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Revue n° 45-46, 2003

A Londres, un débat enrichissant sur la science et la morale

LONDRES, Royaume-Uni — Y a-t-il une explication scientifique au comportement moral ? Notre sens moral est-il inscrit quelque part dans notre cerveau ? Ces deux questions, parmi de nombreuses autres, ont été soumises à la réflexion des participants à une conférence tenue au Royal College of Physicians à Londres.

L’objet de cette conférence, organisée par le docteur Graham Walker, était de s’interroger sur l’éventuelle preuve scientifique d’un siège neurologique, d’une base génétique ou encore du caractère inné de la moralité.

« Où que l’on regarde, en soi ou autour de soi, on est tiraillé par la diversité des conceptions de la morale selon la culture, la religion et l’époque », dit docteur Walker, chirurgien de la tête et du cou à Londres et membre de la communauté bahá’íe du Royaume-Uni. « Ce type de problème perdurera tant que nous n’aurons pas établi une base morale commune », poursuit-il. « Il faut donc faire appel à la science et à la logique. »

Plus de 60 délégués, représentant aussi bien les disciplines médicales, scientifiques, que philosophiques, ont assisté à la conférence.

Dans son discours liminaire, le docteur Hossein Danesh, professeur de psychiatrie et président de l’université internationale de Landegg en Suisse, a examiné la relation entre la science, la religion et l’éthique. Il pose comme principe que l’humanité est en train de glisser d’une attitude narcissique axée sur la survie vers la construction d’un avenir de paix.

Un centre de la conscience ?

La thèse de la baronne Susan Greenfield, neurobiologiste à l’université d’Oxford, selon laquelle il n’y aurait pas dans le cerveau de siège spécifique de la conscience et, par voie de conséquence, des facultés morales, a suscité une vive discussion. Ses recherches suggèrent que le sens moral est plus une affaire d’expérience que de génétique.

D’autres intervenants ont montré que la région orbito-frontale du cerveau pourrait être le siège d’un centre moral. Faraneh Vargha-Khadem (professeur de neurologie à l’Institut de pédiatrie, University College, Londres) et le docteur Sean Spence (chef de clinique en psychiatrie à l’université de Sheffield, Royaume-Uni), ont soutenu que certaines études montraient que des lésions du cortex orbito-frontal pendant l’enfance semblaient provoquer l’apparition d’un comportement sociopathe à la puberté.

« L’apparition tardive de profils sociopathes chez les enfants ayant souffert précocement de lésions orbito-frontales bilatérales semble suggérer que ces régions assument leur rôle fonctionnel plus tard, peut-être après le début de la puberté », dit Mme Vargha-Khadem.

Pour cette dernière, ce type de recherche peut « aider à comprendre comment ces comportements asociaux et leurs précurseurs se développent au cours d’une adolescence normale, et comment un individu qui mûrit normalement maîtrise assez bien des émotions et des motivations qui sinon déboucheraient sur des comportements asociaux ».

L’effort de mentir

Le docteur Spence a démontré, à partir de scanographies cérébrales obtenues grâce à la neuroimagerie, que l’acte de mentir peut être associé à une activité accrue des cortex préfrontaux ventrolatéraux bilatéraux.

« Le mensonge et la duplicité agissent comme des fonctions de commandement ‘supérieures’ », dit docteur Spence. « Il faut plus de temps au cerveau pour mentir que pour dire la vérité, ce qui indique un cheminement plus long que l’on observe souvent dans les fonctions de commandement comparées à la condition ‘primaire’ dans ce cas-ci, la ‘vérité’ ». Et il ajoute : « Il est intéressant de constater que cette thèse concorde avec celle de Saint Augustin selon lequel la sincérité est l’état naturel de l’homme. »

La taille du cerveau et les primates

Robin Dunbar, professeur de psychologie évolutionniste à l’université de Liverpool, a présenté son étude sur les primates où il examine la relation entre le volume du néocortex cérébral et la conscience sociale chez les grands singes et les humains.

