Revue n° 21, 1995
Les religions s’engagent à former une nouvelle alliance pour la conservation de la nature
CHATEAU DE WINDSOR, Angleterre — Peu d’endroits symbolisent mieux le sanctuaire de la société traditionnelle occidentale. Pendant près d’un millier d’années, cette immense bâtisse, où style médiéval et style moderne se mélangent, a été le lieu de résidence de la monarchie anglaise, se situant ainsi au cœur de l’Empire britannique, et le siège du chef de l’église anglicane.
Que ce château ait accueilli un Sommet de réflexion entre les dirigeants religieux représentant neuf des grandes religions est donc particulièrement frappant.
Réunis du 29 avril au 4 mai 1995, avec d’éminents dignitaires de plusieurs institutions civiles, ils ont examiné la question de savoir comment les grandes religions du monde pourraient participer davantage à la protection et à la préservation de l’environnement.
Le Sommet sur les religions et la conservation de la nature était parrainé par le Fonds mondial pour la nature (WWF), la Fondation Pilkington et MOA International, fondation humanitaire japonaise. Ont été invités les hauts dignitaires de la foi bahá’íe, du bouddhisme, du christianisme, de l’hindouisme, du jaïnisme, du judaïsme, de l’islam, de la religion sikh et du taoïsme. Au total, les dirigeants religieux présents à ce Sommet représentaient plus de deux milliards de fidèles – à peu près un tiers de la population de la terre.
Selon les participants, il en est résulté non seulement un engagement profond de chaque communauté religieuse à poursuivre leur œuvre en faveur de la conservation de la nature mais aussi à renforcer leur coopération à un autre niveau.
Cet engagement en faveur d’une coopération entre les religions a été démontré par plusieurs résultats, à savoir :
• Un plan de collaboration avec le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) en vue de faire participer les communautés religieuses locales – organisées autour d’une mosquée, d’une église, d’un temple ou de l’assemblée spirituelle – à l’observation des changements écologiques au niveau local.
• Une invitation adressée aux dirigeants religieux pour qu’ils rencontrent les principaux directeurs de la Banque mondiale afin de discuter comment elle peut être plus sensible aux préoccupations locales et aux valeurs spirituelles s’agissant du financement des projets de développement.
• Un accord par la BBC (British Broadcasting Corporation) en vue d’accueillir une réunion entre les dirigeants religieux et les grands responsables de la télévision par satellite « afin d’ouvrir des couloirs de communication sur les valeurs qui sont transmises par les programmes diffusés par satellite ».
« Je pense que le Sommet a été très important, » dit le Révérend Samuel Kobia qui représentait le Conseil mondial des Eglises au Sommet. « La réunion de neuf religions différentes est en elle-même un événement très important, dans la mesure où elles ont toutes des histoires, des traditions et des croyances très différentes. »
« Toutefois, ce qui est aussi important, c’est qu’ils se sont réunis pour parler d’un problème sur lequel tout le monde est d’accord – celui de la conservation de la nature. Je pense que ce fait traduit une autorité morale extraordinaire, » dit M. Kobia, directeur exécutif du programme du Conseil mondial des Eglises sur la Justice, la Paix et la Création.
Suivi de la réunion d’Assise
Le Sommet a été accueilli par S.A.S. le Prince Philip, Duc d’Edimbourg, l’époux de Sa Majesté la reine Elisabeth II. Le Duc est président international de WWF. Le château de Windsor est bien sûr une des résidences de la reine qui est non seulement la souveraine du Commonwealth britannique mais aussi chef de l’Eglise anglicane.
Le Sommet de Windsor a été désigné comme la réunion de suivi de l’assemblée des dirigeants religieux convoquée par le WWF en 1986 à Assise en Italie. Cette réunion, qui a débouché sur la création du Réseau sur la conservation et la religion, a été sans doute la première grande réunion interreligieuse sur les questions d’environnement.
A Assise, des représentants de cinq religions mondiales – le bouddhisme, le christianisme, l’hindouisme, le judaïsme et l’islam – se sont engagés à travailler, – en grande partie avec leurs propres communautés, à renforcer la prise de conscience à l’égard de l’environnement et à encourager la mise en œuvre de projets dans ce domaine. En 1987, les bahá’ís se sont associés au Réseau, puis, en 1988, ce furent les Sikhs et les Jaïns.
C’est en partie grâce à la création de ce Réseau que les communautés religieuses du monde ont lancé depuis 1986 des milliers de projets relatifs à l’environnement, de nombreux programmes d’éducation environnementale et qu’ils ont entrepris une étude plus approfondie sur la manière dont leurs écritures sacrées et leurs enseignements encouragent le respect de la terre.
« Le Sommet de 1995 a été réuni pour, avant tout, évaluer le travail accompli depuis Assise – et accueillir les Taoïstes dans l’Alliance, » dit Martin Palmer, directeur de la Consultation internationale sur la religion, l’éducation et la culture (ICOREC) qui a organisé le Sommet au nom des trois parrains.
