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Revue n° 4, 1990

L’environnement et le développement — un point de vue de l’Afrique

Extraits d’une conférence organisée par le Club de Rome, le Bureau de liaison des Nations Unies avec les Organisations non-gouvernementales et la Communauté internationale bahá’íe

Le 11 septembre dernier, le Club de Rome, conjointement avec le Bureau de liaison des Nations Unies avec les Organisations non-gouvernementales et la Communauté internationale bahá’íe ont organisé sous un patronage commun un forum intitulé « L’Afrique — environnement et développement — perspectives des Organisations non-gouvernementales pour la décennie 1990-2000 ».

Ainsi que son titre l’indique, cette réunion d’une journée avait pour but d’étudier les liens qui peuvent exister entre le développement de l’Afrique et son environnement, et au delà, l’influence que peuvent avoir ces rapports sur les conditions de vie au niveau planétaire. Ce thème est appelé à rester longtemps un sujet particulièrement sensible étant donné la concurrence accrue pour satisfaire les besoins en terre, bois de charpente, faunes et autres, au fur et à mesure que l’Afrique s’avancera sur la voie d’un plus grand développement.

Le forum a été caractérisé par la diversité de ses participants qui représentaient une large gamme de disciplines, d’institutions, et d’organisations intéressées par le sujet traité. On pouvait y rencontrer aussi bien les représentants d’importants organismes occidentaux d’aide au développement, que des groupes actifs dans le domaine de l’environnement tel que USAID et le WWF (Fonds mondial pour la nature). On remarquait également des Organisations non-gouvernementales nées d’initiatives associatives, tels que le Forum des organisations bénévoles pour le développement de l’Afrique et la Fondation africaine pour le développement ainsi que des institutions de réflexion comme l’Institut Nord-Sud ou le Club de Rome.

Le forum commença avec les Africains à la tribune et les Occidentaux dans le public. Puis, lors des séances d’atelier de l’après-midi, constituées par petits groupes de discussion, on s’efforça de briser les vieilles hypothèses et les relations traditionnelles. La journée prit fin par une conférence de M. Bertrand Schneider, Secrétaire général du Club de Rome.

Le programme du forum offrit de nombreuses occasions pour des questions et réponses, et les échanges dépassèrent largement les notions traditionnelles sur les liens entre le développement et l’environnement. Le rôle de la dette et les questions d’ajustement structurelles furent au coeur des discussions. On discuta, également de façon intensive, de la tendance à demander une plus grande participation de la population dans le processus de développement ainsi que de la nécessité de repenser l’attitude générale quant aux méthodes de communication nécessaires au développement.

Le forum s’est tenu dans les bureaux new-yorkais de la Communauté internationale bahá’íe.

Le Professeur Adebayo Adedeji, Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique, des Nations Unies, a ouvert la conférence, en décrivant la crise de la dette et la façon dont les tentatives occidentales de mise en œuvre de programmes d’adaptation structurelle marquent le développement et l’environnement en Afrique.

« Depuis des années, nous parlions du développement et considérions comme acquis l’environnement... De plus en plus on saisit mieux, le lien entre l’environnement et le développement. Mais il y a un troisième aspect à saisir — c’est le lien entre le développement, l’environnement et les programmes d’ajustement. »

« Nous avons tendance à croire que si un pays connaît une sérieuse crise économique, nous devons « tout arrêter » pendant que ce pays procède aux réformes nécessaires pour résoudre les problèmes posés par la crise, et que, une fois ces problèmes résolus, l’on pourra s’occuper du processus de développement et, on l’espère, des problèmes d’environnement. »

« Le Sénégal est un pays du Sahel menacé jour et nuit par une désertification croissante... [et pourtant] nous mettons maintenant toutes nos ressources en œuvre pour équilibrer les paiements du Sénégal, et portons toute notre attention sur ce problème. »

« Lorsque nous prenons ces décisions, nous avons tendance à oublier qu’elles ont des conséquences – des conséquences à long terme – sur les perspectives de développement du Sénégal et sur son environnement. Nous avons mis ces problèmes « en sommeil », mais la nature ne reste pas « en sommeil ». Les forces de la nature continuent à agir. »

« Lorsqu’au Sénégal, nous réagirons aux problèmes du développement à long terme et à l’environnement, des milliers de kilomètres carrés du pays auront été désertifiés. Les problèmes de l’environnement ont empiré et, bien sûr, le développement, au lieu de stagner, a rétrogradé. Nous sommes donc parvenus à la conclusion que nous devons ajouter une troisième dimension à cette théorie du développement – et c’est la notion d’adaptation. »

