Revue n° 24-25, 1996
Au Kenya, des agents de santé communautaire engagent de vastes changements
Mis en œuvre dans plus de 200 communautés, un programme de vaccinations a également contribué à l’établissement d’un nouveau type de collaboration intersectorielle et interconfessionnelle concrétisée par la construction de nouvelles latrines et par un meilleur approvisionnement en eau propre. MENU, Kenya — Mère de sept enfants, Judith Soita sait bien ce que signifie l’angoisse d’une mère penchée sur son enfant malade. Les enfants qui aujourd’hui sont heureux de jouer au bord de la route avec d’autres enfants, peuvent se retrouver demain, couchés à la maison, le regard hébété par la souffrance. Et dans ce village situé à un millier de kilomètres de Nairobi, on ne sait jamais s’ils pourront un jour recommencer à jouer.
« En tant que mère, je suis toujours inquiète: est-ce que mes enfants survivront ? » dit dans une récente interview cette maraîchère de 35 ans. « Et que dire des enfants de mes voisins ? »
Ici, les enfants contractent de nombreuses maladies infantiles. De la diarrhée simple qui frappe tant de jeunes enfants en Afrique, jusqu’à la tuberculose et au paludisme qui menacent les jeunes comme les vieux, les risques au jour le jour sont élevés. Selon des statistiques récentes publiées par la Banque mondiale, environ 10% des enfants du Kenya ne survivent pas au-delà de cinq ans.
Toutefois, les craintes de Mme Soita se sont apaisées depuis qu’elle est devenue agent de santé communautaire à la suite d’une décision prise il y a dix ans alors qu’elle assistait à une séance de formations à l’Institut bahá’í de Menu.
« Lorsque j’ai suivi pour la première fois la formation d’agent de santé communautaire, j’ignorais que j’y trouverais la réponse à ma question », dit-elle. « Depuis, j’ai pu aider ma famille, mes voisins, tout le village et les villages alentour à comprendre les règles élémentaires d’hygiène et à améliorer leur état de santé par des gestes simples. Je sens qu’il existe une réponse à ma question et que nous pouvons tous ensemble faire quelque chose pour être en meilleure santé. »
Mme Soita fait partie des quelque 98 agents de santé communautaire formés à l’Institut de Menu dans le cadre d’un projet de soins de santé primaires financé par la communauté nationale bahá’íe du Kenya. Lancé en 1986, le projet bénéficie à plus de 200 villages des provinces occidentales du Kenya.
Destiné en partie à financer le Programme élargi de vaccination du Kenya (KEPI), le projet vise un taux de vaccination de 100% dans les districts suivants: Bungoma, Kakamega et Vihiga, à l’ouest, Siaya, Kisumu et Kisii dans la province de Nyanza et Transnzoia, Nandi et Uasin Gishu dans la province de la vallée du Rift.
Si des progrès considérables ont été enregistrés en ce qui concerne le taux de couverture vaccinale, nombreux sont ceux qui disent que le vrai succès du projet tient au fait qu’il a contribué à l’établissement d’un nouveau type de collaboration intersectorielle et interconfessionnelle dans nombre de communautés de la région. Cette collaboration s’est concrétisée par la construction de nouvelles latrines et par un accès plus facile à des sources d’eau propre. Certains vont jusqu’à dire que le projet a contribué à réduire les préjugés ethniques et religieux qui ont longtemps freiné le développement dans la région.
« Ce projet a considérablement amélioré la vie des gens », dit le chef Shadrack Wabomba Kibaba Namwela du district de Bungoma dans la province occidentale. « Grâce aux agents de santé communautaire, nous avons régulièrement la visite de dispensaires mobiles. Le taux de décès des enfants a diminué et la malnutrition a elle aussi régressé. Un plus grand nombre d’habitations sont dotées de latrines et respectent les normes élémentaires d’hygiène. »
« Les faits pour la vie »
Le projet est calqué sur un modèle qui connaît un grand succès dans les communautés bahá’íes d’autres pays africains. (Des projets similaires existent au Burkina Faso, au Tchad, en Ouganda et en Zambie). Les volontaires recrutés au sein des communautés locales bahá’íes fortement implantées dans une région suivent plusieurs semaines de formation aux techniques de soins de santé de base dans un institut régional bahá’í. Fondée en partie sur le programme UNICEF/OMS/UNESCO « Facts for life », « Les faits pour la vie », la formation est axée sur des éléments simples comme la promotion de l’hygiène et de l’allaitement au sein, la compréhension des principes élémentaires de nutrition, l’importance de la vaccination et la guérison de la diarrhée infantile.
A l’issue de cette formation, les volontaires rentrent dans leurs communautés respectives pour y exercer 10 heures par semaine leur rôle d’agent de santé communautaire. Les administrateurs du projet continuent à se rendre régulièrement sur place pour leur apporter encouragements et soutien et leur proposer une formation complémentaire.
Si d’autres organisations non gouvernementales et institutions gouvernementales dispensent également des programmes de formation d’agents de santé communautaire, ceux mis en œuvre par les bahá’ís ont été particulièrement efficaces en raison du faible taux d’abandon des participants, de l’accent mis sur le service à l’égard de chaque membre de la communauté et de l’esprit de bénévolat manifesté par les agents.
« La santé publique passe obligatoirement par la formation d’agents de santé communautaire », dit Harold Kodo, éducateur national attaché au Programme élargi de vaccination du Kenya. « Lorsque l’on parle d’améliorer les soins de santé primaires dans un village, il s’agit surtout d’informer et de changer les comportements. Les agents communautaires, qui sont des locaux, connaissent la culture locale et sont donc capables d’influer beaucoup plus facilement et plus rapidement sur le comportement de la population. »
« D’après ce que j’ai vu », dit M. Kodo, « la formation des agents de santé offerte par les bahá’ís s’est déroulée paisiblement; elle était bien organisée et bien dirigée. Il convient de souligner que tous les participants étaient des locaux désireux d’apprendre à améliorer la santé des habitants de leur village, ce qui garantit au projet une plus grande viabilité ».
