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Revue n° 41, 2001

Les représentants de la société civile se retrouvent au Forum du millénaire

La mondialisation a été longuement évoquée dans une déclaration adressée aux chefs d’Etat et de gouvernement rassemblés à l’occasion du Sommet du Millénaire.

NATIONS UNIES — Les représentants de plus de 1000 organisations non gouvernementales (ONG), venus de plus de cent pays, se sont retrouvés pendant cinq jours au mois de mai 2000, afin de formuler leur vision du futur, en particulier en ce qui concerne le rôle de l’ONU et de la société civile dans les domaines de la paix, de l’éradication de la pauvreté, des droits de l’homme, de l’environnement, de la mondialisation et du renforcement de l’ONU.

Organisé par les ONG, le « Forum du millénaire » a adopté une déclaration énergique sur cette vision commune et proposé une série de mesures concrètes à l’intention des gouvernements, de l’ONU, et de la société civile.

« Nous avons la vision d’un monde centré sur l’homme et véritablement démocratique dans lequel tous les êtres humains sont entièrement responsables de leur propre destin », lit-on dans la Déclaration du Forum « Nous les Peuples » et le Programme d’action adopté le 26 mai 2000. « Dans cette optique, nous nous considérons comme une famille humaine qui, dans toute sa diversité, vit dans une patrie commune et partage l’idée d’un monde juste, durable et pacifique selon les principes universels de la démocratie, de l’égalité, de l’intégration, du volontariat, de la non-discrimination et de la participation de tous, hommes et femmes, jeunes et adultes, sans distinction de race, de religion, de handicap, d’orientation sexuelle, d’appartenance ethnique ou de nationalité. »

La Déclaration a été présentée aux chefs d’Etat rassemblés au Sommet du millénaire en septembre 2000. Le Forum, né d’une proposition avancée par le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, constitue l’une des principales contributions de la société civile au Sommet qui a été vraisemblablement l’une des plus grandes rencontres de chefs d’Etats et de gouvernement jamais tenues dans le monde.

Le Forum a été considéré par certains comme un événement historique. « Je n’ai absolument pas hésité à qualifier cet événement ‘d’historique’ car je ne pense pas qu’un événement de cette nature se soit jamais produit à l’ONU », dit Miles Stoby, sous-secrétaire général de l’ONU et coordonnateur des préparatifs du Sommet du millénaire. « C’est la première fois qu’un forum mondial de la société civile était organisé pour examiner toutes les questions du monde au siège de la seule organisation qui soit vraiment internationale, l’Organisation des Nations Unies. »

Le Forum a aussi montré à quel point la mondialisation sera sans doute la question dominante de la nouvelle décennie. D’autres questions se sont greffées sur ce thème dans la Déclaration et la longueur du débat sur les effets positifs et négatifs de la mondialisation montre que la société civile est très partagée sur la question de savoir comment comprendre, caractériser et évaluer le phénomène.

« Il convient de définir la mondialisation », lit-on dès la première ligne de la section de la Déclaration sur la mondialisation.

De nombreux participants ont essayé de trouver un consensus sur la mondialisation et la Déclaration finale reconnaît qu’elle apporte certains bienfaits.

« La mondialisation et les progrès de la technologie permettent aux gens de mieux communiquer, de partager et d’apprendre les uns des autres. »

Il est cependant également souligné que « la mondialisation est un processus de domination économique, politique et culturelle des pays économiquement et militairement forts sur les pays faibles ».

Le Forum conclut qu’il faut renforcer et démocratiser l’ONU, en partenariat étroit avec la société civile, pour mieux maîtriser la mondialisation et les problèmes qui en découlent.

