Revue n° 27, 1997
Le récif corallien nous donne des leçons sur la gestion de la rareté
The Eco Principle: Ecology and Economics in Symbiosis
Arthur L Dahl
George Ronald/Zed Books Ltd
Oxford – Londres
Bien qu’il existe dans les eaux tropicales des récifs coralliens pauvres en nutriments et en plancton, nourriture de base de la mer, la vie qu’ils renferment est d’une densité et d’une diversité remarquables… Le biologiste marin qu’est Arthur Dahl en tire une leçon très importante pour la survie à long terme de l’espèce humaine.
Au cœur d’un écosystème complexe et en fin de compte équilibré de récifs coralliens, explique-t-il, se trouve un milieu d’information et d’échange très développé qui, plus que tout, permet au récif de survivre et même de prospérer dans un milieu de rareté.
M. Dahl prend l’exemple du récif dans son nouveau livre, “The Eco Principle: Ecology and Economics in Symbiosis”, qui est beaucoup plus qu’un livre sur la biologie marine. En fait, il présente une nouvelle théorie audacieuse intégrant des concepts intéressant un grand nombre de domaines – écologie, biologie, économie, théorie des systèmes, sociologie et même religion – et explicite un certain nombre de principes universels fondés sur cette intégration.
Selon M. Dahl, l’humanité pourrait s’inspirer de ces principes pour réévaluer son orientation et se réorganiser afin de créer une civilisation planétaire vraiment viable. Bien que son but avoué soit de concilier l’écologie et l’économie, il examine un large éventail de sujets allant de la nécessité d’une meilleure éducation aux qualités requises pour la survie à long terme de l’espèce humaine.
M. Dahl, qui est Sous Directeur exécutif adjoint de la division de l’information et de l’évaluation du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), commence son livre en faisant remarquer que les mots « écologie » et « économie » ont la même racine grecque, oikos, qui signifie « maison » ou « habitat ».
« L’économie se rapporte à la gestion de notre maison et l’écologie à la connaissance et à la compréhension que nous en avons, » écrit-il. « Cette unité de racines traduit une unité sous-jacente d’objectif et de fonction qui devrait lier l’écologie et l’économie. Dans la pratique, toutefois, chaque discipline évolue dans un monde à part, utilise un langage différent et applique des principes différents. La séparation entre l’économie et l’écologie est symptomatique du dysfonctionnement de la société moderne qui menace notre avenir. »
M. Dahl résume ensuite les lacunes de notre système économique mondial et son impact sur l’environnement, expliquant que la priorité donnée au profit sur l’homme engendre une grande disparité de richesses et de pauvreté, que la non prise en compte des coûts écologiques est une source de gâchis monstrueux et de pollution et que l’objectif à court terme de la croissance et du développement est trop souvent contraire à l’objectif de viabilité à long terme.
Là où M. Dahl innove, c’est dans sa théorie des “écosystèmes” qu’il applique à toute une gamme de constructions économiques et d’organisations sociales qui dépassent et de loin les frontières traditionnelles d’un système écologique.
Il définit un “éco” comme un système fonctionnel naturel ou artificiel doté d’une intégrité naturelle avec des caractéristiques et un comportement distincts enfermés dans des limites clairement définies. Cette définition générale, dit-il, peut s’appliquer uniformément à un organisme, un écosystème, une machine, une ville, une nation, à la terre ou même à une étoile, ou à certaines formes d’organisation sociale comme une société ou une économie nationale.
A certains égards, M. Dahl prolonge la théorie des systèmes. Ce qui est nouveau et spécifique, c’est qu’il suggère que l’élément essentiel du fonctionnement d’un écosystème n’est pas à chercher dans sa base de ressource ni dans l’énergie utilisée mais dans le contenu de l’information livré par cet écosystème. A partir de cette notion se dégage une approche qui permet à l’humanité de mieux comprendre et gérer le problème auquel elle est confrontée au moment où elle passe de l’ère industrielle à l’ère de l’information.
« L’information sur l’organisation et l’intégration de l’écosystème est le facteur déterminant de sa valeur ou de sa “richesse”, notion largement oubliée en économie » écrit-il.
L’information contenue dans un écosystème peut être transmise aux autres écosystèmes et être utilisée pour établir des liaisons avec eux. En conséquence, des écosystèmes peuvent être imbriqués les uns dans les autres.
Pour rappeler l’exemple donné ci-dessus, les cellules du corps humain sont des écosystèmes qui fonctionnent à l’intérieur de l’écosystème général du corps.
