Revue n° 29, 1997
Le monde entier dans une salle de classe
Pourquoi, malgré la désertification des internats en Europe, il faut en ouvrir un autre.
HLUBOKA, République tchèque — Situation typique dans le petit village de Hluboka, au sud de la Bohème : un couple de touristes allemands s’approche prudemment d’un groupe d’élèves, et, comme ils ne parlent pas le tchèque, essaient avec les mains de demander où se trouve le château. Surprise ! Les jeunes répondent avec aisance en anglais et en allemand ! A la question de savoir s’ils sont ici en vacances, ils répondent fièrement : « Non ! Nous sommes pensionnaires ! » . La plupart des touristes ne peuvent absolument pas comprendre que des jeunes allemands aillent à l’école dans « un tel pays » . On peut en effet se demander ce qui attire des élèves et des enseignants de plus de 30 pays dans le petit village voisin de la ville de Budweis : c’est la Townshend International School (TIS), une école secondaire anglophone accueillant des élèves de la 5ème à la terminale et ouverte dans l’enthousiasme en 1992.
L’objectif de la Townshend International School est d’offrir aux élèves un environnement éthique et morale où ils apprendront à respecter et apprécier des individus issus de cultures et de milieux différents. Ce respect se traduira dans la façon de communiquer et de s’entraider. Obligés de relever quotidiennement des défis et de se plier à la discipline de l’école, les élèves y apprendront à prendre en mains leur propre vie et à être au service des autres. Ainsi, ils pourront quitter l’école en ayant une attitude positive à l’égard de la vie et être capables d’exploiter ce qu’ils ont appris avec un esprit d’innovation et d’entreprise.
Depuis son ouverture, en 1992, l’école poursuit les mêmes objectifs, même si elle a connu des difficultés à ses débuts. Les élèves ont fait preuve à cet égard d’un grand sens de responsabilité qui a développé leur sentiment de solidarité et leur capacité d’initiative. Tout ceci se révèle être aujourd’hui d’autant plus positif que les problèmes de démarrage ont été résolus grâce à un meilleur contrôle des qualifications professionnelles du corps enseignant et à l’institution d’une période de stage.
Le financement de l’école, qui est une entreprise à but non lucratif, est assuré par des dons, d’une part, et les droits de scolarité, d’autre part. Les initiateurs ont créé une fondation à laquelle sont affiliés quelques sponsors. Par ailleurs, les internes financent une partie des frais d’internat et de scolarité. Les externes tchèques doivent, en plus des sommes versées par l’État pour chaque élève, s’acquitter d’un forfait minimum.
Lorsque les bacheliers quittent la Townshend School après la terminale, ils sont en possession d’un baccalauréat tchèque, c’est à dire que la TIS est une école reconnue aussi bien en République tchèque, première école internationale du pays, que dans la plupart des pays européens qui la considèrent comme une école privée permettant l’accès à des études universitaires. De plus, l’école vient de soumettre une demande d’admission au Conseil européen des écoles internationales. La procédure d’admission demande toujours plusieurs années avant une reconnaissance complète. Un baccalauréat international pourra alors être délivré aux élèves.
La Townshend International School a une importance particulière aux yeux des communautés bahá’íes d’Europe en ce sens qu’elle est la première et à ce jour la seule école secondaire bahá’íe en Europe. Située au cœur du continent, elle représente pour beaucoup, bahá’ís ou non, tant à l’est qu’à l’ouest, une alternative à d’autres écoles. Beaucoup envoient leurs enfants dans cet internat par mécontentement à l’égard des écoles traditionnelles existant dans leur pays. Toutefois, ce qui pousse avant tout les parents, même les tchèques, à faire cette démarche singulière pour leurs enfants, c’est le caractère international de l’apprentissage dispensé dans cette école.
« C’est formidable de vivre avec des jeunes du monde entier »
En outre, la qualité de la formation est unique en ce sens qu’il n’y a pas plus de 9 à 15 élèves par classe. Il en résulte une bonne atmosphère de travail qui permet aux enseignants internationaux qualifiés de bien s’occuper des élèves. Par exemple, tous les élèves doivent obligatoirement suivre le cours intitulé « Comportement social » où les valeurs et les questions sociales sont discutées. Ce cours s’appuie sur les principes de la foi bahá’íe. Son but est d’inculquer aux élèves l’amour et le respect des valeurs morales et éthiques et de les inciter à les mettre en pratique dans leur vie quotidienne, par exemple dans le cadre du groupe de danse et théâtre intitulé « Hymnes à l’unité » , auquel une grande partie des élèves consacre beaucoup de temps et d’énergie. Par le biais de la danse, ils essaient de sensibiliser le public, dans le cadre de conférences ou tout simplement dans la rue, aux difficultés du temps présent et de transmettre des principes spirituels et moraux.
L’État tchèque est très honoré de pouvoir accueillir sur son territoire une école dont les valeurs morales sont aussi élevées. Les lettres et les messages qu’elle reçoit témoignent non seulement du prestige dont elle jouit mais aussi de l’espoir de voir la Townshend International School servir d’exemple au système scolaire tchèque. La ville de Hluboka en particulier est très fière de « son école » et l’aide au maximum, comme dernièrement, par exemple, pour l’achat d’un terrain destiné à la future construction de ses propres bâtiments.
