Revue n° 23, 1996
New York : Débat sur le rôle d’une force internationale
NEW YORK — À l’occasion d’une journée spéciale consacrée à la restructuration de l’Organisation des Nations Unies, des représentants de missions gouvernementales, d’ONG et d’institutions spécialisées de l’ONU ont reconnu à la majorité que les opérations du maintien de la paix devaient être transformées en une véritable force internationale pour renforcer l’efficacité de l’ONU dans la prévention des guerres.
Les participants ont également reconnu que pour établir une paix durable dans le monde, la vision à long terme de l’Organisation devait être fondée sur la suppression des sources latentes de conflit : pauvreté, violations des droits de l’homme ou malentendus.
Réunissant environ deux douzaines de membres de missions gouvernementales, des bureaux de l’Organisation des Nations Unies, d’universités et d’organisations non- gouvernementales, cette journée, organisée le 18 octobre, dans le cadre du 50e anniversaire de l’ONU, était intitulée : « Tournant pour les Nations ».
Sous l’égide du Bureau des Nations Unies de la Communauté internationale bahá’íe, la journée était consacrée à la nécessité de réformer l’Organisation des Nations Unies et, en particulier, à l’examen de deux problèmes fondamentaux: le maintien de la paix et la nécessité de l’adoption d’une langue internationale auxiliaire.
À l’issue de cette journée, les participants ont admis que pour modifier l’ordre international conformément à cette vision, un partenariat étroit devait s’établir entre les gouvernements et les organisations non- gouvernementales. Ce n’est que dans le cadre d’une telle coopération qu’on pourra toucher la communauté. Et ce n’est qu’avec leur appui que des changements aussi décisifs pourront être entrepris.
« Nous ne pourrons restructurer l’ONU sans savoir où nous allons, » dit Ruth Engo, attachée de liaison du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) pour l’Afrique et les pays les moins avancés, qui présidait la session de l’après-midi.
Une nouvelle ère pour l’ONU
Le ton de la journée a été donné par le Président des îles Marshall, M. Amata Kabua. Dans un discours liminaire dans lequel, alliant le pragmatisme au sens moral, il rappela avec force que l’ONU était entrée dans une ère nouvelle.
« La loi inexorable du changement et du déclin oblige l’ONU à examiner objectivement ses résultats, à réviser ses objectifs et à réévaluer ses structures dans le cadre d’une recherche sincère de solutions pratiques et durables, » dit le Président Kabua. « Nous n’avons pas le choix. Le paysage politique actuel est très différent de ce qu’il était il y a cinquante ans. Le nombre des pays membres de l’ONU a triplé. Le désir croissant de la société civile et des milieux économiques de participer plus activement au processus du changement a ajouté une dimension capitale aux organismes qui travaillent activement sur le terrain. »
Gillian Sorenson, Secrétaire générale adjointe de l’ONU, qui présida aux commémorations du cinquantième anniversaire, a elle aussi prononcé une allocution d’ouverture. Elle précisa que l’ONU était favorable au principe des réformes en ajoutant que les idées nouvelles étaient pour l’Organisation « une chance et non une menace ».
La matinée fut présidée par John Biggar, premier secrétaire de la Mission permanente de l’Irlande auprès de l’ONU. Trois intervenants prirent la parole après le Président Kabua et Mme Sorenson: Virginia Strauss, directeur exécutif du Centre de recherche de Boston pour le 21ème siècle, présenta tout d’abord les propositions qui sont actuellement élaborées pour la restructuration de l’Organisation des Nations Unies. Elle appuya sa démonstration sur la réaction au récent rapport de la Commission sur la gouvernance globale intitulé: Our Global Neighbourhood.
Ensuite, Brian Lepard, maître assistant en droit à l’Université du Nebraska, présenta un rapport intitulé Perspectives d’une force militaire permanente des Nations Unies. Passant en revue les succès – mais aussi les échecs – des opérations de maintien de la paix de l’Organisation des Nations Unies au cours des cinquante dernières années, le Professeur Lepard dit que les signes évidents d’une interdépendance croissante du monde nous amènent inévitablement à reconnaître qu’une force de l’ONU est indispensable pour intervenir rapidement et en toute impartialité dans les crises qui secouent le monde. Ces mesures, dit-il, ne pourront pas être prises si nous ne sommes pas conscients de cette interdépendance.
« Aucune force de l’Organisation des Nations Uniesne peut réussir sans le soutien de l’opinion publique mondiale, » affirme le professeur Lepard. « C’est notre défi majeur. Il faut transformer les attitudes: comprendre que le monde est un voisinage, aussi bien physiquement que spirituellement. »
Enfin, Jeffery S. Gruber, professeur de linguistique à l’Université de Québec, expliqua comment une langue auxiliaire universelle, promue sous les auspices de l’ONU, pourrait attaquer à la racine les conflits, la pauvreté et l’incommunicabilité qui posent un tel défi à la communauté internationale aujourd’hui.
« L’adoption de cette langue auxiliaire présente de tels avantages qu’elle devient aujourd’hui une nécessité, » souligne le Prof. Gruber en ajoutant qu’il ne s’agissait nullement de supplanter les différentes langues maternelles des peuples du monde mais plutôt d’offrir une deuxième langue commune pouvant être enseignée dans toutes les écoles du monde.
