Revue n° 55-56, 2007
En Hongrie, une initiative à l’égard des mères Roms vise à briser le cycle de l’illettrisme
Un projet d’inspiration bahá’íe encourage les mères à apprendre à lire et à raconter des histoires à leurs enfants afin de développer une culture de la lecture à la maison. REGION DE JASZSAG, Hongrie — Avant de participer au projet MESÉD, Agi Racz avait honte de ne pas savoir lire et peur d’apprendre. « Au début, j’avais des doutes, des appréhensions », dit cette mère de quatre enfants qui appartient à la communauté Rom.
Cependant, encouragée par les bénévoles coordonnant le projet et par les autres participants, elle est parvenue à surmonter son angoisse.
« Comme je me sentais bien avec mes amis, j’ai fini par ne plus avoir honte. Si quelqu’un n’arrivait pas à lire, les autres l’encourageaient : ‘Ça ne fait rien, continue’ disaient-ils. J’ai compris que je pouvais y arriver moi aussi sans que l’on se moque de moi. »
Mme Racz fait partie de la quarantaine de participantes au projet MESÉD lancé par la communauté bahá’íe de Hongrie en 2003 afin d’apprendre à lire et à écrire aux femmes Roms défavorisées.
Mis en œuvre dans huit villes hongroises, le projet est original en ce qu’il vise à apprendre à lire et à écrire à travers la narration d’histoires. MESÉD est l’acronyme de « Meselo Edes Anyak » qui signifie « Mères conteuses ».
Le but est d’encourager les mères à lire des histoires à leurs enfants afin de développer une culture de la lecture à la maison et ainsi rompre le cercle vicieux de l’illettrisme qui perdure d’une génération à l’autre.
« Nombre de femmes tsiganes n’ont aucune notion de ce qu’est la lecture, ni la confiance nécessaire pour lire à haute voix », dit Furugh Switzer la directrice du projet. « Elles deviennent généralement mères à un très jeune âge et leur distance à l’égard de la lecture augmente. »
« Elles ont tendance à avoir un sentiment d’infériorité, ce qui altère leur vision de la vie et d’elles-mêmes. Etant incapables d’aider leurs enfants à faire leurs devoirs, ou de transmettre un enthousiasme ou un amour pour les livres et la lecture, un cercle vicieux d’illettrisme s’installe », ajoute Mme Switzer.
Hajnal Racz, mère de trois enfants et participante au projet [non apparentée à Agi Racz, nom courant chez les Roms], raconte aussi qu’au début elle avait honte et était intimidée, mais qu’elle a finalement pris confiance en elle.
« Au début, ça nous faisait tout drôle d’être obligées de lire », dit-elle. « Nous essayions de ne pas faire de fautes, mais nous en faisions encore plus parce que nous avions peur. Après un certain temps, nous avons compris qu’il ne fallait pas avoir honte. À mi-parcours, nous avions fait d’énormes progrès et à la fin du projet nous étions capables de lire parfaitement. »
En 2003, le MESÉD a été sélectionné parmi cinq projets présentés au Parlement européen comme programme de soutien à la Décennie internationale de l’UNESCO pour la promotion d’une culture de la non-violence et de la paix au profit des enfants du monde.
Le projet a également attiré l’attention des autorités locales. Leko Belane Malika, maire-adjoint de Jakohalma (l’un des villages de la région de Jaszsag où habitent de nombreux Roms et l’un des principaux centres où travaille le MESÉD), a récemment qualifié les animateurs du projet de « professionnels dévoués qui ont à cœur de réaliser l’égalité, question cruciale dans le monde d’aujourd’hui ».
« C’est un travail de pionnier dans ce domaine », dit M. Malika. « Et j’aimerais exprimer ma gratitude pour ce travail. »
Les Roms, qui représentent près de six pour cent de la population hongroise, sont considérés comme la minorité la plus démunie et la plus marginalisée du pays. Selon le Programme des Nations Unies pour le développement, le taux d’alphabétisation des Roms est nettement inférieur à celui de l’ensemble de la population hongroise, en particulier chez les personnes âgées de plus de 45 ans. Dans cette tranche d’âge, 97% de la population globale en Hongrie sait lire et écrire alors que le pourcentage ne s’élève qu’à 77% chez les Roms.
Les statistiques portant sur la réussite scolaire des enfants Roms sont encore plus alarmantes. Selon un article publié dans le Hungarian Quarterly, environ 36% des enfants Roms n’avaient pas reçu d’instruction élémentaire complète en 2000 contre 5% pour les autres enfants hongrois. La différence est encore nettement plus marquée pour les classes supérieures. En 2001, environ 20% des enfants Roms sont entrés dans un établissement secondaire contre 73% pour les autres enfants.