« Le volume du néocortex a considérablement augmenté dans les lignées de primates aboutissant à l’homme moderne. »

« Ce qui est important à propos de la taille du cerveau des grands singes, c’est l’accroissement soudain et tout à fait extraordinaire du volume des lobes frontaux du néocortex », ajoute-t-il, en précisant que le cortex frontal est « le centre de tout acte intelligent ». Et il poursuit : « Il semble que ce ne soit pas par hasard que c’est exactement à ce moment-là que l’on commence à démontrer l’existence d’une conscience sociale développée. »

Il dit encore que si le degré de conscience sociale nécessaire pour acquérir un sens moral dépasse la capacité des grands singes, certaines formes de comportement moral sont toutefois évidentes chez les grands singes qui forment des groupes sociaux.

« La sociabilité a un coût : celui du renoncement à ses souhaits ou à ses désirs immédiats pour trouver une solution sociale aux problèmes de la vie », reprend-t-il. « En d’autres termes, les espèces sociales, comme les primates, optent pour une solution coopérative aux problèmes qu’ils rencontrent, mais elles doivent alors compenser le prix à court terme par les bénéfices escomptés à long terme. »

« La religion, quant à elle, n’est possible qu’avec une conscience sociale développée, au-delà de celle dont les grands singes sont capables. La religion et son élément clé, notre disposition à nous plier à la volonté collective, est sans doute la question la plus intrigante de l’évolution humaine. »

Des valeurs universelles

Dans une étude intitulée « Valeurs universelles », William Hatcher, professeur de mathématiques à l’université de Laval, Québec (Canada), présente un point de vue philosophique sur la moralité humaine. Il explique qu’il existe en réalité des valeurs humaines fondamentales et universelles qui sont en contradiction avec les notions de relativité culturelle généralement admises.

« Le fait que la connaissance modifie profondément les jugements de valeur ne signifie pas que tous les jugements de valeur soient foncièrement ou arbitrairement dictés par la société. En effet, nombre de ces jugements ont leur source dans l’expérience première par laquelle nous avons tous perçu différents aspects de la réalité comme étant relativement agréables ou relativement désagréables », dit-il. Il donne l’exemple des nouveaux-nés qui font tous la grimace devant le goût amer de la quinine mais qui apprécient le goût sucré du miel. « Cette expérience primaire, binaire, de ce qui est agréable ou désagréable est ancrée dans l’essence et l’universalité de la nature humaine et possède donc un caractère essentiellement transculturel. »

Le fait que les êtres humains soient réceptifs à l’amour, à la tolérance et à la gentillesse n’est « pas simplement une affirmation de moralistes mais une donnée de la nature humaine qui s’appuie sur des preuves scientifiques », poursuit M. Hatcher. « C’est pourquoi, nous posons comme vérité métaphysique fondamentale qu’il existe une nature humaine intrinsèque, essentielle, universelle. »

Selon les participants, la plupart des recherches présentées à la conférence indiquent que le développement de la moralité a un double aspect : une composante physique ou génétique, et une composante fondée sur l’expérience ou l’éducation.

« D’une manière générale, il a été reconnu que sans l’intervention d’un ensemble donné de processus neurobiologiques, le développement moral est très difficile », dit M. Penn. « En d’autres termes, la conférence aurait montré, sous des perspectives différentes, que la nature offre à l’homme les conditions qui lui sont nécessaires pour développer son sens moral et que, pour corriger ses insuffisances sur ce plan, il faut aussi prendre en compte ses besoins biologiques essentiels. En outre, des facteurs sociaux complètement extérieurs à la personne humaine (par exemple, la justice sociale) paraissent essentiels au développement moral. »

Le docteur Walker a eu, lui aussi, le sentiment que les participants reconnaissaient l’existence d’un « facteur neurologique dans la moralité ou le développement de la moralité ».

« Si cette faculté existe, elle peut être stimulée par des expériences appropriées », dit-il. « En revanche, il semble que des expériences négatives entraînent l’individu dans le sens inverse et le poussent alors dans l’immoralité, voire la criminalité ou la sociopathie. »

C’est la pratique de la Foi bahá’íe qui a donné au docteur Walker l’idée d’organiser la conférence. « Le rapprochement entre la science et la religion n’est certes pas unique à la Foi bahá’íe mais est un principe fort de cette foi », dit-il. « S’il est établi qu’il existe un lien entre la science et la religion, cela devrait également valoir pour des concepts tels que la spiritualité et la moralité. »

Le docteur Walker espère rassembler des preuves suffisamment solides du fondement scientifique de la moralité pour en faire un point de rencontre entre différentes disciplines.



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