Le professeur Gruber souligna que « le droit à communiquer » pouvait être considéré comme un droit fondamental de l’être humain. « Dans le contexte international, »dit le professeur Gruber, « tous les peuples du monde ont le droit d’avoir leur part de la nouvelle société mondiale et d’y apporter leur contribution. Implicitement, cela signifie qu’il faut favoriser les échanges à la base. Une langue internationale auxiliaire permettrait à tous les hommes d’exercer leur droit à communiquer dans une communauté mondiale ».
Les préoccupations des femmes
Au cours de la discussion qui suivit ces interventions, quelques thèmes nouveaux ont été abordés.
En premier lieu, plusieurs femmes indiquèrent que l’idée d’une force militaire internationale les préoccupait par principe et que si une telle force devait voir le jour, elle devrait n’être utilisée qu’après mûre réflexion et en dernier recours.
« Dans tous les conflits qui secouent le monde aujourd’hui, ce sont les hommes qui ont pris la décision d’entamer les conflits et les femmes qui en souffrent, » dit Misrak Elias, conseiller principal du programme pour la promotion de la femme de l’UNICEF. « Ce qui rendrait cette force efficace et utile, ce serait de permettre aux femmes d’avoir leur mot à dire. »
Pour Mme Elias, et d’autres participants avec elle, il faut étudier les causes profondes des conflits avant de restructurer l’Organisation des Nations Unies.
« Lorsque j’examine les problèmes de la paix et de la violence, » poursuivit Mme Elias, « j’ai clairement le sentiment qu’un conflit qui opposerait des nations est étroitement proche d’un conflit au sein d’un pays et dans la famille ». La vraie solution, dit-elle, passe, tant au niveau international qu’au niveau local, par des initiatives en matière d’éducation, de développement et autres afin de mettre fin à la pauvreté et aux inégalités fondamentales.
D’autres participants soulignèrent l’importance que représente, sur un plan pratique, la présence d’une force capable d’intervenir lorsque les efforts déployés pour empêcher un conflit ont échoué.
« En réalité, certaines nations, en particulier celles qui sont jeunes, utilisent la force militaire pour résoudre leurs problèmes, » affirma le Lt.col. Birger Hoff, planificateur militaire au Département des opérations du maintien de la paix de l’ONU. « Et lorsque, après avoir utilisé la force elles ne veulent plus recommencer, notre organisation a besoin d’un peu de muscle pour les aider à respecter leurs accords. »
Pour une plus grande efficacité, il conviendrait de mettre sur pied une force capable d’intervenir plus rapidement pour dénouer une crise. « À l’heure actuelle, il faut entre six à neuf mois pour mettre sur pied une force traditionnelle de maintien de la paix, » continua le Lt.col. Hoff, ajoutant qu’une force permanente serait mieux en mesure de réagir promptement.
Le Lt.col. souligna aussi que, de plus en plus, les opérations du maintien de la paix de l’Organisation des Nations Unies assumaient des tâches relevant de l’édification des nations comme la tenue d’élections et l’éducation du peuple en matière de droits de l’homme – tâches qui elles aussi visent à traiter les causes sous-jacentes de conflits.
Willard Haas, fonctionnaire au Département de l’information de l’Organisation des Nations Unies, rappela que la Charte de l’ONU ne prévoit l’utilisation de la force qu’« en dernier recours ». Néanmoins, dit-il, cela ne laisse que deux alternatives: ne rien faire ou recourir à la force. « Si un acte criminel est commis, le chapitre 7 (de la Charte) prévoit que les pays s’associent contre le pays responsable de ce crime. La diplomatie sans la menace ne sert à rien. »
Pour Diane Ala’i, qui représente la Communauté internationale bahá’íe auprès de l’ONU à Genève, la plupart des problèmes posés par la réforme de l’Organisation des Nations Uniestouchent à la question fondamentale de savoir dans quelle mesure la souveraineté nationale doit être opposée aux principes internationaux.
« Certains cas extrêmement graves de violations des droits de l’homme doivent être étouffés parce que les pays les considèrent comme des problèmes intérieurs, » dit Diane Ala’i.
Ethan Taubes, directeur du programme de la Ligue internationale des droits de l’homme, souligna que l’idée d’une langue auxiliaire internationale peut aider à surmonter le sentiment de nationalisme qui renforce le mur de la souveraineté. « Elle constitue la composante d’une culture cosmopolite internationale qui transcende les intérêts de clocher, » ajouta M. Taubes.
Rebequa Getahoun, qui représente la communauté bahá’íe des Etats-Unis auprès de l’Organisation des Nations Unies,enjoignit aux membres des ONG de continuer à promouvoir des principes idéalistes et une nouvelle vision de l’humanité.
« Notre devoir est de donner une vision que les gouvernements pourront suivre, » dit Mme Getahoun, et « non de suivre les visions que les gouvernements ont imposées. En tant qu’ONG, nous sommes au-dessus des nations. La souveraineté nationale nous importe peu. Et ensemble, nous pouvons susciter le type de mouvement capable de changer la face de la terre ».
Techeste Ahderom, représentant principal de la Communauté internationale bahá’íe auprès de l’ONU, conclut en disant que ce séminaire était le premier d’une série de discussions sur les problèmes essentiels qui se posent à l’humanité à la fin du vingtième siècle.
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