Le MESÉD, qui met l’accent sur l’apprentissage précoce de la lecture, espère aider à rompre le cycle de l’illettrisme en offrant gratuitement des cours hebdomadaires de lecture et d’écriture.
« A un niveau élémentaire, cette initiative rend les femmes autonomes », dit Mme Switzer. « Cela change la relation de la mère avec les livres et le savoir et lui donne une perception positive qu’elle transmettra ensuite tout naturellement à ses enfants. Les femmes commencent à se sentir actrices à part entière du changement. »
Andrea Racz souligne que le cours l’a vraiment aidée à comprendre ce qu’est la maternité. « Le rôle de la mère est très important dans une famille », dit-elle. « Si une mère se sent bien chez elle, sa famille sera heureuse parce qu’elle ne pense pas seulement au quotidien mais qu’elle prépare aussi l’avenir de ses enfants. Nous sommes des mères, mais nous élevons des futures mères et des futurs pères. »
L’un des principaux objectifs du projet est de créer un espace où les mères de famille Roms peuvent exprimer leurs sentiments, leurs doléances et leurs espoirs en toute sécurité et en toute confiance. « Ce qui était le plus important pour nous », dit-elle, « c’est que nous avons trouvé une nouvelle famille où l’ambiance était très chaleureuse ».
Furugh Switzer parle des liens affectifs et de partage qui se sont tissés. « Les mères ont commencé à parler de leur enfance. Comme elles ont trouvé un milieu accueillant, aimant et sécurisant – une expérience totalement nouvelle dans leur vie au sein d’une communauté très marginalisée – elles ont vidé leurs cœurs et parlé du passé. »
La première phase du projet met l’accent sur l’apprentissage de la lecture élémentaire grâce aux livres d’enfants ainsi que sur l’enseignement des valeurs illustrées dans ces livres.
Chaque semaine, les mères reçoivent un nouveau livre qu’elles emportent à la maison et font la lecture à leurs enfants tous les soirs. Elles peuvent ainsi mettre tout de suite en pratique ce qu’elles viennent d’apprendre.
« De retour à la maison, nous devions lire l’histoire à nos enfants », dit Andrea Racz. « Tous les soirs, nous leur faisions la lecture. Ils attendaient l’histoire avec impatience. »
Au total, les mères ont lu une quinzaine de livres – donnés gratuitement – qui constituent une petite bibliothèque pour la famille.
« Des études montrent que plus on lit de livres aux enfants avant qu’ils commencent l’école, plus ils ont de chances de réussir », dit Mme Switzer. « Ainsi les enfants Roms sont eux aussi les bénéficiaires de ce projet. Ils sont mieux armés à leur entrée à l’école et abordent la lecture avec un a priori positif. Sans doute aussi seront-ils davantage aidés à la maison par leurs mères, mieux préparées pour suivre les progrès de leurs enfants à l’école. »
Julika Kovacs, mère de trois enfants, a parlé de l’enthousiasme de ses enfants pour la lecture. « Ils attendaient régulièrement chaque semaine le nouveau livre que j’allais leur lire. Ils lisent tout le temps, tous les trois, et se disputent toujours pour être les premiers à lire. »
Les mères apprennent également à se servir de ces histoires dans la vie quotidienne pour apprendre à leurs enfants des valeurs élémentaires telles que l’honnêteté, la bonté et la générosité.
« Lorsque mon petit garçon a des problèmes et que je n’arrive pas à lui faire passer un message, je lui lis une histoire et lui parle des principaux personnages », dit Andrea Racz. « Ensuite nous commentons leur comportement, ce qu’ils ont fait de bien ou de mal. Parfois, je me contente de lui rappeler le litre du livre, par exemple ‘Franklin aide’, et il comprend. »
Marika Farkas, une autre participante, dit pour sa part que la lecture en famille a eu un effet positif pour tout le monde. « Chaque semaine, toute la famille se retrouve autour d’un livre, papa, maman et les enfants, et la lecture en famille rend l’espace familial plus chaleureux. »
A ce jour, dix groupes de mères ont suivi la première phase du projet dans toute la Hongrie. Le projet MESÉD a pour ambition de se développer. La prochaine étape consistera à former des animateurs qui, par la suite, coordonneront les réunions du MESÉD. Lorsqu’un nombre suffisant de femmes auront été formées, le projet passera à la phase deux : l’apprentissage de l’écriture.
« Je recommande fortement ce cours », dit Andrea Racz. « Les Hongroises et les Roms apprennent à se connaître et à réfléchir ensemble et elles vont ainsi comprendre que non seulement elles peuvent, mais qu’elles doivent vivre ensemble. »
Elle ajoute : « Soyons toutes fières d’être mères et de faire tous les efforts possibles pour nos enfants. »
— Yaz Taherzadeh |