« La raison essentielle pour laquelle nous avons organisé le Sommet est que certaines religions – et les Bahá’ís en sont un exemple notable, tout comme les Bouddhistes et certains groupes chrétiens – ont fait un travail considérable pour promouvoir la question de l’environnement depuis Assise, » ajoute M. Palmer. « Ils ont créé de nouveaux bureaux, financé des projets et produit du matériel éducatif pour leurs écoles. »
« D’autres religions, cependant, n’ont pas été aussi vite, » continue M. Palmer. « Et, l’un des principaux objectifs du Sommet aura été de les stimuler. Sur ce point, nous avons réussi, » dit-il. « Car, à la fin du Sommet, presque toutes les religions avaient pris des engagements en faveur de programmes d’action concrets. »
Pour encourager cette action, un processus en deux temps aura été nécessaire. Lors d’une réunion préalable au Sommet, à Atami, au Japon, du 3 au 9 avril, des spécialistes de l’environnement de chaque religion ont examiné ce qu’ils avaient fait au cours des neuf dernières années, et, après beaucoup d’échanges entre les différentes religions, ils ont élaboré des plans pour l’avenir. Ces plans ont été ratifiés au Sommet de Windsor.
Possibilités de coopération
Ce qui est surprenant, disent M. Palmer et d’autres, c’est de voir, comment, en deux réunions, les religions ont décidé non seulement de développer les activités en matière de conservation de la nature au sein de leurs propres communautés, mais aussi d’engager des activités de collaboration et de coopération beaucoup plus larges et plus concrètes entre elles.
« Nous avions prévu avec précision que chaque religion présenterait sa propre déclaration et son programme d’action détaillé, » dit M. Palmer. « Mais nos espoirs n’ont pas été entièrement satisfaits ; au fond, il en est résulté une déclaration d’intention des grandes religions de travailler en collaboration sur les projets de conservation de la nature, en liaison avec les grandes institutions civiles invitées au Sommet. »
A cet égard, ont dit M. Palmer et d’autres, le Sommet, et cela est important, a aussi marqué l’évolution du Réseau sur la conservation de la nature et la religion, parrainé essentiellement par le WWF, vers un groupe plus indépendant appelé l’Alliance des religions et de la conservation (ARC).
Rob Soutter, principal adjoint du directeur général, M. Claude Martin, a mentionné que lorsque le WWF a demandé pour la première fois à des chefs religieux de se réunir il y a neuf ans, le sentiment prévalait que les religions savaient peu de choses sur les questions d’environnement et que leurs efforts devaient être dirigés avec attention.
« Notre idée était que, par ce biais, nous pouvions atteindre beaucoup plus de gens que cela n’eut été possible par nous-mêmes, et d’une façon plus vraie qu’à travers des communiqués de presse et des mailings de masse, » ajoute M. Soutter. « Mais, nous pensions qu’il nous fallait coordonner le tout. »
« Maintenant, nous constatons que c’est quelque chose qui nous dépasse vraiment, » dit-il. « Je pense que la nouvelle Alliance des religions et de la conservation de la nature pourrait être la prochaine étape dans l’évolution de ce processus. »
Les religions trouvent un terrain d’entente
En ce qui concerne les religions, le thème de la conservation de la nature a débouché sur de nouvelles bases de compréhension et d’accord.
« Nous avons vite compris qu’il était inutile de discuter sur les points de théologie les plus pointus, » dit M. le Rabbin Arthur Hertzberg, vice-président honoraire du Congrès juif mondial, l’un de représentants juifs à Londres et présent également à la première réunion d’Assise. « Cependant, nous avons estimé que, quelque soit notre structure théologique, nous étions d’accord sur un certain nombre de points, d’ordre social. Nous sommes convenus de la nécessité de protéger l’environnement. Et nous sommes convenus presque instinctivement, que l’une des fonctions des principales religions dans ce monde est de promouvoir la paix et de lutter contre le fanatisme. Le troisième point est que nous avons tous reconnu que nous étions prêts à défendre les pauvres et à les aider. »
« Il existe réellement un consensus sur le fait que nous ne sommes pas réellement en désaccord en ce qui concerne ce que les religions devraient faire dans le monde, » a ajouté le Rabbin Hertzberg. « Et je pense que cette réunion a été un pas important en ce sens. »
Madame Rúhíyyih Rabbani, haut dignitaire de la foi bahá’íe, a dirigé la délégation de la Communauté internationale bahá’íe au Sommet. Y ont également assisté, Lawrence Arturo, directeur du Bureau de l’environnement de la communauté et Kimiko Schwerin, conseiller auprès de l’administration internationale de la foi bahá’íe.
« Pour nous, le Sommet a été très important, » dit M. Arturo. « Il est clair que les religions du monde prennent conscience des liens spirituels qui les unissent. En même temps, nous commençons à comprendre que c’est la force morale et spirituelle des enseignements religieux, en même temps que des mesures pratiques et scientifiques, qui résoudront en fin de compte les problèmes du monde. »
|