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Revue n° 45-46, 2003

En Bolivie, un programme original d’éducation morale connaît un brillant succès

SANTA CRUZ, Bolivie — Le barrio de La Fortaleza est situé à l’extrême sud de cette ville des plaines occidentales de la Bolivie et, comme la plupart des bidonvilles qui ont poussé autour des villes d’Amérique latine, il est aux prises avec de nombreux problèmes, tels que le délabrement des logements, l’analphabétisme ou la criminalité.

C’est en partie à cause de cet environnement que l’action de Silvia Tarachi, 18 ans, et de ses amis a un caractère aussi spectaculaire. Dans un milieu où il existe bien peu d’institutions sociales de soutien ou d’orientation, Silvia et ses amis ont eu l’idée de former un petit groupe de jeunes pour rendre service au voisinage.

« Nous nous réunissons tous les samedis pour décider de ce que nous allons faire », dit Silvia Tarachi qui étudie à l’école Luis Espinal de La Fortaleza. « Nous allons par exemple faire le ménage dans un centre d’accueil pour enfants ou rendre visite à des handicapés ou encore chercher de la nourriture pour les pauvres du quartier. »

Silvia Tarachi pense que si elle tient tant à servir la communauté c’est grâce au programme d’éducation morale qu’elle a suivi à Nur, une université privée d’inspiration bahá’íe située à Santa Cruz qui vient de lancer ce programme pour les jeunes. Aujourd’hui enseigné dans 12 établissements secondaires des quartiers les plus pauvres de la ville, ce programme propose aux jeunes des ateliers et des activités pour les aider à se dépasser et à appliquer le principe selon lequel diriger c’est avant tout servir les autres.

« Avant ce programme, je n’aurais jamais eu l’idée de créer un tel groupe dans mon quartier », dit Silvia Tarachi. « Le programme m’a aidée à être plus entreprenante et plus compréhensive. Sans lui, je n’aurais pas été aussi active et désireuse d’aider les personnes démunies. »

Plus de 1 200 jeunes de Santa Cruz ont participé à ce programme depuis son lancement en 1998 et ils ont mis sur pied des douzaines de petits projets comme celui de Silvia Tarachi et de son groupe, tels que la plantation d’arbres dans leurs écoles, la peinture des salles de classe ou même le nettoyage de la place d’un quartier.

En mars 2002, la Banque interaméricaine de développement a retenu leur action parmi l’un des 12 meilleurs projets menés par des jeunes d’Amérique latine et des Caraïbes.

Le succès de ce programme n’est toutefois qu’un exemple parmi d’autres de ce que fait l’université Nur pour promouvoir un nouveau concept de valeurs morales axées sur le travail en équipe et le service de la collectivité, au sens large, plutôt que sur son ambition personnelle. Cette initiative prend corps non seulement dans les programmes des 1er et 2ème cycles à l’université Nur elle-même, mais aussi dans les différents projets communautaires qui au cours de la dernière décennie ont été menés avec la participation de milliers d’enseignants d’écoles rurales, de membres actifs de la société civile et de responsables municipaux en Bolivie, en Equateur et en Argentine.

Cette initiative a été très applaudie. Ces projets ont reçu le soutien de nombreuses organisations internationales, nationales et locales telles que la Banque mondiale, le ministère bolivien de l’éducation et la mairie de Santa Cruz.

« Nombre d’organisations internationales, nationales ou municipales, admettent de plus en plus que l’on assiste à une crise du pouvoir et que les modèles et schémas traditionnels sont incapables de relever les défis des sociétés en développement », dit Eloy Anello, président du conseil d’administration de Nur et concepteur original du programme d’éducation morale. « Tous pensent que le cadre conceptuel du programme offert par l’université donne à ceux qui souhaitent le changement les moyens et la motivation nécessaires pour mettre le meilleur d’eux-mêmes au service du bien commun. »

Plus précisément, Nur a inclus cette formation dans plusieurs projets extérieurs qui utilisent le programme de Santa Cruz, par exemple :

• Formation d’enseignants d’écoles rurales - Depuis 1994, en collaboration étroite avec les ministères de l’éducation de Bolivie et d’Argentine, plus de 1 100 enseignants d’écoles rurales ont suivi les douze modules de formation spécialisée offerts par l’université Nur pour devenir médiateurs dans les communautés où ils enseignent. Ce programme est permanent.

• Formation d’éducateurs en Equateur - En 1998, l’université a été chargée par la Banque mondiale et le ministère équatorien de l’éducation de former 1 000 médiateurs pour conduire la réforme de l’éducation en Equateur. Nur a pris la tête du groupe des onze universités chargées de mener à bien le projet.

• Formation d’employés municipaux - Dans le cadre d’une série de réformes gouvernementales récentes visant à renforcer la démocratie en Bolivie et avec le financement d’organisations telles que la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement et le gouvernement bolivien, Nur a lancé une série de programmes de formation à l’intention des employés municipaux, des fonctionnaires et des membres de la société civile. Ces programmes, reprenant certains éléments du programme d’éducation morale, étaient adressés aux maires, aux responsables municipaux, au personnel technique et aux fonctionnaires de 46 municipalités de l’Etat de Santa Cruz et, dans le cadre d’un autre projet séparé, aux 200 organisateurs autochtones d’un programme mené conjointement avec la Fondation Sullana dans l’Etat de La Paz. D’autres programmes similaires intéressant des centaines de participants sont en cours.