« La mondialisation devrait profiter à tout le monde et éliminer partout la pauvreté et la faim ; établir la paix ; protéger et promouvoir les droits de l’homme ; protéger l’environnement et établir des règles sociales sur le lieu de travail. Cela n’est possible que si les sociétés transnationales, les institutions financières et commerciales et les gouvernements sont soumis à un contrôle démocratique effectif. Une Organisation des Nations Unies renforcée et plus démocratique et une société civile active sont les meilleurs garants de cette responsabilité. »

Diversité mondiale

Tenu du 22 au 26 mai 2000 au siège des Nations Unies à New York, le Forum a réuni près de 1350 personnes venues de plus de 106 pays. Alors que plus de 1800 organisations de la société civile s’étaient inscrites, beaucoup n’ont pas pu se rendre à New York, faute de moyens. Certaines ont pu suivre les délibérations grâce à Internet, assister à la retransmission de certains événements sur le web et commenter les documents par courrier électronique.

Les principales préoccupations des participants couvraient un large éventail de questions allant de la paix et des droits de l’homme aux problèmes des femmes ou au développement. Les groupes représentés étaient aussi bien des petites organisations communautaires locales que des réseaux internationaux comptant des millions de membres. Il y avait aussi des représentants d’au moins 311 organisations ayant leur siège dans quelque 85 pays en développement ou des régions dites « en transition » avec des gouvernements aussi bien démocratiques que communistes.

« C’est un groupe remarquable », dit Paul Hoeffel, chef de la section des ONG au Département de l’information de l’ONU qui observait la foule présente à la session plénière finale. « La diversité des ONG est sans précédent, en particulier ici à New York. »

Le thème dominant du Forum, « Les Nations Unies au XXIe siècle » comprenait six thèmes secondaires 1) Paix, sécurité et désarmement ; 2) Elimination de la pauvreté, annulation de la dette et développement social ; 3) Droits de l’homme ; 4) Développement durable et environnement ; 5) Défis de la mondialisation : justice et diversité ; 6) Renforcement et démocratisation de l’Organisation des Nations Unies.

Les séances d’ouverture et de clôture se sont déroulées dans le Hall de l’Assemblée générale de l’ONU. Les six thèmes secondaires ont été analysés et discutés dans le cadre de huit séances plénières interactives et de plusieurs groupes de travail plus restreints réunis dans différentes salles de conférence de l’ONU.

Des documents sur chaque thème secondaire ont été publiés à l’issue de chaque séance et certains points de ces documents ont été incorporés dans la Déclaration principale. Le texte de ces documents se trouve sur le site Internet http://www.milleniumforum.org.

L’un des principaux résultats du Forum tient au fait que la société civile mondiale a travaillé ensemble sur les mêmes problèmes », dit Techeste Ahderom, co-président du Forum et principal représentant de la Communauté internationale bahá’íe auprès des Nations Unies. « Dans le passé, les ONG et la société civile étaient très compartimentées et s’occupaient essentiellement de questions proches de leurs préoccupations locales, régionales ou nationales. Mais, comme nous l’avons constaté à l’occasion d’autres forums d’ONG, il existe un processus mondial de partage de l’information et d’intégration. Et le Forum du millénaire - comme le montre la Déclaration finale - a fait avancer ce processus. »

Mondialisation et colonialisme

Dès la séance d’ouverture, au cours de laquelle se sont exprimés le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, le directeur général de l’Organisation internationale du travail, Juan Somavia, le président du Conseil des parlementaires de Global Action, Maj-Britt Theorin et le directeur du Réseau du Tiers Monde, Martin Khor, il était évident que la mondialisation serait le sujet le plus brûlant du Forum.

M. Annan dit que l’activité croissante déployée ces dernières années par les ONG équivalait à une « révolution des ONG » et que l’ONU accueillait volontiers ces dernières en tant que partenaires. Il a cependant noté que de nombreuses ONG avait commencé à protester contre le processus de la mondialisation qui, selon lui, allait être la question clé du siècle.

« Je pense que les protestataires (à la réunion de l’OMC à Seattle en 1999) voulaient montrer que les gens se sentent perdus et vulnérables dans ce monde en pleine évolution et qu’il faut aller vers eux et leur expliquer le lien entre les réalités locales et les réalités mondiales », dit M. Annan. « Au XXIe siècle, les peuples et les nations sont interdépendants, mais les problèmes le sont aussi. »

« Ce n’est pas une solution de protester contre la mondialisation en elle-même. Je pense que si les pauvres sont pauvres, ce n’est pas par un excès de mondialisation mais plutôt par un manque de mondialisation – parce qu’ils en sont exclus », ajoute M. Annan.

