les programmes des instituts pédagogiques.
L’identification proprement dite des objectifs du développement et la construction d’indicateurs du développement spécifiques fondés sur des valeurs spirituelles pourraient être un processus collectif. Nous proposons que les représentants des religions du monde se réunissent, éventuellement sous l’égide de la Banque mondiale ou d’une autre agence internationale de développement, pour commencer à réfléchir ensemble sur les principes spirituels et leur impact sur le progrès individuel et collectif. L’objectif serait, dans un premier temps, d’arriver à un accord sur un nombre limité de principes spirituels universels et sur un ensemble de domaines d’action prioritaires auxquels ces principes peuvent s’appliquer.
Le but ultime de cette initiative serait d’inscrire les principes spirituels au cœur du développement. Tout le monde s’accorde de plus en plus à reconnaître que le développement durable est impossible si le rôle de ces principes dans le progrès individuel et collectif n’est pas dûment reconnu. Il est donc non seulement opportun mais indispensable de développer des indicateurs pour mesurer et documenter ce progrès.
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