Revue n° 20, 1995
Dépasser le village global
Our Global Neighborhood
La Commission de gouvernance globale
Oxford University Press
Oxford, 1995
Pour autant que l’histoire récente puisse guider notre action, Our Global Neighborhood (Notre voisinage global), qui présente un projet convaincant et axé sur les êtres humains, en vue de restructurer les Nations Unies et d’améliorer la coopération et la coordination internationales, promet d’être un ouvrage décisif. D’autant plus que les manifestations prévues pour le 50e anniversaire des Nations Unies susciteront sans doute un grand débat sur l’avenir de l’organisation.
Le livre est le fruit de la réflexion de quelque 28 chefs de gouvernement et personnalités civiles qui, au sein de la « Commission de gouvernance globale » ont suivi l’exemple d’autres « commissions » mondiales récentes (comme la Commission Brandt, la Commission Palme et la Commission Bruntland). Comme toutes ces commissions, la Commission de gouvernance globale a cherché à réunir un consensus opportun et réfléchi sur les problèmes d’importance mondiale.
Les Commissions précédentes ont joué un rôle considérable en définissant les sujets qu’elles ont examinés. C’est ainsi que la Commission Bruntland, qui a été saisie des questions de l’environnement et du développement, a présenté un rapport intitulé Our Common Future (Notre avenir commun), qui a été extrêmement précieux pour la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement.
Dans Our Global Neighborhood (Notre voisinage global) la question est posée de savoir comment mieux gérer le monde de l’après guerre froide, qui se trouve confronté à de vastes problèmes, à la fois interdépendants et inter-reliés, mais qui en même temps voit briller de multiples espoirs nouveaux de paix et de collaboration.
Les problèmes, tels qu’ils sont esquissés dans l’entrée en matières, englobent la poursuite de la course aux armements, les inégalités criantes entre les riches et les pauvres, une croissance démographique incontrôlée, une pression insoutenable sur les ressources de la terre et, enfin, la montée des guerres civiles, des conflits interethniques et de la violence partout dans le monde.
Les nouvelles occasions qui sont offertes aux peuples découlent du fait qu’ils ont de plus en plus la capacité d’influencer leur propre avenir. « L’exercice de ce pouvoir, en vue de renforcer la démocratie, la sécurité et le développement durable, est le plus grand défi auquel cette génération se trouve confrontée », note la Commission.
Ce qu’il faut, soutient la Commission, ce n’est pas un nouveau gouvernement mondial puissant, mais plutôt une modification de nos modes de pensée et de nos valeurs – en même temps qu’une restructuration de l’Organisation des Nations Unies – de manière à créer un nouveau type de « gouvernance globale ».
« La gouvernance représente la somme des multiples façons dont les individus et les institutions, publiques et privées, peuvent gérer leurs affaires communes », écrit la Commission. « C’est un processus continu grâce auquel des intérêts divergents ou différents peuvent être conciliés et des mesures peuvent être prises en commun. Il inclut les institutions et les régimes en place ainsi que les accords informels que des individus ou des institutions ont contractés ou ont reconnus comme étant de nature à préserver leur intérêt. »
Au cœur de ce concept se trouve la nécessité de poser des valeurs et des principes communs – une nouvelle éthique mondiale – sur lesquels un tel cadre de gouvernance puisse se fonder.
La base de ces nouvelles valeurs devrait être l’idée que l’humanité est désormais un village global. Cette idée, dit la Commission, est de nature à faire naître le type de coopération et de co-ordination requis dans un monde interdépendant où des différences et des désaccords marqués divisent encore les nations et les peuples.
« Plus que des points communs ou des valeurs partagées, c’est la géographie qui rapproche les voisins », écrit la Commission. « Les gens peuvent détester leurs voisins, ils peuvent les soupçonner ou les craindre et même essayer de les ignorer ou de les éviter. Toutefois, ils ne peuvent échapper aux conséquences du partage du même sol. Lorsque le voisinage est la planète, déménager pour s’éloigner de mauvais voisins n’est pas une solution. »
D’autres valeurs découlent de cette idée ; elles devraient être appliquées pour que le gouvernement fonctionne au niveau international, comme par exemple le « respect de la vie », une plus grande « liberté », « un engagement accru en faveur de l’équité et de la justice », « le respect de la diversité et l’importance de l’intégrité ».
Bien que l’Organisation des Nations Unies ne doit pas être le seul acteur dans un système de gouvernance globale, elle peut servir de « mécanisme principal par lequel des gouvernements s’engageront ensemble, dans un esprit de collaboration, et feront participer d’autres secteurs de la société, à gérer les affaires du monde de manière multilatérale ».
En conséquence, la Commission propose une série de recommandations sur les modalités de la restructuration des Nations Unies.
Elle propose, entre autres, d’élargir la composition du Conseil de sécurité (et de supprimer le droit de veto accordé aux cinq membres permanents) ; de créer un nouveau Conseil de sécurité économique pour s’occuper des questions financières complexes, liées à la mondialisation des marchés internationaux, de la pauvreté qui perdure, et de la nécessité d’encourager un développement durable; enfin elle propose de renforcer l’importance et le statut de l’Assemblée générale.
La Commission suggère également de renouveler le mandat du Conseil de tutelle créé en 1945 par la Charte : celui de contrôler nos « biens communs », les ressources naturelles que nous partageons, comme l’océan, l’atmosphère et l’espace. Elle plaide également en faveur d’une Cour internationale de justice renforcée.
Tout au long de son rapport, la Commission soutient fermement les organisations non gouvernementales (ONG) ; elle indique que la gouvernance globale doit être axée sur les personnes humaines et que les ONG, tout comme d’autres organisations de la société civile « contribuent d’une façon vitale et dynamique à la possibilité d’une gouvernance effective ».
Par ailleurs, les pouvoirs du groupe – en particulier le fait que les membres de la Commission représentent quasiment chaque région du globe – donnent un certain poids à ce rapport.
La Commission était co-présidée par Ingvar Carlson, ancien premier ministre suédois (qui a récemment réintégré ce poste) et Shridath Ramphal, de la Guyane, secrétaire général du Commonwealth de 1975 à 1990 et ministre des Affaires étrangères et de la Justice de la Guyane.
Parmi les autres membres de la Commission figurent Oscar Arias, ancien président du Costa Rica ; Allan Boesak, président de l’African National Congress d’Afrique du Sud ; Barber Constable des Etats-Unis, ancien président de la Banque mondiale ; Wangari Maathai du Kenya, présidente du Mouvement Green Belt ; Marie Angélique Savané du Sénégal, fondatrice de l’Association des femmes africaines pour la recherche et le développement ; Maurice Strong du Canada, ancien secrétaire général de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement ; et Brian Urquart du Royaume Uni, ancien secrétaire général des Affaires politiques spéciales.
Dans les milieux des Nations Unies, il est déjà question d’inclure dans ce rapport, en tant que l’une des principales recommandations, la tenue, en 1998, d’une Conférence mondiale sur la gouvernance qui sera vraisemblablement prise en compte par l’Assemblée générale. On peut dès lors penser que ce livre sera au cœur du débat sur l’avenir des Nations Unies.
|