M. Khor a donné le ton de la semaine en comparant la mondialisation au colonialisme et en disant qu’elle n’était guère plus qu’un processus permettant aux sociétés transnationales et aux banques des pays développés d’ouvrir des marchés dans les pays en développement pour tirer des profits, tout comme le colonialisme a dépouillé les pays en développement de leurs matières premières et leur main-d’oeuvre sans grand profit réciproque.

« On dit couramment que la mondialisation a des effets positifs mais que leur répartition est inégale », dit M. Khor. « Le problème, c’est que cela n’est qu’à moitié vrai. En réalité, ce sont ceux qui profitent de la mondialisation qui peuvent causer la perte de ceux qui en pâtissent. Assurément, vous n’allez pas critiquer le colonialisme pour dire que puisque certains en profitent il vaut mieux répartir les bienfaits qui en découlent… Aujourd’hui, la mondialisation est une forme de résurgence du colonialisme. »

M. Annan, M. Khor et nombre d’autres intervenants ont souligné que, quelle que soit l’idée que l’on se fait de la mondialisation, le monde a besoin d’institutions fortes et démocratiques pour en maîtriser les effets et que le meilleur arbitre est une organisation des Nations Unies renforcée.

« Nous devons transformer l’ONU en une institution vraiment démocratique et participative, non seulement en y intégrant des ONG comme la nôtre mais également en permettant aux pays en développement de s’exprimer et de prendre des décisions non seulement à l’ONU mais aussi dans les domaines de la finance, de l’économie, du commerce, des investissements et de la politique sociale », ajoute M. Khor.

Mesures concrètes

Tant en séances plénières que pendant les séances de travail, les organisateurs du Forum ont demandé aux participants d’imaginer un monde meilleur et de proposer des mesures concrètes applicables par les gouvernements, l’ONU et la société civile. Dans la Déclaration finale, ces mesures ont été rattachées aux six principaux thèmes secondaires du Forum.

En ce qui concerne l’élimination de la pauvreté, celle-ci est considérée comme une violation des droits de l’homme, d’autant plus qu’avec près de 1,3 milliards de personnes vivant dans des conditions de pauvreté extrême, il s’agit de la violation la plus répandue dans le monde. Parmi les mesures proposées figurent la création d’un Fonds mondial d’élimination de la pauvreté pour permettre aux pauvres du monde entier d’avoir pleinement accès au crédit ; la mise en oeuvre des engagements pris au Sommet mondial pour le développement social de 1995 et l’annulation de la dette des pays en développement.

En ce qui concerne la paix, la Déclaration lance un appel à la création d’une culture universelle de la paix, par le désarmement général et l’élimination des armes nucléaires et autres armes de destruction massive ainsi qu’à l’acceptation inconditionnelle du traité de non-prolifération nucléaire et de la promotion de l’éducation pour la paix. Elle demande que soit créé de toute urgence un corps de médiateurs professionnels ainsi qu’une force de paix permanente, internationale, non violente et ouverte à tous pour faciliter la prévention et la solution des conflits dans les régions concernées.

La Déclaration souligne l’indivisibilité et l’interdépendance de tous les droits et invite l’ensemble des gouvernements à ratifier sans réserve les principaux traités des droits de l’homme internationalement reconnus. Elle demande aux gouvernements de ne pas justifier le déni de certains droits par rapport à d’autres mais de veiller à ce que tous les droits individuels et collectifs soient sauvegardés dans la perspective du développement durable, de l’investissement et du commerce. Le document exige la protection des défenseurs des droits de l’homme, souligne qu’il est important de mettre fin à toutes les formes de violence et de discrimination contre les femmes et les filles et demande instamment que les droits de l’homme aient une place plus grande dans l’éducation.