M. Dahl développe cette idée en examinant les récifs coralliens en tant que système d’information et d’interconnexion; il explique que c’est le contenu de l’information et l’interconnexion des relations entre les organismes coralliens qui leur permettent de survivre dans un environnement de rareté.
De nombreux animaux coralliens renferment de minuscules plantes symbiotiques qui offrent à leur hôte de quoi se nourrir en échange de l’hébergement et de l’engrais qu’ils reçoivent.
Principes de l’écosystème
A partir d’exemples de ce type, M. Dahl énumère certains principes de base relatifs au fonctionnement d’un écosystème. Se fondant sur son étude des systèmes organiques naturels, il conclut que « l’équilibre » entre les importations et les exportations est capital pour le fonctionnement d’un écosystème, que cet « équilibre » est réalisé principalement par « l’accumulation, la transmission, et la perpétuation de l’information » au sein des écosystèmes et que « l’imbrication des écosystèmes à l’intérieur d’autres écosystèmes » constitue l’un des moyens par lesquels des systèmes complexes peuvent rester « décentralisés et gérables ».
« L’écosystème étant un concept unificateur, nous pouvons redéfinir l’écologie comme l’étude ou la connaissance des écosystèmes et l’économie comme la gestion des écosystèmes, » écrit-il. « Tous deux prennent alors un sens plus large qu’au sens traditionnel et leur complémentarité apparaît évidente. »
M. Dahl propose tout d’abord de considérer plutôt l’économie en termes organiques en comprenant bien que le « concept de croissance infinie ou illimitée » est une « impossibilité biologique et un fantasme économique ». Il vaut mieux, selon lui, prendre l’exemple du récif corallien où les niveaux d’efficacité sont plus élevés grâce à une meilleure utilisation de l’information.
Qu’elle soit ou non renforcée par une meilleure formation des travailleurs, par des lois et des règles plus élaborées pour guider l’activité économique, ou par une connaissance plus approfondie des marchés ou des progrès scientifiques qui sous-tendent les nouvelles technologies, cette information est, selon Arthur Dahl, la vraie richesse de la société – ce ne sont ni l’argent ni les biens.
Il explique que la constitution d’un « capital humain », principalement par le biais d’une meilleure éducation, est le meilleur investissement qui soit dans un monde qui s’efforce de construire une société durable. « Une société dont le principal axe de développement est centré sur la connaissance plutôt que sur l’argent pourra tirer parti des énormes progrès de notre civilisation. »
De même, pour bien gérer les nouveaux systèmes économiques inspirés des principes des écosystèmes, il faut apprendre à diriger autrement. La gestion de flux d’information et de ressources de plus en plus complexes entre des écosystèmes imbriqués demande moins de bureaucratie et plus de consultation.
Valeurs planétaires
En définitive, les principes de l’écosystème commandent de nouvelles valeurs. « Le concept essentiel qui doit être au cœur de notre vision du monde est que la planète, à son échelle la plus large, est un écosystème unique, une communauté humaine mondiale liée aux systèmes naturels de la terre et dépendante d’eux, » écrit M. Dahl. « A ce niveau, l’unicité de l’humanité et l’unicité de la nature se rejoignent. » La plupart des problèmes de l’humanité tiennent au fait que nous avons ignoré l’existence d’un écosystème planétaire et que nous ne nous sommes pas préoccupés des équilibres de la planète.
M. Dahl, qui est bahá’í, explique qu’il a en grande partie puisé son inspiration dans les écrits bahá’ís. Selon lui, les valeurs et les structures administratives de la communauté mondiale bahá’íe pourraient servir de modèle aux scientifiques et aux penseurs pour étudier la signification des principes des écosystèmes pour l’avenir de la planète.
La communauté bahá’íe, écrit-il « est très décentralisée et adaptée aux cultures, aux nations et aux peuples du monde; pourtant, elle les relie dans un système mondial qui correspond aux degrés croissants d’échanges économiques, sociaux et culturels internationaux. Elle fonctionne d’une façon fondamentalement organique et évolutive, s’appuie sur les points forts des systèmes démocratiques, tout en compensant leurs dysfonctionnements les plus courants. Sa ressemblance évidente avec les systèmes naturels la rend adaptable au type de structure décentralisée, à plusieurs niveaux, dont a besoin une société mondiale en évolution, capable de mettre en équilibre les pressions de l’homme avec les exigences de l’environnement aux fins d’un développement durable ».
Le temps nous dira si les théories énoncées dans The Eco Principle auront sur l’économie l’effet d’exemple prédit par M. Dahl. Toutefois, par leur ampleur et leur portée, elles méritent un examen attentif.
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