Revue n° 6, 1990
Comment contribuer à « sauver » une langue de l’oubli : au Chili, Radio-bahá’íe offre une alternative à ses auditeurs mapuches
LABRANZA, Chili — Les lignes téléphoniques sont rares en pays mapuche : une région lacustre et rurale du Sud du Chili. Ainsi, lorsque des personnes tombent subitement malades et doivent être transportées des cliniques locales vers le grand hôpital régional de Tenuco, il est souvent bien difficile de prévenir leurs parents.
C’est pourquoi, une ou deux fois par semaine, un représentant de la radio bahá’íe se rend à l’hôpital de Tenuco pour y recueillir des messages personnels qui sont ensuite radiodiffusés. Ces messages vont de l’annonce joyeuse : « c’est un garçon; apporte des couches » à de simples nouvelles médicales telles que « j’ai été opéré; je rentrerai mardi ».
Ce genre d’aide à la communication n’est que l’un des nombreux services, s’ajoutant aux programmes musicaux, assurés par cette station de radio bahá’íe, non commerciale, qui émet depuis une plaine balayée par le vent, à l’extérieur du petit village de Labranza. Connue sous le nom de Radio-bahá’íe, la station, d’une puissance de 1 kilowatt, fournit également une information à caractère sanitaire, des conseils sur les nouvelles techniques agricoles, ainsi que des programmes destinés à favoriser l’alphabétisation.
Toutefois, la caractéristique la plus notable de la station est sans doute le fait qu’elle privilégie la langue et la culture du peuple mapuche qui, bien que minoritaire dans l’ensemble du Chili, est majoritaire dans le rayon de 100 km couvert par Radio-bahá’íe.
La moitié des émissions est diffusée en espagnol, l’autre moitié en mapudungun, la langue des Mapuches, et Radio- bahá’íe est la seule station du Chili à consacrer autant de tranches horaires à une langue autochtone. Selon des spécialistes du mapudungun, ce fait a très largement contribué à une résurgence de l’utilisation de cette langue et à une fierté renouvelée des Mapuches pour leur culture.
Il craignait que la langue meure
« Je pensais que ma langue tomberait dans l’oubli », a déclaré M. Rosendo Huisca, conseiller en langue mapudungun à l’Université catholique de Tenuco et directeur de publication de l’Organisation pour la littérature mapuche (OLM). « Ici, dans la province de Cautin, où vivent quelque 100 000 Mapuches, il était anormal qu’aucune émission ne soit diffusée en langue mapudungun. Un jour, j’ai entendu Radio-bahá’íe et j’ai senti, à cet instant même, qu’une langue était sauvée de l’oubli. »
Selon M. Huisca et d’autres spécialistes, le mapudungun, jusqu’à il y a 10 ans environ, n’avait jamais été écrit. Son utilisation était délaissée en faveur de l’espagnol et, bien souvent, les jeunes Mapuches étaient honteux de parler leur langue maternelle. En fait, dans certaines écoles de la région, les enfants étaient régulièrement punis pour s’être exprimé en mapudungun. La langue était bel et bien menacée de s’éteindre.
Selon M. Huisca, au moins deux poètes publient désormais leurs oeuvres en mapudungun.
« Des critiques chiliens disent que la poésie en mapudungun est inesthétique », déclare-t-il, « pourtant, lorsque je raconte des histoires mapuches en espagnol, elles perdent toute leur musicalité, celle du discours des animaux qui en sont les personnages ».
M. Huisca produit pour Radio-bahá’íe un programme composé de récits en mapudungun, intitulé Epeu. « Nous avons essayé de l’enregistrer en espagnol, mais le résultat était plutôt mauvais : dit en espagnol cela ressemble à des contes et légendes alors qu’en madungun les Mapuches retrouvent les véritables récits traditionnels oraux. »
Un renouveau culturel
En plus de ses émissions mapudungun, ou bien à cause de ce fait, Radio-bahá’íe est aussi devenue le foyer de la renaissance de la culture mapuche.
La station organise également des festivals de musique et d’autres manifestations qui rassemblent des Mapuches de régions éloignées. Bien souvent, ils n’ont eu auparavant aucun contact les uns avec les autres. Nombre d’entre eux arrivent en costume traditionnel, parfois en charrettes tirées par des chevaux ou par des bœufs, et apportent avec eux des instruments de musique traditionnels.
Le personnel de Radio-bahá’íe enregistre des chants pour les diffuser en direct ou en différé. Pour l’étranger, la musique paraît simple et directe. Parmi les instruments de base : un tambour appelé cultrun, fait de peau tendue sur une coupe et fixée par des lanières de cuir; un kulkut, corne ressemblant à celle d’un bélier; et un pifilka, ou sifflet en bois.
On enregistre également sur le terrain des chants et des interviews, et les archives de musique enregistrée représentent une collection importante de musique mapuche.
Parmi le personnel de la station, on compte une moitié environ de Mapuches, nous a déclaré Paula Siegel, Secrétaire de l’Assemblée nationale des bahá’ís du Chili – conseil national bahá’í dirigeant – qui possède et gère la station. « Nous la considérons vraiment comme leur station », a-t-elle ajouté. « Les Mapuches s’identifient réellement à elle. »
« En tant que bahá’ís, nous estimons que les peuples autochtones du monde, possèdent une grande richesse culturelle et spirituelle », a poursuivi Paula Siegel. « Or cette richesse devrait être partagée, car elle peut nous apporter beaucoup. C’est pourquoi Radio-bahá’íe donne la préférence aux émissions mapuches. »
Roxana Loncon, une jeune Mapuche qui travaille là en qualité de présentatrice, a montré à un visiteur une photo d’elle en costume traditionnel qu’elle portait pour fêter le troisième anniversaire de Radio-bahá’íe. « Avant mon arrivée à la station », nous dit-elle, « je ne me sentais jamais à l’aise dans ces vêtements. C’est, en général, ce que ressentent les jeunes Mapuches : seules nos grand-mères aiment les porter ». En l’écoutant, nous sentions combien cette jeune Mapuche était fière de sa propre culture. — par Janet Ruhe-Schoen
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