Revue n° 20, 1995
Le « European Bahá’í Business Forum » prône un nouveau modèle de gestion fondé sur les valeurs morales
COPENHAGUE — Affaires et spiritualité sont deux mots qui, côte à côte, paraissent quelque peu incongrus.
Le premier symbolise tout ce qui est pratique, pragmatique et expédient. L’autre traduit ce qui est noble, élevé et surnaturel. Pour beaucoup, le premier mot implique un certain sens d’amoralité, et même parfois d’immoralité. Le deuxième exprime l’essence même de la moralité et des valeurs éthiques.
Cependant, lorsque Mme Dorothy Marcic, spécialiste en gestion, titulaire d’une bourse Fullbright, et professeur au Centre tchèque de gestion de Prague, a animé un colloque sur « Les valeurs fondamentales pour un monde prospère », à l’occasion du Forum 1995 des ONG au Sommet mondial pour le développement social, elle n’a pas eu peur de juxtaposer très librement ces deux mots.
Le climat international des affaires a considérablement changé ces dernières années, dit-elle ; il s’inspire d’un nouveau modèle de gestion qui fait passer les individus avant les machines, le consensus avant l’autoritarisme, le travail d’équipe avant l’individualisme et la création de richesses avant l’exploitation.
« Ce nouveau modèle auquel nous aspirons – bien que tout le monde ne le remarque pas – est fondé sur des valeurs spirituelles », dit Mme Marcic. « Peu importe le nom que vous lui donnez ; l’essentiel est de l’appliquer. En effet, les entreprises qui appliquent les valeurs dont je parle aujourd’hui sont en réalité plus prospères que celles qui restent attachées à l’ancien modèle. »
Il est de plus en plus courant de parler de nouveaux modèles et de nouvelles valeurs dans les milieux internationaux des affaires où les sociétés et les entreprises multinationales se battent pour s’adapter aux mutations rapides du monde moderne. Parmi les organisations qui examinent cette nouvelle interface entre les valeurs, les affaires et le changement figure le « European Bahá’í Business Forum » qui a organisé une série de six colloques sur les affaires et le développement social à l’occasion du Forum des ONG, auquel Mme Marcic a notamment participé.
Créé en 1990 par un groupe d’hommes d’affaires bahá’ís soucieux d’encourager une application plus large des nouvelles valeurs et des nouveaux principes moraux dans le domaine des affaires et du commerce, le Forum compte aujourd’hui près de 200 membres répartis dans plus de 35 pays. Son but est de devenir une force dynamique de changement et d’innovation dans le domaine de la gestion et de participer à diverses activités afin de promouvoir les valeurs morales dans les affaires.
Selon Wendi Momen, présidente du Business Forum, ces activités se répartissent en trois catégories : mise en réseaux entre ces activités et d’autres organisations afin d’expliquer et de diffuser ces valeurs ; projets de développement économique visant à aider directement les nouveaux entrepreneurs de l’Europe de l’Est ; et conseiller les jeunes gens intéressés par une carrière dans les affaires.
« Le Business Forum s’intéresse à toute une gamme de questions qui, normalement, sont considérées comme n’étant pas du ressort des hommes d’affaires », dit Mme Momen. « Par exemple, le développement communautaire, la justice sociale, le développement durable et la recherche de l’égalité entre les hommes et les femmes dans le monde des affaires. »
« Nous pensons que les entreprises qui sont créées et dirigées en fonction de principes moraux seront à long terme plus prospères – et que les bénéfices qu’en tirera la société en seront également accrus », ajoute Wendi Momen.
En tant que l’une des nombreuses associations professionnelles bahá’íes de haut niveau dans le monde entier, notamment l’Agence internationale bahá’íe de santé, l’Association pour les études bahá’íes ou la Société bahá’íe de justice, le Business Forum donne également la parole à une catégorie parfois incomprise de la société.
« Souvent, les gens considèrent les hommes d’affaires comme des “méchants capitalistes” qui essaient d’ôter la nourriture de la bouche des bébés pour leurs profits personnels, plutôt que d’être vus comme des acteurs importants du développement social », dit Wendi Momen. « Ainsi, le Forum a-t-il également le souci de corriger cette image. »
Dans un autre colloque, organisé dans le cadre du Forum des ONG, la mondialisation de l’économie était rattachée à l’émergence de nouvelles valeurs et pratiques de gestion, notamment à la nécessité de jeter un regard neuf sur le travail, la création de richesses, le partage des bénéfices, la consultation dans la prise de décision. Le colloque était animé par Eric Zahrai, ancien président d’une société de produits chimiques en France et membre fondateur du Forum.
Une présence en Europe de l’Est
Peut-être les projets les plus tangibles du Forum ont-ils été de promouvoir ces idées dans les pays de l’Europe de l’Est où l’organisation a parrainé un certain nombre de séminaires destinés à aider les leader d’opinion et les nouveaux chefs d’entreprise à comprendre les principes fondamentaux du marché–tout en leur suggérant que l’intégration de certains principes éthiques est la clé d’un succès durable.
En novembre 1993 et en décembre 1994, des séminaires de trois jours ont été organisés à Sofia, en Bulgarie, sur « Les principes moraux et éthiques dans l’économie sociale de marché » ; ils ont rassemblé près de 80 dirigeants, chefs d’entreprise, universitaires, scientifiques, journalistes et hauts fonctionnaires.
« Des séminaires analogues ont également été organisés en Albanie et en Roumanie », dit George Starcher, secrétaire général du Forum. « Et des études sont en cours pour mener à bien des programmes de ce genre dans d’autres pays d’Europe de l’Est. »
« Selon le modèle éthique actuel, les entreprises sont gérées de manière à tirer le maximum de bénéfices dans le cadre de la législation et de la pratique morale en vigueur », dit M. Starcher, qui vit en France et a travaillé pendant plusieurs années en tant que directeur d’une société internationale de consultation en gestion.
« Toutefois, ce modèle débouche sur une perspective à très court terme, ce qui à long terme est extrêmement contreproductif, notamment dans les secteurs où la concurrence internationale joue un rôle important.
L’un de nos premiers objectifs est de partager l’expérience que nous avons de ce nouveau modèle de gestion avec des chefs d’entreprise de l’Est », dit George Starcher. « Nous sommes préoccupés par le fait que, sans valeurs morales et éthiques fondamentales, les problèmes que rencontrent ces pays pour effectuer leur transition vers l’économie de marché seront encore renforcés. »
Outre des séminaires, le Forum a publié un certain nombre de brochures qui ont été traduites dans les langues d’Europe de l’Est. Par exemple, l’étude intitulée « Des valeurs nouvelles pour une économie mondiale », a été traduite en albanais, bulgare, hongrois, polonais, roumain et russe, entre autres.
Dorothy Marcic, également membre du Business Forum, a expliqué, au cours de son colloque au Forum des ONG, combien les valeurs éthiques sous-jacentes peuvent contribuer au succès d’une entreprise – et au développement social.
« Si, en raison de diverses situations qui existent dans différents pays et cultures, il est impossible d’imposer une éthique des affaires uniforme, il existe des valeurs universelles qui sont à la base du succès des entreprises », dit Mme Marcic.
« Par exemple, le mot unificateur de toutes les affaires menées dans le monde entier est la confiance », dit-elle, en expliquant qu’aucune entreprise ne peut prospérer si ses clients, ses fournisseurs et ses partenaires ne lui font confiance. « Tout le monde comprend que les affaires sont fondées sur la confiance », ajoute-elle.
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