Revue n° 28, 1997
Condamnés à mort pour « apostasie », deux bahá’ís d’Iran font appel
NEW YORK — Des rapports selon lesquels la Cour suprême d’Iran a maintenu la peine de mort à l’encontre de deux Iraniens jugés et accusés d’ « apostasie » parce qu’ils se seraient convertis de l’Islam à la foi bahá’íe, a suscité l’émotion de la communauté internationale qui s’inquiète de ce que le gouvernement iranien recommence à exécuter les bahá’ís dans le cadre de sa campagne permanente de persécution religieuse.
Plusieurs gouvernements et organisations de pays étrangers comme les États-Unis, l’Allemagne, le Parlement européen, Amnesty International et la Communauté internationale bahá’íe, ont récemment exprimé leur profonde préoccupation sur le sort des deux hommes. Tous ont dit, d’une manière ou d’une autre, que l’incarcération et la peine de mort au seul motif d’avoir choisi une religion sur une autre était de la persécution pure et simple en contradiction flagrante avec la législation internationale en matière de droits de l’homme reconnue par l’Iran.
Musa Talibi, arrêté en 1994, et Dhabihu’llah Mahrami, arrêté en 1995, sont en prison en attendant le jugement de l’appel qu’ils ont interjeté contre la peine de mort à laquelle les tribunaux révolutionnaires compétents en matière d’apostasie les ont condamnés.
En janvier, il a été annoncé que les deux hommes avaient reçu oralement confirmation de ces peines. D’une manière générale, les autorités iraniennes communiquent oralement le verdict du tribunal aux prisonniers sans leur transmettre le texte du jugement.
Transferts de prison
Le récent transfert des deux hommes dans d’autres prisons soulève des inquiétudes sur les intentions du gouvernement. M. Talibi, qui était emprisonné à Ispahan, vient d’être transféré à la célèbre prison d’Evin de Téhéran. M. Mahrami, détenu à Yazd, vient de quitter la prison du tribunal révolutionnaire de cette ville pour être transféré à la prison du Département de l’intérieur de la même ville.
« La confirmation des peines prononcées à l’encontre de MM. Talibi et Mahrami porte à quatre le nombre des bahá’ís condamnés à mort en Iran, » dit Techeste Ahderom, principal représentant de la Communauté internationale bahá’íe auprès des Nations Unies.
Depuis 1979, plus de 200 bahá’ís ont été exécutés en Iran pour des motifs religieux. Des centaines d’autres ont été emprisonnés et des milliers ont été privés de leur emploi, de leurs biens et/ou de l’accès à l’éducation dans le cadre d’une campagne de persécution orchestrée par le gouvernement. Ces dernières années, cependant, cette oppression s’était à certains égards relâchée. De plus en plus d’autorisations de voyage avaient été accordées aux bahá’ís et aucun d’entre eux n’avait été exécuté depuis 1992.
Campagne de désinformation
Pour tenter de détourner l’attention internationale de cette dernière mesure de répression, le gouvernement iranien a lancé une campagne de désinformation sur les charges pesant contre les deux hommes, dit M. Ahderom.
Dans des déclarations aux médias et aux gouvernements, les autorités iraniennes ont commencé récemment à dire que M. Talibi et M. Mahrami ont été condamnés à mort parce qu’ils auraient mené des activités d’espionnage pour le compte d’Israël, accusation souvent utilisée par l’Iran à l’appui de ses allégations selon lesquelles les bahá’ís seraient impliqués dans des activités « politiques ».
Selon Reuters News Service, l’IRNA, agence officielle de presse iranienne, qui cite Gholam Hoseyn Rahbarpour, chef des tribunaux révolutionnaires islamiques d’Iran, les deux hommes sont accusés d’espionnage pour le compte d’Israël. « Personne en Iran ne peut être poursuivi ou puni pour ses idées ou ses convictions, » dit Rahbarpour, dans un rapport du 23 février.
Pourtant, il ressort clairement des comptes-rendus du tribunal que les deux hommes ont été dans un premier temps accusés, jugés et condamnés à mort pour « apostasie ». Selon le procès-verbal du jugement de M.Talibi, établi par le Tribunal révolutionnaire d’Ispahan, il est « accusé “d’apostasie de l’Islam”, contre les intérêts de la République islamique d’Iran et d’attirer des individus à la secte égarée des bahá’ís ». Le procès-verbal du procès de M. Mahrami, conduit par le tribunal révolutionnaire de Yazd, rapporte qu’il a été accusé de « dénoncer la religion islamique et d’adopter les croyances de la secte bahá’íe; une apostasie nationale ».