« En Afrique, le problème de la dégradation de l’environnement n’est pas un problème futuriste. C’est l’une des causes fondamentales de la crise à laquelle nous devons faire face... Chaque jour, des centaines de kilomètres carrés deviennent du désert, et si nous n’inversons pas cette situation, tout le continent deviendra un immense désert. Nous ne pouvons pas mettre en sommeil ce problème pour un jour et, encore moins, pour un an, pendant que nous essayons de résoudre le problème de la dette, les problèmes budgétaires et les problèmes de devises. »

M. Mazid N’Diaye, Président du Forum des organisations bénévoles pour le développement de l’Afrique, s’est exprimé sur la difficulté d’équilibrer l’environnement par rapport aux besoins du développement, particulièrement alors que les nations occidentales ont déjà réussi l’industrialisation et atteint un niveau de vie élevé.

« En tant qu’Africains qu’obtenons-nous dans le cadre de ce problème d’environnement ? J’ai assisté, une fois, à une réunion où l’on parlait de prêter des fonds aux pays forestiers afin de sauvegarder le « capital » des forêts. Je répondis « non, nous ne pouvons pas contracter davantage de dettes ». Et j’ai demandé, si c’est un « capital », pourquoi, devons-nous emprunter ? »

« Si vous demandez à un Sénégalais ou à une Sénégalaise de protéger son environnement pour telle ou telle raison, cela reste abstrait. S’il ne peut lui-même survivre, l’environnement ne figure rien pour lui. S’il meurt parce qu’il n’a rien à manger, la protection de l’environnement n’est pas de son ressort, elle est du ressort de quelqu’un d’autre. »

« Lorsqu’on dit que les pays africains tirent des profits importants du tourisme, par exemple, cela me fait rire. Le billet d’avion n’est pas pour nous. Le prix de l’hôtel n’est pas pour nous. L’appareil photo du touriste ? Nous ne fabriquons pas d’appareils photo. Les pellicules photographiques ? Nous n’en fabriquons pas. La voiture ? Nous n’en fabriquons pas. Son essence ? Nous n’en fabriquons pas, sauf le Nigeria, qui en produit. Et, parfois, même la nourriture est importée pour les touristes. Alors, que gagnons-nous grâce au tourisme ? Rien. »

« Ce qui est clair c’est qu’actuellement, le monde ne peut pas continuer à maintenir le niveau de richesse que vous, dans le Nord, offrez à tous. Ce n’est pas possible. Etes-vous prêts à réduire votre niveau de prospérité, votre niveau de vie ? »

« Il faut faire quelque chose vous-mêmes. Pour être réaliste disons que le trou dans la couche d’ozone est causé par les CFC lesquels sont créés par l’aménagement d’une pièce climatisée comme celle-ci ... Il en est ainsi parce que vous n’êtes pas d’accord, ou votre gouvernement n’est pas d’accord, pour arrêter immédiatement cette pollution. »

« Je ne crois pas que nous, les Sénégalais, soyons en mesure de résoudre le problème de la désertification. S’il s’agissait seulement de planter des arbres, chaque Sénégalais devrait planter au moins cent mille arbres, et puis les irriguer. Ce n’est pas possible. »

« Si nous, du Nord et du Sud, désirons améliorer, et protéger l’environnement, nous devons en acquitter le prix. Il ne s’agit pas seulement de fonds... Il s’agit de reconsidérer notre mode de vie. Le mode de vie actuel n’est pas bon mais mauvais. Il divise le monde entre « riches » et « pauvres ». Il crée des conditions de vie que le monde ne peut assumer, ni en maintenir le même niveau pour tous, ni pour toujours. »

M. Bertrand Schneider, Secrétaire général du Club de Rome, auteur de « The Barefoot Revolution » (La Révolution aux pieds nus), Président de l’Association internationale pour la qualité de la vie, et membre de l’Académie mondiale des arts et des sciences, fit un exposé sur la nécessité d’une démarche universelle en faveur de l’environnement, tout en disant que la véritable action et le réel changement ne peuvent venir que des masses.

