Revue n° 15, 1993
Le suicide collectif n’est pas inéluctable
Non à la Société dépressive
Par Tony Anatrella
Flammarion
Paris, 1999
Il suffit de prendre le métro à n’importe quelle heure de la journée pour s’apercevoir que la morosité et le mal de vivre sont monnaie courante – le psychanalyste Tony Anatrella, professeur de psychologie clinique et spécialiste de la psychologie juvénile, essaye d’expliquer dans son livre Non à la société dépressive pourquoi notre société est en mal d’espérance. La thèse qu’il défend est que la dépression de la société contemporaine a des origines spirituelles très profondes. Et la notre, qui accepte le suicide des jeunes, la promiscuité, le divorce, la toxicomanie et l’avortement comme des phénomènes inéluctables, est une société profondément malade, au bord de l’implosion.
Ce qui rend ce livre si intéressant est le fait que l’auteur ose aller à contre courant des idées reçues de notre époque pour mettre le doigt directement sur la plaie – que le manque de spirituel, l’éloignement de Dieu de la culture, de la politique, de la morale, de notre vie quotidienne, nous a laissé orphelins, incapables de nous réaliser en tant qu’individus et en tant que collectivités, nous figeant dans une sorte d’adolescence perpétuelle. L’homme a besoin d’idéal pour se transcender, pour aller au delà de lui-même.
Selon Anatrella, il y a une étrange similitude entre notre époque et le deuxième siècle, quand le monde antique était en train de succomber d’une lente et longue agonie. En ce temps là, les hommes étaient aussi dépressifs et ils considéraient leur époque avec un profond pressentiment de malheur.
En voulant se libérer de Dieu, nos sociétés ont produit des idéologies aliénantes et désespérantes, affirme l’auteur. Les trois grands courants politiques que notre siècle a produits, le Fascisme, le Marxisme et le Nazisme, ont laissé des dizaines de millions de morts : 60 000 000 en Russie depuis Lénine, 6 000 000 en Allemagne et qui sait combien d’autres morts dans tous les autres systèmes fascistes du monde.
D’après Anatrella, la religion, par contre, est source de cohésion et elle représente un élan vital d’une rare intensité. Au lieu de diminuer les champs d’activité de l’homme, comme le fait la dépression, elle lui ouvre des perspectives infinies. Les capacités de l’homme sont illimitées et la religion lui donne les possibilités de les développer.
Anatrella dit dans son livre que les hommes et les femmes d’aujourd’hui font la grève de l’idéal. En refusant de trouver un idéal en dehors d’eux-mêmes, ils se ferment dans une impasse.
La dépression est une maladie du sens de l’idéal à partir duquel la vie devient possible. Les dépressifs ont l’impression d’être dépossédés de leur vie et incapables d’anticiper l’avenir. Une société dépressive est donc une société qui est sans avenir, et sans avenir elle est condamnée à mourir.
Le problème de la relation envers l’autre est au coeur du problème de la sexualité contemporaine. Il prend corps quand on laisse entendre qu’il n’y a pas d’idéal et que la loi morale peut être manipulée selon des intérêts particuliers. Pour citer l’auteur, « Il n’est pas juste de prétendre que la morale ne concerne pas la sexualité: aucune activité humaine quand il s’agit d’engager des choix de comportement ne peut être soustraite à l’appréciation par un système de valeurs ».
Quant aux polémiques qui entourent la question de l’avortement de nos jours, c’est la relation envers l’enfant que nous devrions revoir. Selon Anatrella, premièrement, l’enfant n’est pas un droit mais un devoir à assumer, vis-à-vis duquel plusieurs partenaires, depuis les parents jusqu’à la société, sont engagés. Beaucoup de personnes considèrent l’enfant comme un moyen de s’épanouir et non pas comme le futur de la société, à qui il faut transmettre les valeurs et la culture de notre civilisation. Plus une société respecte l’enfant, plus elle respecte la vie humaine. Une attitude trop nonchalante en ce qui concerne l’avortement peut donner lieu à trois problèmes: l’eugénisme, un enfant choisi à l’image de son idéal, donc à soi-même; l’infanticide, la suppression des enfants non désirés; le pouvoir du démiurge des parents, qui assument le droit de la vie ou de la mort de leurs enfants.
Anatrella parle aussi du divorce, qui augmente d’une façon alarmante. Le divorce n’est pas non plus une affaire privée, mais aussi un problème pour la société. Il a un coût humain élevé, que ce soit de point de vue économique, humain, moral ou spirituel. La souffrance qu’il cause est grande, non seulement, pour les partenaires, mais aussi pour leurs enfants, qui en porteront les séquelles tout le reste de leur vie. Cette cassure peut mettre en péril l’unité et la construction de leur personnalité.
L’homosexualité, quant à elle, est un miroir de notre société dépressive. Chaque fois que l’impératif de la reproduction de l’espèce humaine fléchit dans la conscience sociale, l’homosexualité augmente dit l’auteur.
La maladie la plus redoutable de notre siècle, le sida, est une attaque intérieure de l’être humain. Les campagnes publicitaires, qui ont été menées en faveur du préservatif comme moyen de se protéger contre le sida, empêchent une réflexion sur les comportements sexuels contemporains qui en sont la cause, souligne Tony Anatrella.
La toxicomanie, par contre, naît d’un état dépressif ou de la curiosité pour ce qui est défendu. Elle neutralise progressivement des fonctions qui sont essentielles pour la vie psychique, condamnant ses victimes à une désagrégation lente de leurs facultés et à une mort certaine. Il faut retenir que ce n’est pas la société qui crée la toxicomanie, mais le toxicomane lui-même. L’accoutumance aux drogues est la conséquence du déficit que vivent les adolescents quand ils refusent d’accomplir les tâches psychiques propres à leur âge. En bref, on pourrait dire que c’est une fuite à l’intérieur.
La montée du taux de suicide, qui préoccupe tant nos sociétés occidentales, est un indice de notre santé morale. Le suicide est la première cause de mortalité en Europe, la France venant en deuxième position après le Danemark. L’environnement actuel, selon l’auteur, favorise le développement de personnalités à caractère narcissique et psychotique qui se brisent quand ils viennent se heurter aux dures réalités de la vie.
Ces symptômes selon Anatrella sont ceux d’une société « adolescentrique » : « C’est le modèle d’un homme immature qui domine aujourd’hui nos représentations; la multiplication des séparations, la confusion des sexes, l’intériorité vide de soi, le recours à la drogue et la progression du suicide sont autant de symptômes d’une société adolescentrique qui vit au rythme juvénile de l’immédiat et de l’instant sans vouloir prendre conscience de ce qu’elle engage ; symptômes également d’une profonde crise morale qui omet les règles et les références les plus élémentaires qui humanisent l’existence. »
Pour conclure, Anatrella insiste sur le fait que la crise actuelle est morale. Pour s’en sortir il n’y a qu’une solution: redécouvrir le sens de l’idéal. La dimension religieuse est une partie inhérente de la structure psychique de l’homme; la tuer en lui c’est lui faire courir à sa perte. La religion a aussi une dimension sociale, à laquelle ni la culture ni la politique ne peut se substituer. Toute notre civilisation est basée sur la religion: elle constitue notre patrimoine spirituel. Elle a toujours été un facteur d’intégration sociale et si nous voulions refaire notre société, c’est par là qu’il faudrait commencer.
Ce livre très lucide, nous fait réfléchir aux causes profondes de la crise que nous vivons actuellement.
Il nous rappel-le que la vie est possible autrement, à condition d’avoir un idéal moral. — L. H.
|