« De plus, les bahá’ís travaillent bénévolement et ne perçoivent aucune rémunération, alors qu’ils ne ménagent pas leur peine. Ils sont tous dotés d’une grande force d’âme qu’ils puisent sans doute dans leur Foi. Le taux d’abandon des bahá’ís en cours de formation est beaucoup plus faible que celui des autres à cause de leur motivation, de leur foi et de leurs qualités spirituelles », dit encore M. Kodo.
Selon Ethel Martens, spécialiste canadienne de médecine sociale préventive qui a aidé à la conception du projet au Kenya, le taux d’abandon a été en moyenne de 5% contre jusqu’à 70% pour certains projets de formation d’agents de santé communautaire en Afrique mis en œuvre par les gouvernements.
Le projet se distingue également par son ambition de faire participer toutes les composantes de la communauté aux décisions concernant la mise en œuvre des programmes de santé.
Comités d’hygiène de village
A l’initiative des directeurs du projet, les conseils administratifs bahá’ís de la région ont été priés de désigner trois membres chargés de créer un comité d’hygiène de village. Regroupant une douzaine d’autres dirigeants communautaires, dont des représentants des ministères de la santé, de l’agriculture, et de l’éducation ainsi que des représentants des églises, ces comités ont renforcé la coopération intersectorielle et interreligieuse dans de nombreux villages.
« A certains égards, ces comités sont devenus une sorte de conseil interconfessionnel où les différentes religions se rencontrent pour essayer de résoudre ensemble les problèmes de la communauté », dit Dr. Martens du Canada. Le projet est en partie financé par l’Association canadienne de santé publique qui, ces trois dernières années, a financé le projet à concurrence de près de 550 000 francs français.
L’apport de différents groupes et secteurs a permis aux comités d’apporter aux villageois non seulement les soins élémentaires mais aussi de s’occuper de l’assainissement, de l’approvisionnement en eau et de l’élimination des déchets solides.
Les comités jouent un rôle central dans la coordination des visites des dispensaires mobiles gérés par le gouvernement. Cette coordination est nécessaire car il arrive que les dispensaires ne se présentent pas le jour prévu, souvent faute d’argent pour payer l’essence ou l’infirmière. Ces comités se sont parfois mobilisés pour trouver les fonds supplémentaires nécessaires.
Le fait que les comités soient composés de représentants de différentes confessions a également constitué un facteur d’apaisement des tensions ethniques. L’identité tribale, qui est très forte au Kenya, est parfois cause de préjugés. Les églises sont habituellement fréquentées par les membres d’une seule tribu et il arrive parfois que les membres d’autres tribus en soient exclus.
Les communautés bahá’íes sont habituellement très diverses et prônent justement le principe d’unité dans la diversité. En rassemblant au sein d’un même comité différents représentants religieux, elles ont permis de renforcer la coopération et de mettre fin à l’exclusion.
« Grâce au travail intersectoriel en équipes mené par les comités d’hygiène, dans le cadre du projet sanitaire bahá’í, tous les villageois ont accès à une éducation gratuite sur les moyens d’améliorer la santé de leurs enfants et de leurs familles », dit Jepheneah Wanjala Wakhulumu, membre du comité d’hygiène du village de Namwela, dans le district de Bungoma (province occidentale).
A ce jour, environ 24 comités d’hygiène de village ont été créés, dit M. Bounaventure Wafula, administrateur du projet. « La création de comités d’hygiène de village a renforcé l’unité au sein des villages », dit M. Wafula. « Les chefs et représentants du gouvernement s’en félicitent et appuient vigoureusement le projet. »
« La plupart des bénéficiaires du projet et de ceux qui y participent sont des femmes », ajoute M. Wafula. « Elles apprennent à s’intéresser à la santé de leur propre famille et participent activement aux consultations. Elles prennent ainsi confiance en elles-mêmes. »
Mme Soita, qui a commencé à suivre le programme en 1986, est maintenant l’un des superviseurs du projet sur le terrain. Elle a pu constater que le succès du projet tenait en partie à l’importance que les bahá’ís attachent à la participation de tous.
« Je pense que l’une des raisons pour lesquelles les villageois nous respectent et nous soutiennent tient à la manière dont les agents de santé communautaire sont au service du peuple », dit Mme Soita. « Pendant les tournées des dispensaires mobiles et les journées de séminaire, nos agents de santé s’occupent de tout le monde sans discrimination. Peu importe la tribu ou la religion auxquelles ils appartiennent, qu’ils soient jeunes ou vieux, ils bénéficient tous des mêmes soins. »
« Lorsque j’ai commencé à travailler à ce projet en tant qu’agent de santé communautaire, la plupart des habitants de mon village et des villages voisins ne savaient rien sur les causes des maladies ni sur les moyens de prévention », dit Mme Soita. « Mais aujourd’hui, après avoir assisté à des séminaires d’information et à travers les contacts personnels qu’ils ont avec les agents de santé, la plupart d’entre eux peuvent prévenir et préviendront un bon nombre de maladies comme la diarrhée et le paludisme. »
« Je suis un bon exemple » conclut Mme Soita. « Dans notre famille, nous avons changé notre mode d’alimentation. J’ai appris ce qu’est la nutrition ainsi qu’à reconnaître les différentes catégories d’aliments, comme les hydrates de carbone, les protéines, les légumes, les fruits et les céréales. Je veille à ce que ma famille en consomme une quantité suffisante.»
— L. Doorandish-Vance
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