Revue n° 4, 1990
Les écoles maternelles tendent vers l’auto-financement
BEUDET, Haïti — Pour décrire l’importance que prend à ses yeux le fait d’envoyer ses enfants à l’école, Rosanna Petit Frère utilise spontanément une expression créole : « Je’m te vin klere » qui peut se traduire par « mes yeux s’illuminèrent. »
Comme de nombreux ruraux haïtiens, Mme Petit Frère vit dans une case au toit de tôle, dans un village d’environ deux douzaines de cases semblables, serrées les unes contre les autres, au milieu des champs que les villageois cultivent avec persévérance.
Mais à la différence de beaucoup de ses semblables, Mme Petit Frère peut envoyer ses jeunes enfants à une école maternelle voisine dans laquelle ils découvrent des idées différentes et nouent des relations sociales que la plupart des autres enfants haïtiens ignorent toujours. Elle en est très reconnaissante. « Pendant très longtemps, je n’ai même pas pensé à envoyer mes enfants à l’école, mais mes yeux s’illuminèrent car aujourd’hui mes enfants se développent vraiment bien, ils sont curieux et ouverts. »
Dans ce petit village, l’école maternelle gérée par les bahá’ís est d’apparence très modeste : un sol de terre battue, des murs-cloisons d’un mètre de haut, un toit de chaume, une pièce ouverte à tous vents. Pourtant, son impact sur la vie de cette petite enclave sans nom, où le prochain repas est toujours un problème et les emplois extérieurs inexistants, est très important.
A l’origine, projet extra-scolaire de l’école bahá’íe Anís Zunúzí, de la ville voisine de Lilavois, l’école maternelle de Beudet est aujourd’hui sous la juridiction administrative de l’Assemblée spirituelle bahá’íe, le conseil bahá’í élu localement. Ainsi, l’école représente un projet de développement à la base au niveau le plus élémentaire : la population du cru paie et soutient un projet géré localement, au service des besoins réels des résidents. On trouve cinq autres écoles semblables dans le pays.
Les parents paient un dollar par mois et par enfant – l’école compte à présent 13 enfants de 3 à 5 ans – et l’Assemblée de Beudet couvre la différence pour payer les 30 dollars mensuels de l’institutrice à mi-temps, Anna Louise Seraphin. L’Assemblée supervise aussi son travail. « Cette école est la seule de la région, explique Mlle Seraphin, et les parents sont contents car les petits enfants n’auraient pas pu aller plus loin. »
Mlle Seraphin, qui a reçu sa formation d’institutrice au cours d’un institut d’été à l’école Anís Zunúzí, affirme qu’elle constate un grand changement chez les enfants dont elle s’occupe. « Au début, ils ne répondaient pas, parlaient peu entre eux, ne savaient pas jouer. Maintenant, ils jouent ensemble, parlent plus et les parents eux-mêmes s’aperçoivent qu’ils se développent bien. »
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