« Le programme a encouragé le travail en équipe et changé l’attitude des gens par rapport à leurs responsabilités individuelles et collectives et l’éducation de la société », dit Magaly Robalino, qui a coordonné le programme d’éducation morale en Equateur pour le compte du ministère équatorien de l’éducation. « Gérer les autres, ce n’est pas agir seul, mais c’est construire une société en perpétuelle évolution. »

Elena Swarez, chef de la section des programmes spéciaux à la Banque interaméricaine de développement dit ceci : « Si la Banque a sélectionné le projet de Santa Cruz, c’est sans doute parce que son objectif, apprendre à servir, n’est pas très courant, mais aussi parce qu’il montre que les compétences techniques ne suffisent pas et qu’il faut aussi forger le caractère et défendre la citoyenneté. »

Elle ajoute : « Nous pensions également que la structure du projet, qui s’appuie sur un réseau de secteurs très différents, les parents, les étudiants et collégiens, ainsi que la communauté, est très importante alors que nous parlons de changement économique et social. Nous sommes convaincus que cette structure peut être reproduite ailleurs et servir de modèle à d’autres programmes. »

Une approche faisant appel à la participation

« Si les programmes d’éducation morale ont été efficaces, quel que soit le contexte, c’est parce qu’ils font appel à la participation de tous », reprend M. Anello. Les participants doivent reconnaître les erreurs des modèles traditionnels et construire un nouveau modèle conceptuel pour déterminer les qualités qui doivent être celles d’un bon dirigeant.

« L’idée, c’est que l’enseignement ne doit pas être uniquement théorique, ni simplement destiné à montrer comment faire une chose, mais qu’il doit plutôt viser la transformation des mentalités et, en définitive, de l’individu », dit Juanita Hernandez, coordinatrice du Département d’éducation à Nur. « Car si on ne change pas sa façon de penser, on ne change pas non plus sa façon d’agir. »

C’est ainsi que les sessions de formation commencent toujours par une discussion sur les styles ou modèles traditionnels de gestion. Les auteurs du programme les ont ramenés à quatre : autoritaire, paternaliste, dogmatique et manipulateur. Le modèle « démocratique » est aussi examiné, notamment en tant que porteur d’une promesse de plus grande participation. Les étudiants finissent par comprendre que les quatre premiers modèles ont tendance à renforcer le pouvoir du chef sans tenir compte des opinions ou des capacités des autres membres de la communauté. Et, alors que la démocratie, sous sa forme idéale, devrait éviter de tels pièges, elle fait trop souvent élire des chefs qui ensuite reproduisent un seul des modèles.

A mesure que le cours progresse, un nouveau modèle est présenté : la gestion morale. Il se caractérise notamment par une volonté permanente de servir les autres, un engagement actif pour la transformation de l’individu et du groupe, la recherche de la vérité à tout moment, le recours à la consultation dans la prise de décision et la reconnaissance de la noblesse intrinsèque de l’être humain.

Selon les auteurs du programme, tous ces concepts s’appuient sur la reconnaissance de la réalité spirituelle et matérielle de l’homme.

« Nous croyons fermement que la moralité et l’éthique sont indissociables de la spiritualité », dit John Kepner, directeur des programmes de développement économique et social à Nur. « Tous les problèmes engendrés par les styles traditionnels de pouvoir sont insignifiants parce que, au lieu de s’appuyer sur des valeurs humaines nobles, ils ne visent que le pouvoir au service d’une ambition personnelle. »

« En établissant un système de valeurs supérieures, la reconnaissance de la noblesse et de la spiritualité intrinsèques de l’homme permet à l’individu de maîtriser son moi de façon à pouvoir servir les autres », dit encore John Kepner qui explique que ces principes fondamentaux se retrouvent dans la quasi-totalité des croyances religieuses.

Ceux qui ont travaillé pour le programme ou qui l’ont suivi, disent qu’il a été un remarquable moyen de transformation individuelle professionnelle et, parfois, personnelle.

Changer de mentalité

« Pour ce qui est de la transparence, la mentalité a sensiblement changé dans les municipalités où le programme de Nur a été appliqué », dit Jorge Orihuela, consultant pour le Rural Participation Investment Project II. Le programme a aidé tant les responsables municipaux que les nouveaux comités de « vigilance » à mieux comprendre comment une administration devrait fonctionner.

« C’est grâce à la méthode que ça marche », reprend M. Orihuela. « La dynamique de groupe pratiquée en classe est fondée sur la participation qui permet de tirer parti des expériences de chacun. Ainsi, le cycle de formation n’est-il pas seulement axé sur la théorie mais aussi sur la pratique. »

Juan Condor, 41 ans, éducateur à Sucre (Bolivie), dit que sa formation à Nur a été décisive en ce sens qu’en tant que directeur d’une petite école rurale à Alcala, elle l’a aidé à être moins autoritaire et moins rigide et beaucoup plus ouvert et créatif.

« J’avais l’habitude de tout contrôler et mes relations avec les enseignants n’étaient pas des meilleures », dit M. Condori. « Or, après ma formation à Nur, j’ai petit à petit appliqué ce que j’avais appris et les relations se sont améliorées. »

« Nous sommes partis de l’idée que l’école devrait se projeter dans la communauté et avons décidé d’ajouter des cours de formation professionnelle. » L’école dispense aujourd’hui des cours en menuiserie, agriculture, et élevage et elle a demandé l’aide du gouvernement pour former également les adultes.

Marisol Consuelo Flores, qui enseigne la religion et la morale aux élèves du primaire dans une école publique de Sucre, dit que le programme l’a aidée à apprécier la diversité de ses élèves. « J’ai dans mes classes des témoins de Jéhovah, quelques mormons, des pentecôtistes, des évangélistes, deux bahá’ís ainsi que des catholiques », dit Melle Flores, 32 ans. « Avant, je me contentais de donner le point de vue de la religion catholique, mais je sais maintenant que chacun a le droit de croire autre chose et que je dois respecter les différentes croyances. »



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