Revue n° 27, 1997
Au Honduras, un hôpital rural est victime de son succès
PALACIOS, Honduras — Presque partout dans le monde, la gestion d’un petit hôpital rural est difficile étant donné qu’un nombre restreint de patients seulement est en mesure de payer. Pour gérer un hôpital, il faut une certaine masse critique de patients qui paient, ce qui est rarement le cas dans les régions rurales.
Le problème est particulièrement aigu ici, dans et autour de ce village de quelque 700 habitants, situé sur la côte déserte du nord-est du Honduras. Essentiellement peuplé de Caraïbes noirs (Garifuna) et d’Indiens Miskitos autochtones, ce village vit principalement de la pêche et de l’agriculture de subsistance – bien que certains hommes travaillent sur les centaines de bateaux de pêche commerciaux qui sillonnent les eaux autour des îles de la baie voisine.
Qui plus est, la population autour de Palacios est très dispersée. Les 7 à 10.000 habitants de la « Zone », comme on dit ici, vivent le long de voies navigables intérieures qui traversent la jungle du marais côtier. La Zone est complètement isolée étant donné qu’il n’existe pas de route qui la relie au reste du Honduras; l’accès n’est possible que par bateau ou par avion. Enfin, il n’y a pas de lignes téléphoniques.
C’est précisément à cause du manque de revenus et du sentiment d’isolement que les besoins médicaux sont immenses. En 1985, deux médecins bahá’ís et leurs épouses ont créé l’hôpital Bayan. Leur seul objectif, conformément aux principes spirituels auxquels ils adhèrent, était de servir les habitants de la région et de fournir un point de départ à d’autres formes de développement économique et social.
Aujourd’hui, plus de dix ans après, l’hôpital Bayan a réussi et peut-être même trop bien. Doté d’un petit bloc opératoire, d’une salle d’examen, d’un matériel de radiologie, d’une pharmacie, d’un laboratoire et d’une salle d’attente, l’hôpital offre vingt-quatre heures sur vingt-quatre des soins médicaux à bas prix, y compris des visites régulières de spécialistes en cardiologie, gynécologie, dentisterie, ophtalmologie et chirurgie.
Le problème est que, comme pour bien d’autres petits hôpitaux de par le monde, chaque patient lui fait perdre de l’argent. « Nous nous sommes récemment penchés sur nos comptes et avons constaté que nous perdions en réalité 18FF chaque fois qu’un malade pousse notre porte, » dit le docteur Barry Smith, l’un des fondateurs de l’hôpital. « Je suppose qu’il eut été plus simple pour nous de mettre la clé sous la porte »
Mais comme cela arrive souvent dans le cas de projets et d’institutions humanitaires, cette solution a été jugée impensable par les administrateurs de l’hôpital. Celui-ci a été ouvert pour les plus malheureux et ses directeurs ne sont pas prêts à s’en aller.
« L’une des différences entre notre concept de la “charité” et le concept appliqué par la plupart des autres hôpitaux humanitaires est le paternalisme, » dit le docteur Smith. « L’hôpital Bayan n’a jamais été et ne sera jamais paternaliste. D’ailleurs, l’une des difficultés que nous avons rencontrées tient au fait que les patients attendaient un hôpital de ce type. »
« Dès le départ, notre philosophie a consisté à faire de l’hôpital Bayan un tremplin pour le développement social et économique de la région, » précise le docteur Smith. Nous avons voulu qu’il ne soit pas seulement un prestataire de services mais un banc d’essai pour le développement.
C’est dans ce cadre que l’histoire de l’hôpital prend un nouveau tournant et témoigne de son approche particulière à l’égard de l’assistance humanitaire.
La vision de deux médecins
Les deux cofondateurs de l’hôpital, le docteur Smith et le docteur Houshang Sabripour, sont venus au Honduras avec le désir de participer au développement social et économique du pays. Le docteur Sabripour est arrivé d’Iran avec sa femme en 1976; le docteur Smith et sa femme Marilyn, originaires des États-unis, sont arrivés en 1980.
Évaluant les besoins du pays, les deux médecins ont conclu que cette région éloignée, qui à l’époque n’avait ni dispensaire ni hôpital proprement dit, avait un besoin urgent de ces services qu’ils étaient capables de fournir. En coopération avec la communauté bahá’íe du Honduras, ils ont fondé l’Association Bayan et ont commencé à construire un hôpital.
« Le projet a démarré d’une manière très classique grâce aux efforts des deux familles, » dit William Gitchell, anesthésiste américain venu à six reprises travailler bénévolement à l’hôpital. « Le projet était nourri d’un engagement personnel très fort. »
Au début, les deux médecins et leurs familles ont participé à presque tous les aspects du projet. Tous les deux exerçaient leur métier à l’hôpital quasiment à plein temps. Mais ils assumaient aussi d’autres tâches. Dr. Sabripour a aidé à la pose des briques de construction et a largement contribué à l’élaboration des plans de l’hôpital. Madame Smith, en qualité d’enseignante, a joué le rôle d’administrateur du projet. Enfin, Madame Sabripour a travaillé comme infirmière.
En collaboration avec un réseau de médecins bahá’ís et de spécialistes d’Amérique du Nord, les Smith et les Sabripour ont sollicité des dons de matériaux de construction et de matériel médical. A un moment donné, vers la fin des années 1980, avec le soutien d’une communauté bahá’íe du Minnesota, des milliers de dollars en matériel médical supplémentaire en provenance des États-Unis ont été envoyés à Palacios avec l’aide de quelques régiments militaires américains qui ont inclus ce transport aérien dans leur exercice d’entraînement.
