Revue n° 6, 1990
Fin des conflits ethniques et raciaux
Pouvons-nous vivre en harmonie avec des représentants d’autres groupes ethniques ?
La question est d’une actualité brûlante. L’apartheid en Afrique du Sud, les violences ethniques dans le sous-continent indien, la détérioration des relations inter-raciales aux Etats-Unis et, plus récemment, l’émergence de troubles ethniques qui couvaient depuis longtemps en Europe de l’Est et en Union soviétique, ne sont que quelques exemples de la vague apparemment incessante de conflits ethniques et culturels qui menacent l’espoir de l’humanité en une paix durable et planétaire.
Naturellement, partout dans le monde, des hommes et des femmes avisés condamnent de tels conflits et prônent la tolérance universelle et l’égalité des droits. Toutefois, si nobles que puissent paraître ces notions, de tels appels à la tolérance et à la réconciliation entre les «races» sont porteurs d’une erreur fondamentale de jugement quant à l’analyse du problème tel qu’il est habituellement présenté.
Trop souvent, malgré les bonnes intentions formulées, on avance la notion selon laquelle l’ethnocentrisme est une caractéristique innée de l’être humain. Dans ce courant de pensée, tout ce que nous pouvons faire est de « gommer » nos différences par des lois et des droits garantissant, tout au moins, que nos institutions publiques ignorent les distinctions d’ordre ethnique et racial.
Pour les bahá’ís, cependant, le problème de la diversité humaine exige une compréhension qui va bien au-delà d’une simple tolérance, de l’égalité des droits ou même de l’appel, si souvent réitéré, à une fraternité universelle. Ce problème dépasse la réconciliation entre les « races » ou tout autre concept admettant que les barrières qui divisent actuellement l’humanité sont, de toute manière, fondamentales ou intangibles.
Les bahá’ís partent plutôt de l’enseignement de Bahá’u’lláh selon lequel l’humanité n’est qu’une seule et même race. Dans cette optique, toutes les tentatives visant à distinguer des « races » séparées dans le monde contemporain sont artificielles et trompeuses. L’humanité existe sur cette planète comme un seul et même peuple habitant, comme le proclame le titre de cette revue, un seul et même pays : la terre.
Ce concept de l’unité humaine est profondément enraciné. Les bahá’ís estiment en effet que tous les peuples sont les éléments d’un seul et grand ensemble, la civilisation elle-même.
Ainsi, chaque individu a un rôle à jouer pour préserver la vitalité de cette immense structure sociale, et cela indépendamment de son origine ou de son héritage génétique. Les conflits entre races et groupes ethniques sont, en conséquence, comparés à des maladies, et l’éradication de ces dernières constitue un objectif primordial.
Cette vision de l’unité humaine n’implique ni similitude ni uniformité. La diversité est prise en compte. Dans la Foi bahá’íe, la variété des origines ethniques et culturelles est parfois comparée à celle des fleurs d’un jardin. C’est seulement lorsque celles-ci présentent une grande diversité de taille, de forme et de couleur, que le jardin s’offre au regard dans toute sa beauté.
La mise en pratique de cet idéal n’est pas toujours aisée. Toutefois la communauté bahá’íe à travers le monde a réussi remarquablement, il convient de le noter, à intégrer des races et des peuples très divers tout en préservant leur individualité distinctive.
Bien qu’elle soit née en Iran il y a moins de 150 ans, la Foi bahá’íe est aujourd’hui la deuxième religion géographiquement la plus répandue dans le monde, avec d’importantes concentrations dans plus de pays que toutes les autres religions à l’exception de la chrétienté.
Cette dissémination géographique reflète le caractère universel des enseignements bahá’ís. Dans la plupart des 160 pays dans lesquels résident des bahá’ís, les croyants autochtones sont en majorité. Ce sont, en tout, plus de 2100 groupes ethniques, raciaux et tribaux qui sont représentés parmi plus de cinq millions de bahá’ís dénombrés à travers le monde.
En dépit de cette diversité, la Foi bahá’íe parvient à gérer ses affaires de manière pacifique grâce à un système de conseils librement élus, qui fonctionnent aux niveaux local, national et international.
Ce numéro de ONE COUNTRY contient deux articles qui reflètent certains aspects de la démarche bahá’íe en matière d’harmonie entre les ethnies et les cultures. Notre correspondant en Papouasie-Nouvelle-Guinée nous raconte comment les Dagas, connus pour leur violence et leurs divisions internes, ont appris, grâce à leur nouvelle croyance, à pratiquer pour la première fois la consultation pacifique. Ce nouvel esprit de coopération a contribué à créer une atmosphère dans laquelle de petits projets de développement économique et social connaissent un franc succès.
Au Chili, une station radio gérée par des bahá’ís, présente la particularité d’émettre largement dans la langue locale, en l’occurrence celle du peuple mapuche, un effort visant à promouvoir et à préserver l’héritage linguistique et culturel de ce peuple. Cette démarche aura pour effet, en fin de compte, de faire des Mapuches des partenaires à part entière au sein de la communauté mondiale.
Ce qui permet aux communautés bahá’íes de surmonter les suspicions et les rivalités traditionnelles, c’est leur croyance très simple en ce que Dieu lui-même désire : que les êtres humains vivent ensemble en harmonie, sans chercher à profiter d’autrui. Bahá’u’lláh a écrit que tous les hommes furent créés de la « même poussière », ajoutant que « nul ne devrait s’élever au-dessus des autres ».
« Méditez à tout instant, dans vos coeurs, sur la manière dont vous fûtes créés ». Et Bahá’u’lláh poursuit : « Puisque [Dieu] vous a tous créés d’une seule et même substance, il vous incombe d’être comme une seule et même âme... afin que, du fond de votre être, par vos actes mêmes, se manifestent les signes de l’unité et l’essence du détachement. »
A une époque où les peuples du monde cherchent à déterminer si des êtres d’origine très diverse peuvent apprendre à vivre en harmonie, l’expérience acquise par la communauté bahá’íe à travers le monde penche plutôt pour une réponse affirmative.
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