Ces dernières années, tout un chacun a été impliqué dans tous les aléas de la vie de l’école. La discipline, le courage et l’indépendance que les élèves ont acquis sont des qualités qu’ils garderont toute leur vie au service de l’humanité. Aujourd’hui, l’école dispose d’un corps enseignant de bonne qualité et expérimenté, d’un personnel d’internat remarquable et de tous les matériels pédagogiques et informatiques nécessaires. Elle a surtout besoin d’élèves qui non seulement attendent beaucoup de leur école mais qui soient aussi un enrichissement pour les autres. C’est ce à quoi tend le nouveau programme de la TIS (Formation pour servir). Il s’agit d’un programme d’un an dans le cadre duquel les bacheliers ont la possibilité de suivre des conférences et des cours au niveau universitaire et aussi d’enseigner eux-mêmes dans des écoles au sud de la Bohème, en Autriche et en Allemagne. Ainsi les étudiants devraient-ils être prêts à entrer à l’université et aussi à servir les autres.
L’année dernière, la TIS comptait près de 120 élèves, dont pour la première fois des élèves du niveau élémentaire pour lesquels une section spéciale a été aménagée.
Les membres du personnel de la TIS qu’ils soient professeurs, administrateurs, responsables de dortoirs ou cuisiniers, représentent en tout plus de trente personnes des quatre coins du monde et sont tous unis dans un but commun : l’amour et l’attention qu’ils portent aux élèves.
Le directeur des études, Keith Sabri, originaire d’Australie, considère que son travail dans une école comme Townshend lui offre une chance de croire en l’humanité. « L’école a choisi comme slogan : “Que chaque jour soit meilleur que le jour précédent” ; elle vise quotidiennement l’excellence dans tous les domaines. Les principes et les objectifs de l’éducation de la TIS sont extrêmement importants tant pour les élèves que pour les parents et l’ensemble de la société qui doit se développer en ce siècle de communication. »
On peut affirmer que tous les élèves qui ont passé un certain temps à l’école Townshend seront un enrichissement pour leur entourage. Ils sont un exemple pour une société positive dans laquelle une éducation fondée sur l’éthique et la morale apprend à vivre au service des autres.
Supplément:
Le Ministre de la Culture de la République tchèque venu a une réception donnée par la TIS a addressé une lettre d’appréciation aux bacheliers 1997 mentionnant : « ... Vous avez réussi ce que les politiques internationales n’ont pas encore réussi à accomplir... réunir des personnes de plus de 30 pays en paix et amitié. »
Suzanne Boehm et Ramin Missaghian font partie des lauréats du baccalauréat 1996. Pour Suzanne, les années passées ont été riches d’expériences. « C’est formidable de pouvoir vivre avec des jeunes du monde entier. Nous avons traversé ensemble aussi bien des difficultés que des moments inoubliables. Ces amis du monde entier, avec lesquels j’ai pu, au travers de réflexions, de voyages d’étude et de projets sociaux, appréhender et approfondir mon identité, je ne les perdrai jamais. Les adieux ont été terriblement difficiles. » Ramin souligne que la TIS ne se contente pas de développer le caractère mais qu’elle encourage aussi le développement des qualités artistiques. « Dans mon ancienne école en Allemagne, je n’aurais jamais pu autant me familiariser avec la danse, le théâtre ou le mime. Le simple fait de côtoyer des camarades de classe de cultures si différentes a donné un caractère très précieux aux années que j’ai passées dans cette école. »
Ramin et Suzanne seraient prêts à envoyer leurs propres enfants dans cette école « même s’il n’est pas si facile d’être séparés des enfants, » dit Suzanne. Ramin ajoute : « Mais leur transformation est si positive que ça vaut la peine de les attendre . »
Les deux fondateurs, Reza et Ramona Reyhani (respectivement ingénieur diplômé et artiste) ont émigré en 1990 dans l’ex-Tchécoslovaquie. Dans un premier temps, ils ont inscrit leur fille, Ruha, à l’École internationale de Prague, dans laquelle la mère de Ruha enseignait. Peu après, la Townshend International School a été créée pour répondre au besoin d’ouvrir un internat où les jeunes seraient à la fois protégés et stimulés et où ils pourraient défendre plus activement leurs propres valeurs. Ramona Reyhani considère sa participation à ce projet comme une contribution personnelle à la jeune et libre République tchèque : « La situation des écoles, tant à l’est qu’à l’ouest, nous a vite montré l’importance d’un environnement moral solide qui, en plus de l’enseignement des disciplines scolaires obligatoires, permette aussi aux jeunes de tremper leur caractère. Beaucoup ont critiqué l’idée de rassembler des jeunes issus de milieux et de cultures différents et de mettre sur pied ce type d’école qu’ils considéraient comme purement utopique . »
En septembre 1992, cependant, la TIS a commencé un long cheminement qui devait souvent mettre à l’épreuve la tolérance et la fermeté des parents, des élèves, des collaborateurs et des fondateurs de l’école. Un élément du projet s’est toutefois révélé être plus fort que tous les autres : les élèves voulaient absolument poursuivre l’expérience. Très vite, la vision commune a fait de grands progrès et, au printemps 1996, tous ont attendu avec impatience les résultats des premiers examens de fin d’études : 80% avaient réussi avec mention. Le jury tchèque indépendant a été très impressionné, et il l’a souvent répété, par les connaissances des candidats aussi bien que par leur politesse et leur courtoisie.
Les bacheliers 1997 ont même surpassé les résultats de la promotion précédente avec plus de 90% des élèves ayant passé leurs examens avec mention.
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