Revue n° 11, 1992
Le Sommet de la Terre était déjà un succès avant son ouverture
Les activités préparatoires de la CNUED ont suscité un nouvel élan, un nouveau consensus en faveur de l’action internationale NATIONS UNIES — Dans les annales de l’histoire, le document “A/Conf.151/PC/WG.III/L.28” restera aussi insignifiant qu’une note de bas de page, et pourtant, de mémoire de fonctionnaire aux Nations Unies, c’est la première fois qu’un document soumis par des Organisations non-gouvernementales (ONG) sert de base à des négociations gouvernementales lors d’une grande conférence des Nations Unies.
Selon les représentants des ONG, le simple fait que le document “L. 28” ait été examiné à la Quatrième Commission préparatoire (Prepcom IV) de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) témoigne de l’influence croissante des ONG et des citoyens dans l’organisation de la vie internationale.
En fait, il est apparu clairement, tout au long des préparatifs de la CNUED, connue également sous le nom de Sommet de la planète Terre, que les citoyens, à quelque secteur de la société qu’ils appartiennent, ont un nouveau rôle à jouer dans l’élaboration de l’action internationale.
Le Sommet de la Terre, qui s'est tenu du 3 au 14 juin à Rio de Janeiro, avait pour objectif d’élaborer un nouveau cadre international en vue d’un développement durable.
Son mandat, approuvé par l’Assemblée générale des Nations Unies il y a deux ans, contient un appel explicite en faveur de la participation des citoyens.
Le succès de ce processus, maintenant bien enclenché, a dépassé tous les espoirs disent les représentants des ONG et des gouvernements. Non seulement de nouveaux liens ont été établis entre les gouvernements et les ONG nationales mais les ONG, à quelque secteur qu’elles appartiennent, ont commencé à travailler ensemble à un niveau sans précédent.
«L’un des principaux résultats de la CNUED a été l’ouverture d’un dialogue nouveau entre tous les secteurs, les régions, les races, les religions et la plupart des cultures au sujet de l’avenir de la planète», dit William Pace, directeur du Centre pour le développement du droit international dont le siège se trouve à Washington. « Dans le passé aux Nations Unies, on a déjà engagé des dialogues ouverts lors de réunions consacrées aux femmes, à la population ou aux enfants mais ils n’avaient jamais été aussi complets pour ce qui est des questions abordées et de la diversité des peuples et des groupes concernés. »
Cette nouvelle donne, pensent certains représentants des ONG, garantit en quelque sorte le succès de la CNUED, indépendamment des décisions prises par les gouvernements au Sommet de la Terre.
« Honnêtement, je n’attends pas grand’chose des gouvernements à la CNUED », dit M. Youba Sokona, coordinateur de la recherche sur l’énergie pour Environnement et développement du tiers monde, réseau d’ONG basé au Sénégal. « Toutefois, toutes les activités préparatoires à la CNUED ont permis aux ONG du monde entier de renforcer leurs liens et d’échanger des idées. »
Le Forum mondial
Ce nouveau sentiment de solidarité s’exprime au grand jour au Forum mondial de Rio qui se tient parallèlement à la CNUED et auquel participent environ 30.000 ONG et mouvements de citoyens.
« Je ne pense pas que le plus important se déroule au Rio Centro », dit le coordinateur du Forum mondial, Warren Lindner, faisant allusion au bâtiment où se réunissent les délégations de la CNUED. « Historiquement, le rôle des ONG consistait à contrôler, à critiquer et mettre les gouvernements devant leurs responsabilités. Mais en ce qui concerne les citoyens, ce n’est pas assez et il faut aller plus loin. C’est là tout le sens du Forum mondial. »
M. Linder, entre autres, souhaite que le Forum mondial soit une tribune où tous les secteurs et tous les groupes de la société puissent s’exprimer librement pendant la tenue du Sommet de la Terre. Ils espèrent qu’il s’en dégagera de nouveaux liens entre les organisations ainsi que des plans d’action visant à promouvoir un développement durable.
En fait, le processus de la CNUED serait, d’après certains, le premier vrai exercice de démocratie à l’échelon mondial.
« C’est en réalité la première fois dans l’histoire de l’homme que des individus du monde entier se préoccupent de l’avenir », dit Jack Yost, représentant aux Nations Unies du Mouvement fédéraliste mondial.
M. Yost et d’autres font observer que dans la foulée de la préparation du Sommet de la Terre par les gouvernements et les ONG des milliers de réunions ont été tenues.