En ce qui concerne le développement durable, la Déclaration réaffirme les principes énoncés dans Action 21 et prie instamment les gouvernements de se référer aux engagements pris au Sommet de la Terre, notamment à la promesse faite par les pays développés d’attribuer 0,7 % de leur PNB à l’aide au développement. Elle entend également intensifier la coopération entre les gouvernements et la société civile pour appliquer les dispositions d’Action 21.

La partie dédiée à la mondialisation invite les gouvernements à mettre en place un système financier équitable, ouvert, responsable et démocratique et, avec la participation de la société civile, d’équilibrer les moyens monétaires en faveur des activités axées sur l’homme et l’écologie. Les gouvernements sont également priés de porter une attention particulière à la suppression des impôts injustes, aux paradis fiscaux, et aux opérations de blanchiment d’argent et d’imposer des taxes nouvelles comme la taxe Tobin. Quant aux institutions financières internationales, elles sont priées de supprimer les conditionnalités négatives auxquelles sont assortis les programmes d’ajustement structurel.

La Déclaration souligne la nécessité d’adopter de toute urgence des mesures pour renforcer l’Organisation des Nations Unies. Elle invite notamment à la réforme du conseil de sécurité et à l’élargissant à d’autres membres, en renforçant sa flexibilité, sa transparence et ses responsabilités et éventuellement en éliminant le droit de veto.

Forum mondial de la société civile

L’un des objectifs du Forum était de trouver des moyens permettant une meilleure représentation de la société civile au sein de l’ONU.

Dans son dernier paragraphe, la Déclaration propose la création et le financement d’un Forum mondial de la société civile qui se réunirait au moins tous les deux ou trois ans avant la session annuelle de l’Assemblée générale, étant entendu qu’il respecterait les règles de la démocratie et de la transparence et serait véritablement représentatif de tous les secteurs de la société civile du monde entier.

Cependant, peu de progrès ont été réalisés en ce qui concerne la définition exacte de ce Forum. Plusieurs idées ont été émises, comme celle de transformer le Conseil de tutelle en une « Assemblée mondiale des peuples » ou simplement de continuer à travailler ensemble, comme le font les ONG depuis les années 1990 avec une très grande efficacité.

À la fin du procès verbal du Forum, les participants ont adopté une résolution demandant à la Conférence des organisations non gouvernementales dotées d’un statut consultatif auprès de l’ECOSOC (CONGO) de convoquer une réunion pour poursuivre les discussions sur les modalités de la création d’un tel Forum.

La résolution formulée à la hâte et en termes assez vagues, laisse entendre que les représentants du Comité exécutif DPI-ONG (qui représente les ONG reconnues par le Département de l’information de l’ONU) ainsi que le Comité exécutif du Forum du millénaire devraient participer à la création de ce Forum. Selon le co-président Ahderom, le Forum devrait avoir un secrétariat, une direction et des procédures propres.

Le processus de rédaction qui a débouché sur la Déclaration a été l’une des activités les plus vivantes du Forum. L’intention des organisateurs du Forum était d’inclure dans la Déclaration les points proposés en sessions plénières et sessions de travail. Les membres du comité de rédaction de la Déclaration ont également tenu plusieurs « débats publics ».

Pera Wells, membre du Centre pour l’éducation des aborigènes d’Australie, qui faisait partie du comité de rédaction, a dit que le processus lui avait paru être un exercice de démocratie participative à l’échelle mondiale.

« Ce n’était pas démocratique au sens d’une procédure démocratique officielle où l’on pèse et délibère car nous n’avions pas le temps de réfléchir ou d’évaluer nos propositions », dit Mme Wells. « Ce qui s’est produit alors, c’est que nous avons su créer la dynamique d’un village planétaire. »

« On se serait cru sur une place de marché », poursuit-elle. « C’était très ouvert et tout le monde pouvait donner son point de vue d’une manière qui m’a paru très saine. Peu importe qui vous représentiez. Seule comptait la valeur attachée à l’idée que vous défendiez. »



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