Revue n° 26, 1996
Nouvel espoir en Afrique pour les concasseurs de pierres
MOKWETE, Afrique du Sud — Le concassage de pierres est à coup sûr le pire de tous les métiers en Afrique. Immobilisés sous un soleil accablant et s’acharnant à coups de marteau à réduire de gros blocs de pierres en petits cailloux, les casseurs de pierres déploient une énorme force musculaire, s’exposent constamment à des blessures aux mains et aux yeux et respirent quantités de poussières nocives. C’est aussi l’un des métiers les moins rémunérés.
Récemment, un groupe de femmes de ce village pauvre situé à 300 km environ au nord-est de Johannesburg a découvert qu’à l’aide de marteaux, de barres de fer et même d’autres pierres, elles pouvaient concasser environ une demie brouette de cailloux par jour - ce pour quoi elles sont payées 3 FF 50. Mieux que rien en tous cas et assez pour acheter la nourriture élémentaire dont leurs enfants ont besoin.
Membres de la tribu des BaPedi, ces femmes collaborent depuis la fin des années 1980 avec Hlatlolanang, une organisation locale non gouvernementale, dans le but d’améliorer la nutrition.
Il y a près de deux ans, les femmes BaPedi ont commencé à se demander s’il n’existait pas de meilleure méthode pour concasser les pierres qui sont utilisées pour construire les maisons et paver les routes. C’est ainsi que Roselyn Mazi-buko, alors directrice de Hlatlolanang, a fait appel à un ami de la New Dawn Engineering, société de technologie appropriée basée au Swaziland et spécialisée dans la conception de petits outillages.
Cette initiative a débouché sur la conception de ce que l’on pense être le premier broyeur manuel au monde; par sa simplicité de conception, son faible coût et son rendement relativement élevé, cette machine pourrait transformer radicalement la vie des casseurs de pierres en Afrique et ailleurs.
« Aujourd’hui, les femmes sont vraiment enthousiasmées par ce broyeur, » dit Mme Mazibuko. « Elles en ont acheté un qu’elles se passent à tour de rôle. La demande de pierres concassées est forte et la machine fonctionne comme prévu. »
Maria Mampule Nkadimeng, l’une des femmes qui fait marcher la machine en ce moment commente : « La machine est très facile à manipuler. Auparavant, nous passions beaucoup de temps à manier le marteau et quelques fois nous nous blessions les doigts. Cette machine est très simple, très sûre. Personne ne se blesse. » Mme Nkadimeng a plus de 70 ans.
Un marché solide, des prix peu élevés
Les machines ordinaires à concasser les pierres consomment beaucoup d’énergie; elles sont lourdes et font appel à une technique sophistiquée. Elles requièrent du personnel compétent, quantité de pièces détachées et coûtent cher.
Dans de nombreuses régions du monde, ces capitaux, ce savoir-faire et le combustible nécessaire ne sont pas toujours disponibles bien que la main d’œuvre soit bon marché. Il existe donc un marché pour le broyage manuel des pierres.
Pourtant, comme l’ont constaté les femmes de Mokwete, le prix du marché est à peine assez élevé pour que cette activité soit lucrative. Selon un article du New York Times, daté du 2 août 1996, un groupe similaire de femmes en Zambie doit travailler pendant une semaine « pour produire une pile de graviers à hauteur de genoux qui peut être vendue pour 40 FF à un entrepreneur pour paver une route ou préparer un amalgame pour un sol en ciment ».
Mis au défi de fabriquer une machine capable d’augmenter le rendement des concasseurs de pierres sans dépasser le plafond de prix auquel un micro-crédit peut être consenti, Crispin Pemberton-Pigott, de la société New Dawn Engineering, a calculé qu’une machine manuelle devait satisfaire deux exigences: être performante sans tomber en panne et en même temps être facile à manipuler tout en étant adaptée aux dures réalités économiques de la concurrence des machines.
Après avoir rencontré les femmes de Mokwete et étudié leurs besoins, M. Pemberton-Pigott a conclu qu’il devait fabriquer une machine de moins de 7 500 FF dont le rendement serait au minimum de 16,65 FF par jour. Les deux années qui ont suivi ont été consacrées à l’observation du site, à la modélisation sur ordinateur; aux tests de portage et à la construction puis la destruction de prototypes dans un souci constant de réduire le poids et le coût.
Le broyeur enfin construit pèse 200 kg et est vendu actuellement au prix de 7 175 FF. Il a été présenté aux femmes de Mokwete en mai 1996. Bien que destiné à broyer 10 brouettes de pierres par jour, les femmes disent en avoir produit 16.
L’innovation technologique que représente ce broyeur combine plusieurs éléments: conception intelligente, utilisation combinée de techniques de pointe et de techniques moins avancées et par dessus tout, il résulte d’une consultation avec les utilisateurs visés.
Cette trouvaille en dit long sur la philosophie de la société New Dawn par rapport au développement des technologies appropriées. « Bon nombre d’organisations pensent qu’une technologie appropriée signifie que leurs machines doivent être le plus simple possible et n’utiliser que les pièces et les technologies fabriquées dans une région donnée, » affirme M. Pemberton-Pigott. « Toutefois, nous refusons l’idée qu’un pays ou une région doive être complètement autosuffisant dans tous les domaines, qu’il ne doive utiliser que les matériaux qu’il a sous la main. Nous sommes au contraire tout a fait disposés à recourir à des méthodes qui font appel à des technologies de pointe, en les combinant à des types de machines simples qui résoudront le problème de manière appropriée. »
Isaiah Jele, coordinateur des projets générateurs de revenus pour Hlatlolanang explique que l’organisation espère maintenant trouver des crédits pour acheter d’autres machines. Il ajoute que les projets touchent environ 300 femmes de 8 villages qui broient des pierres pour gagner de l’argent. « La machine fonctionne, » dit-il. « Elle n’a pas besoin d’électricité, ni de combustible. Et elle ne tombe pas en panne. Enfin, elle broie différents types de pierres sans aucun problème. »
Des besoins spécifiques aux femmes
Un élément non négligeable du processus a été la consultation avec les femmes de Mokwete. M. Pemberton-Pigott a longuement parlé avec les femmes de Mokwete; il a discuté de tout avec elles, depuis le type de cailloux et leur taille jusqu’au calibrage et à la répartition en lots, en passant par le revenu visé pour que la machine soit rentable.
Ce type de consultation a été très important, tant pour M. Pemberton-Pigott que pour Mme Mazibuko. Tous les deux sont membres de la communauté bahá’íe qui encourage la consultation à tous les niveaux comme un élément primordial de la reconstruction.
« Les femmes rurales auxquelles le broyeur était destiné sont analphabètes et n’étaient pas habituées à être consultées, » dit Mme Mazibuko qui, de Hlatlolanang a été mutée au gouvernement comme Directrice des districts pour les soins de santé primaires de la province du Nord et ajoute « Les pauvres des régions rurales sont rarement écoutés par ceux qui ont le savoir-faire. Leur amour propre est à présent beaucoup plus développé car ils ont le sentiment d’appartenir à la communauté. »
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