Les gouvernements de tous les pays du monde, par exemple, ont largement consulté les ONG alors qu’ils préparaient leurs rapports nationaux pour la CNUED. Ces consultations ont souvent permis à des groupes communautaires ou à d’autres organisations à la base de se rencontrer.
Les gouvernements reconnaissent de plus en plus que des problèmes complexes comme ceux de la crise de l’environnement et du développement ne peuvent être résolus sans la participation active des ONG.
L 28 et la Charte de la Terre
Comme nous l’avons déjà dit, le document L.28 a servi de base aux négociations entre gouvernements. Ce document, compilé par une commission spéciale des ONG, au début de Prepcom, trace les grandes lignes du préambule de ce qu’on appelle la Charte de la Terre. Les gouvernements du Danemark et du Royaume Uni le présentent, en sept lignes, comme un document officiel de la conférence [Voir article sous le titre « “L. 28” » dans le même numéro]
« La proposition mérite notre attention non seulement parceque les ONG ont montré qu’elles étaient capables d’aboutir à un consensus et de travailler ensemble à la rédaction d’un texte de cette nature mais aussi parceque nous pensons que le texte lui-même apporte une contribution intéressante aux travaux de ce groupe », dit Koy Thompson, délégué du Royaume Uni, en présentant ce document. « La proposition est brève et intéressante et montre ce à quoi nous espérons aboutir au Sommet de la Terre et au-delà. »
A la fin des négociations, le libellé du document L.28 a été supprimé par les gouvernements à la réunion Prepcom IV- tout comme le concept de Charte de la Terre, du moins pour l’instant. Les gouvernements réunis à l’occasion de la CNUED ont préféré négocier et signer la Déclaration de Rio de Janeiro sur l’environnement et le développement.
Pour nombre d’ONG il est clair que cette Déclaration n’a pas répondu à leur attente. Pourtant, beaucoup disent que le processus lui-même a déclenché un mouvement qui se poursuivra indépendamment des décisions des gouvernements.
« C’est le début d’un processus qui va démarrer au cours des dix prochaines années », dit Mansuer Franck, directeur exécutif du Réseau pour l’environnement de la Côte d’Ivoire, présent à Prepcom IV. « Car les décisions importantes ne seront sans doute pas prises à Rio. »
« Cependant, ce processus a permis à des gens du monde entier de réfléchir ensemble sur les problèmes de l’environnement et du développement et de faire des propositions en vue de changer fondamentalement le comportement des populations », dit M. Franck.
Un aspect important du processus de préparation de la CNUED aura été le rassemblement d’ONG du Nord et du Sud. Selon les représentants, chaque région a apprécié différemment les problèmes des autres et un nouveau consensus est en train de se dégager.
« Il apparaît clairement que, d’entrée de jeu, le Nord a mis l’accent sur l’environnement et le Sud sur le développement », dit M. Sokona du Sénégal. « Les habitants des pays en développement reconnaissent maintenant que l’environnement est un problème. Les ONG des pays du Nord ont pris une autre direction et considèrent la pauvreté comme un problème. »
Ce nouveau consensus est apparu lors de réunions préparatoires à la CNUED, comme le Congrès mondial des femmes pour une planète saine, la Conférence sur les structures mondiales tenue en février à Washington et la Conférence mondiale des ONG,organisée à Paris en décembre.
« Les manifestations les plus dynamiques auront été les réunions entre les ONG du Nord et celles du Sud », dit Charlie Arden Clarke, analyste politique du WWF (Fonds mondial pour la nature). « Parfois, ces réunions sont l’objet de débats animés. Par ailleurs, elles ont parfois aussi été pour nous l’occasion de travailler sur un thème commun et d’aboutir à un consensus. »
Les ONG du monde commencent à comprendre qu’elles sont plus efficaces si elles travaillent de concert.
« Le Sommet de la Terre rassemble des populations très différentes », dit Peter Adriance, représentant de l’Assemblée spirituelle nationale des bahá’ís des Etats-unis d’Amérique qui a joué un rôle actif dans les préparatifs de la CNUED aux Etats-Unis. « Souvent, ces groupes n’avaient jamais travaillé ensemble ou étaient opposés les uns aux autres. »
« Au moment même où nous comprenons que les écosystèmes sont interdépendants et que toute action a des conséquences, nous prenons conscience du fait que les problèmes complexes auxquels fait face l’humanité ont un lien entre eux », dit-il. « On reconnaît de plus en plus que ces problèmes ne peuvent être résolus que dans un nouvel esprit d’unité et de coopération mondiales mobilisant tous les gouvernements et tous les citoyens de tous les pays. En ce sens, nous remportons déjà un succès considérable. »
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