Au fil des années, le projet a également réussi à attirer un flux de professionnels et jeunes bénévoles. Des équipes de médecins de différentes confessions religieuses ont fourni à plusieurs occasions des services de spécialistes et de chirurgie dans le cadre de visites de cinq à dix jours. Ces visites ont attiré un nombre important de patients et ont contribué à la réputation de l’hôpital.
Dès lors que l’hôpital a été mis sur pieds, ses fondateurs ont pu prendre du recul et réfléchir à la façon dont la communauté pourrait participer à leur activité, ce qui à leurs yeux était essentiel pour la viabilité à long terme de l’hôpital.
« Nous avons toujours eu à l’esprit le souci d’intégrer l’hôpital dans un projet plus vaste consistant à aider les gens à réfléchir à leurs problèmes et à trouver des solutions par eux-mêmes, » dit le docteur Sabripour. « Le fait est que sur le plan médical la situation était si mauvaise et que les villageois avaient un tel besoin de services médicaux, que ces aspects du projet étaient prioritaires. »
En 1992, les directeurs de l’hôpital ont élaboré un document présentant une vision à long terme du projet et couvrant plusieurs domaines liés les uns aux autres : l’hôpital, les programmes de vulgarisation et l’éducation de la population.
Plus tard, ils ont pris un certain nombre d’initiatives complémentaires dans le domaine du développement pour renforcer les capacités de la population locale : il s’agissait aussi bien d’un projet de tutorat dans l’enseignement supérieur que d’un plan communautaire intéressant l’approvisionnement en eau, l’assainissement ou l’éducation sanitaire.
« L’hôpital est un service très demandé mais les directeurs ont reconnu qu’il ne pouvait survivre sans un volet consacré à l’éducation et au renforcement des capacités, » dit Roy Steiner, spécialiste du développement international qui s’est rendu plusieurs fois sur les lieux du projet.
« Les fondateurs ne se sont jamais départis de cette conviction. L’hôpital offre aujourd’hui des services médicaux d’excellente qualité et a sauvé un nombre incalculable de vies. Mais il s’agit au fond d’un engagement à aider les autres à prendre leurs propres décisions, à prendre en charge leur propre bien-être, » dit le docteur Steiner.
L’adoption du projet de tutorat à l’université, en particulier, ajoute le docteur Steiner, est un élément clé pour renforcer la capacité des habitants de la région. Il est fondé sur le modèle SAT (Système d’enseignement par tutorat) mis au point par la FUNDAEC en Colombie [Voir One Country n° 24-25]. Il s’agit d’un programme d’enseignement secondaire conçu essentiellement pour les étudiants ruraux sur la base d’une série de manuels très interactifs, permettant à des tuteurs spécialement formés à cet effet et issus eux-mêmes de la Zone d’offrir aux étudiants ruraux défavorisés un enseignement de très grande qualité adapté à leur situation et à leur mode de vie.
Le programme est conçu autour de la notion de service à l’égard de la communauté et souligne des valeurs morales fondamentales comme l’honnêteté, la confiance et la dignité ainsi que des principes écologiques essentiels. C’est un programme fort au service de la communauté.
« L’association Bayan a déjà mis en place le programme SAT dans 23 villages de la région et un minimum de 300 élèves recevront d’ici deux ans une formation supérieure » dit le docteur Steiner. « Ce programme permet vraiment de dépasser la simple prestation de service pour être aussi un service éducatif. »
Réunions communautaires récentes
L’étape suivante consiste à passer d’un projet lancé par des étrangers à un service durable soutenu par la communauté elle-même. Une remarquable série de réunions tenues au cours de l’été dernier a encouragé la poursuite du projet par étapes. Elles ont rassemblé plus de 60 représentants des huit communautés desservies par l’hôpital et ont montré que la communauté se sentait fortement impliquée.
Les dirigeants et représentants communautaires ont déclaré qu’ils s’efforceraient de trouver de nouveaux moyens permettant à l’hôpital d’être autosuffisant.
« On ne sait ce qu’on a que lorsqu’on l’a perdu, » dit Zulma Norales de Batalla, chef communautaire et femme d’affaires. « Nous poursuivrons ce type de réunions pour sauver l’hôpital parce que c’est le nôtre. »
Hilaria Martinez, infirmière représentant le Ministère de la santé, s’est félicitée du travail accompli par l’hôpital et a ajouté qu’il remplissait un rôle clé dans la communauté. « C’est le seul hôpital de la Zone » explique-t-elle. « Je considère qu’il ne coûte pas cher. Si nous n’avions pas cet hôpital, il faudrait prendre l’avion pour aller en ville et accompagner le malade. »
Depuis ces réunions, les autorités municipales ont commencé à travailler plus étroitement avec l’hôpital pour élargir la base de soutien. Récemment, des discussions ont été également engagées avec le Ministère de la santé. Aucune des personnes engagées à la réalisation du projet ne doute de son succès.
Le président du conseil de la communauté de Batalla, Natividad Figueroa, a déclaré que sa municipalité travaillerait avec d’autres communautés pour élaborer une proposition visant à apporter à l’hôpital le soutien dont il a besoin. « Ce n’est pas une bonne idée de fermer l’hôpital, » dit-il. « Mais maintenant il n’est pas trop tard pour l’aider à se relever. »
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