« L’adaptation des structures implique aussi un changement de mentalité et de comportement. Cela veut dire que nous ne pourrons résoudre le problème des pays en voie de développement sans… modifier notre style de vie dans les pays du Nord. »

« Le problème du Sahel, qui est à la fois celui de la désertification et du développement, ne pourra être résolu qu’avec une approche globale – parce que la désertification est un problème mondial – et fragmentée en de nombreux micro-projets. Le Sahel est une mosaïque de petites régions qui sont si différentes quant à la géologie et la climatologie, qu’il n’y a pas une solution général­isée idéale. Ces problèmes doi­vent être discutés et traités avec la population locale. »

« Permettez-moi d’illustrer ces propos par un programme qui a débuté à Yandi en 1986. Nous y avons tenu une réunion du Club de Rome, et beaucoup de personnalités africaines nous ont demandé de prendre une initiative au Sahel. »

« La première démarche a consisté à réunir 60 chefs de village ou anciens chefs de village, personnalités africaines responsables de micro-projets avec des experts africains de six pays différents du Sahel. Cette réunion a abouti à la mise en oeuvre d’un certain nombre de projets-pilotes qui démarreront l’année prochaine. »

« Nous commencerons par 20 programmes. D’ici deux ans nous aurons 50 programmes. Et dans quatre ans nous en aurons 100. C’est un projet ambitieux. Tous ces programmes seront soutenus par des programmes locaux déjà existants. Nous espérons que peu à peu nous créerons des espaces verts et des brise-vents dans diverses parties du Sahel, et qu’ensuite nous agirons aussi dans les pays anglophones du Sahel. Il s’agit d’un processus à long terme. »

« Les menaces écologiques ne sont pas perçues de la même manière dans le Sud et dans le Nord. Dans le Nord nous avons bâti notre croissance économique, en ignorant complètement les problèmes de pollution et d’environnement, et très souvent nous avons sacrifié l’environnement à ce développement économique. Alors, dans le Sud, ceux qui sont conscients de l’importance de l’environnement disent : Vous voulez nous faire payer vos erreurs. Vous avez créé vos industries et maintenant que nous commençons à nous développer vous dites : n’utilisez pas vos ressources locales, ce serait un danger pour le monde. C’est injuste. »

« Ce que nous avons proposé c’est d’organiser une réunion, une conférence Nord­Sud sur l’environnement, pour débattre de ces problèmes. Ces réunions devraient être régulières et englober non seulement les gouvernements mais aussi des industriels, des syndicats, des Organisations non-gouvernementales; tous ceux qui sont plus ou moins partenaires pour la solution de ces problèmes. Cela devrait amener à la création d’un Conseil de sécurité pour l’environnement au sein des Nations Unies. Actuellement, la grande priorité dans le monde, ce n’est pas les problèmes de la guerre et de la paix, c’est le problème de l’environnement.

Mmele Dr Eddah Gachukia, Présidente du Rassemblement africain des femmes pour la communication et le développement, et ancien membre du Parlement du Kenya a exposé la nécessité d’améliorer la communication avec les populations qui doivent se « développer », et de rechercher la participation des masses, si l’on veut faire avancer ces problèmes.

« Nous sommes préoccupés par le fossé qui sépare la connaissance de la pratique. La communication n’a pas de sens, l’information n’a pas de sens, à moins qu’elle n’atteigne son objectif. C’est-à-dire que les hommes et les femmes, les enfants et les jeunes gens fassent leur le message écologique, de sorte que la préservation de l’environnement devienne un mode de vie et ne reste pas quelque chose qu’on écoute et qu’on laisse ensuite de côté. »

« C’est donc dans ce contexte, par l’analyse de l’organisation sociale de la population à sa base, que l’on commence à se demander quelles sont les bonnes méthodes de communication – une communication qui permettra aux populations, aux masses, de modifier leurs attitudes, leur comportement, leur mode de vie, de façon à intégrer ce message : la préservation de l’environne­ment est une bonne chose, et non pas quelque chose que le gouvernement impose. »

« Les masses savent réellement ce que sont leurs problèmes. Il vous faut écouter quelle est leur notion de la protection de l’environnement. Il vous faut écouter ce qu’implique, pour les masses, la plantation d’arbres. Est-ce quelque chose qu’elles font une fois par an ? Est-ce quelque chose qu’elles s’efforcent de faire toute l’année ? Et le problème de l’eau? Au Kenya, nous essayons de démontrer que l’on peut se passer de l’irrigation. Il y a des méthodes pour planter ces arbres, pour en prendre soin. Quel genre d’encouragement peut-on offrir au niveau des collectivités locales ? »

« Lorsqu’il se passe quelque chose en Afrique, vous le savez tous en détail. Mais les populations les plus voisines n’en savent rien. Les gens, même au Kenya, n’en savent rien. Le problème de la communication est un problème capital. »



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