« L’Iran a maintes fois tenté d’affirmer que les bahá’ís menaient des activités politiques illégales et que c’est pour pour cette raison que certains d’entre eux ont été jetés en prison et exécutés, » dit M. Ahderom. « Pourtant, de nombreux enquêteurs indépendants, travaillant pour l’ONU ou pour des groupes comme Amnesty International, ont conclu à plusieurs reprises que les bahá’ís d’Iran ne sont persécutés que pour des motifs d’ordre religieux. »
« L’accusation selon laquelle MM. Talibi et Mahrami sont coupables d’espionnage pour le compte d’Israël ou d’autres crimes du même genre, accusation portée après que les comptes-rendus de leurs procès aient clairement montré que leur seul crime a été de se reconvertir de l’Islam à la foi bahá’íe, qualifiée de “secte égarée” et “d’hérésie”, montre à quel point les autorités iraniennes sont prêtes à inventer des faits erronés pour calmer l’opinion internationale, » dit encore M. Ahderom.
Depuis le début des années 1980, alors qu’en moyenne plus d’un bahá’í par mois était exécuté, la communauté internationale n’a cessé d’exprimer sa préoccupation au sujet du traitement des bahá’ís en Iran qui représentent, avec plus de 300 000 membres, la minorité religieuse la plus importante de ce pays.
Rapport sur l’intolérance religieuse
En février 1996, la crédibilité de l’Iran a été sérieusement ébranlée lorsque le rapporteur spécial de l’ONU chargé de l’intolérance religieuse, le tunisien Abdelfattah Amor, a explicitement émis des doutes quant à l’affirmation de l’Iran selon laquelle la foi bahá’íe serait une organisation politique et donc à ce titre non soumise aux règles du droit international contre la discrimination religieuse.
Affirmant qu’il était faux de penser que toute la communauté était engagée dans des activités politiques ou d’espionage, il a recommandé que l’interdiction pesant sur l’organisation des bahá’ís soit levée pour lui permettre de s’organiser librement à travers ses institutions administratives.
En octobre 1996, un rapport de Maurice Danby Copithorne, chargé par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies de surveiller la situation des droits de l’homme en Iran, a relevé avec préoccupation les accusations d’apostasie portées devant les tribunaux contre M. Talibi et M. Mahrami. M. Copithorne dit également que les bahá’ís continuent d’être emprisonés à cause de leur religion, que leurs biens continuent d’être confisqués dans de nombreuses régions du pays et que les jeunes bahá’ís sont toujours privés d’accès aux universités iraniennes.
L’Assemblée générale exprime sa préoccupation
En décembre 1996, pour la douzième fois en 12 ans, l’Assemblée générale des Nations Unies a voté une résolution exprimant sa préoccupation devant « les atteintes graves aux droits de l’homme en Iran » , appelant le gouvernement de la République islamique « à respecter les obligations auxquelles elle a librement souscrit » au titre des instruments internationaux des droits de l’homme. L’Assemblée générale a également prié instamment l’Iran de « mettre en œuvre pleinement » les recommandations du prof. Amor, recommandations qui lui demandaient aussi de permettre à la communauté bahá’íe d’ « exercer pleinement ses activités religieuses » .
En février, M. Copithorne a préparé un rapport mis à jour pour la Commission des droits de l’homme. Il dit qu’il a « continué à recevoir des rapports de cas de violations graves des droits de l’homme des bahá’ís en Iran ainsi que de mesures de discrimination à l’encontre des membres de cette communauté religieuse, détentions arbitraires, refus d’inscription à l’université, licenciement et confiscation de leurs biens » .
M. Copithorne a ajouté que des bahá’ís avaient été « arrêtés et détenus pendant de courtes périodes dans différentes villes de ce pays » et que « d’une manière générale leurs biens personnels continuaient à ne pas être respectés ».
« Dans la seule ville de Yazd, dans plus de 150 cas, des biens auraient été confisqués en 1996 » écrit M. Copithorne. « La majorité des bahá’ís de Yazd se voient interdire d’ouvrir un commerce. A Kashan, une mosquée a été construite sur un site confisqué aux bahá’ís. Les pharmacies de bahá’ís à Sari et à Qa’im Shahr auraient été fermées et mises sous scellé. »
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