Revue n° 6, 1990
Nouveau sens de la coopéra-tion chez les Dagas de Papouasie-Nouvelle-Guinée
Connus jadis pour leur férocité et pour leurs guerres tribales, les Dagas, selon les observateurs, paraissent aujourd’hui transformés PROVINCE DE MILNE BAY, Papouasie-Nouvelle-Guinée — Il y a environ deux ans, après que son fils ait, lors d’un accident automobile, tué un membre de la tribu des Dagas, M. Levi George s’attendait bel et bien à être, lui et les siens, menacés de mort selon la tradition des crimes de vengeance.
Ancien fonctionnaire du bureau de planification de la province de Milne Bay, M. George vécut caché pendant une semaine. Finalement, obligé de retourner à son travail, il y trouva un groupe de Dagas qui désirait le rencontrer. A ses yeux il s’agissait de membres d’une tribu qu’il avait longtemps considérée comme « la plus meurtrière de la région » et il était persuadé qu’il allait être attaqué et assassiné.
«A ma grande surprise», raconta récemment M. George, «ils sourirent, tendirent les bras et s’approchèrent de moi en disant : “mon frère, nous sommes de la même région que le garçon tué dans un accident. Nous sommes venus te dire que, toi et ta famille, vous n’avez pas à vous faire de souci. Nous sommes tous frères et sœurs. Adeptes de la Foi bahá’íe, nous voulons vous assurer, toi et tes enfants, qu’il n’y aura pas de crimes de vengeance”».
Depuis longtemps, le peuple des Dagas, qui vit dans la partie intérieure montagneuse de ce pays du Pacifique Sud, était bien connu pour ses combats tribaux et sa sorcellerie menaçante. Chez eux, par tradition, les transgressions, mineures ou majeures, appellent une vengeance immédiate et souvent mortelle.
Depuis peu, toutefois, certains témoignages, tel le récit de M. George, tendent à montrer que les Dagas ont commencé à se transformer radicalement. Selon des agents gouvernementaux et des voyageurs se rendant dans cette région, plusieurs tribus sont en train d’acquérir une réputation de pacificateurs et de propagateurs de l’harmonie inter-tribale.
Cette nouvelle réputation a été encore accentuée par les efforts visant au développement économique et à l’auto-éducation. Bien que la région des Dagas soit parmi les zones les plus déshéritées de Papouasie-Nouvelle-Guinée, une série de projets de récolte destinée à la vente à petite échelle ont récemment été élaborés, et le café produit dans cette contrée est désormais réputé pour sa qualité. On envisage, par ailleurs, de rouvrir une clinique régionale désaffectée en utilisant les ressources locales.
Parmi les causes de cette transformation à multiples facettes, il y a, selon des personnes en contact avec ce peuple, le fait qu’un nombre toujours croissant de Dagas accepte la Foi bahá’íe qui enseigne la solution pacifique des conflits et la fraternité entre tous les peuples, une croyance bien révolutionnaire dans ces contrées.
Récemment, par exemple, une conférence bahá’íe organisée dans le village de Tua –
« nouvelle floraison » dans la langue des Dagas – a attiré près de 1000 personnes. On notait la présence de représentants d’une soixantaine de villages, qui s’exprimaient dans sept dialectes différents. Dans le passé, un tel rassemblement eût été impossible et aurait donné lieu, inévitablement, à des scènes de violence. Le président du conseil du gouvernement local s’est étonné, à cette occasion, de l’absence de toute mesure de sécurité.
Comme la conférence se poursuivait sans incident, les autorités locales ont exprimé à la fois leur satisfaction et leur étonnement. Jamais auparavant, un si grand nombre de villageois ne s’étaient rassemblés sans qu’il en résulte des frictions ou des conflits.
Un moment historique
« Il s’agit là, en vérité, d’un moment historique pour le peuple daga : s’être réunis en si grand nombre, comme jamais dans le passé, dans un esprit d’amour et de fraternité », a déclaré M. Thomas Ilaisa, avocat et ancien commissaire du gouvernement de la province de Milne Bay. « Ce genre de vaste rassemblement, animé par un désir d’unité est quelque chose que certains qualifieraient de miraculeux », a-t-il ajouté.
Cependant, la conférence de Tua n’a pas seulement impressionné par l’esprit d’unité qui s’y est manifesté. Pour la première fois, de mémoire d’homme, des consultations ont eu lieu sur l’élaboration d’un plan à long terme pour le développement socio-économique de la région. Ce plan, conçu par les populations locales, prévoit la création d’instituts permanents de formation, la désignation d’une équipe chargée de la reconstruction d’un poste d’assistance médicale abandonné, et la création de potagers destinés à soutenir ces institutions.
La Foi bahá’íe a été introduite dans la région, en 1984, par un Daga instruit qui vivait alors à Lae, un important centre industriel de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Presque aussitôt, plus de mille personnes appartenant au peuple daga acceptèrent la Foi bahá’íe.
Des Dagas devenus bahá’ís ont déclaré qu’ils avaient été impressionnés lorsqu’ils ont rencontré des voyageurs bahá’ís occidentaux prêts à manger de leur nourriture et à dormir chez eux.
Rejet des «cultes cargo»<br>
Les Dagas disent qu’ils ont toujours été intéressés par les modes de vie et les croyances modernes, mais qu’ils étaient considérés comme trop isolés par la plupart des missionnaires et des administrateurs coloniaux, et furent laissés pour compte. En fait, pour le monde extérieur, les Dagas sont sans doute connus plutôt comme des adeptes du « culte cargo ». Fondé sur des événements survenus pendant la Deuxième Guerre mondiale (lorsque des Dagas furent affectés au déchargement et à la livraison de matériel militaire et d’équipements, « cargo », transportés par voies maritime et aérienne) le culte cargo enseigne que des biens et de l’argent tomberont miraculeusement du ciel en échange de l’obéissance aux ordres d’un grand-prêtre.
Même si cette contrée est de plus en plus visitée par des voyageurs de l’Occident, de telles pratiques et croyances disparaissent très lentement. La région intérieure habitée par les Dagas étant montagneuse, il faut une demi-journée pour se rendre d’un village à l’autre, et les chemins à parcourir sont souvent dangereusement abruptes. Par tradition, les idées nouvelles ne se propagent que très difficilement.
La sorcellerie est un exemple caractéristique dans cette région. Elle a été constamment à l’origine de la violence et de la misère qui y régnaient. Réels ou imaginaires, les sortilèges et autres « charmes » ont souvent des conséquences dramatiques. Les accusations, selon lesquelles la magie a été utilisée pour tuer une victime ou la rendre malade, aboutissent fréquemment à des contre-sortilèges et, parfois même, à des agressions armées.
Toutefois, l’extension de la Foi bahá’íe, a réduit ces pratiques. Tout en reconnaissant la perspicacité spirituelle qui sous-tend nombre de croyances et de pratiques, les enseignements bahá’ís condamnent la superstition et mettent l’accent sur l’importance de l’éducation. Ils recherchent un équilibre entre les principes spirituels et la démarche scientifique. Récemment, par exemple, le fils d’un chef daga tomba malade et mourut subitement, on s’attendit alors à des accusations de sorcellerie. Mais des observateurs extérieurs furent surpris par l’absence de telles accusations.
Apprendre la coopération
Les techniques bahá’íes en matière de prise de décision collective dans l’harmonie ont également contribué ici à une atmosphère nouvelle. Selon M. Hilarion Amani, villageois daga et directeur d’un important magasin d’approvisionnement géré en coopérative, les instances locales bahá’íes, bien qu’elles soient surtout destinées à administrer les affaires de la communauté bahá’íe, s’attachent désormais régulièrement à la solution de conflits qui, auparavant, auraient entraîné le recours à la sorcellerie et à la lutte armée. D’autres habitants de la région ont observé ces transformations et ils ont, eux aussi, accepté les enseignements bahá’ís. Actuellement, 38 instances locales librement élues, appelées Assemblées spirituelles locales, donnent leurs conseils à plus de deux mille bahá’ís.
Avant l’introduction de la Foi bahá’íe dans cette région, les villageois en conflit éprouvaient de grandes difficultés à coopérer avec succès dans la production et la commercialisation de leurs récoltes destinées à la vente. Désormais, selon M. William Pandai, un bahá’í qui a travaillé au bureau local de commercialisation du café, l’influence exercée par les bahá’ís aide les villageois à s’organiser, alors qu’auparavant de trop nombreux conflits rendaient souvent impraticable la coopération en matière d’agriculture.
Les Assemblées locales bahá’íes ont instauré un système par lequel tous les villages mettent en commun leurs ressources, en main-d’œuvre par exemple, en portant assistance à un village après l’autre afin que les obstacles, tels le manque de moyens de transport, se trouvent surmontés. L’an dernier, pour la première fois, la récolte a été transportée, sac par sac et à pied jusqu’à la côte, dans un effort coopératif entre les villages de la région. Dans le passé, une grande partie de la récolte pourrissait dans les champs ou dans les dépôts par manque d’un moyen efficace pour son acheminement vers les marchés.
Cette année, grâce à de vastes consultations, les villageois et les Assemblées locales s’efforcent de réaliser la réouverture d’une piste militaire abandonnée conduisant à la côte, une entreprise de très grande importance pour le développement futur de l’agriculture dans cette région.
Les bahá’ís ont également contribué à la remise sur pied d’une école et d’un poste d’assistance médicale abandonnés. Lorsqu’une école primaire religieuse fut abandonnée dans le village d’Aragip, les habitants la reconstruisirent sur un autre site, en n’utilisant que des matériaux provenant de la brousse. Les pupitres et les bancs furent taillés dans de solides bûches. Quant aux tableaux noirs, ils furent achetés avec le produit des ventes de café. Aujourd’hui, l’école Bonara compte 91 élèves.
De même façon, après consultation et avec l’aide de bahá’ís d’autres localités, un poste sanitaire a pu être rouvert et, ainsi, le centre médical d’Aragip dispense des soins à une population de 2000 personnes originaires de 25 villages.
« La transformation de cette population touche le cœur de tous ceux qui entrent en contact avec elle », a déclaré Ann Hall qui, avec son mari David, tient une boulangerie dans la capitale provinciale et visite régulièrement le pays daga. « Les habitants ont découvert en eux-mêmes un grand potentiel d’amour », a-t-elle ajouté, « et c’est là un fait surprenant étant donné le comportement qui était le leur dans le passé. Ayant réalisé l’unité, ils s’efforcent à présent de se surpasser et désirent sincèrement servir leurs semblables ». — Par Dale Rutstein
|