Revue n° 31-32, 1998
Aux Nations Unies, les jeunes expriment leurs préoccupations sur des problèmes d’adultes
NATIONS UNIES — Prenant courageusement la parole à travers ses larmes, une jeune gambienne de 17 ans, Kemmeh Damba-Danjo, a raconté devant une assemblée de délégués de gouvernements et de représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) une histoire aussi triste que banale, la mort de sa cousine de 14 ans des suites de complications d’accouchement. Enceinte d’un garçon qui avait rompu sa promesse de l’épouser, elle est morte quelques semaines après la naissance de son bébé suite à des complications . Le bébé est mort lui aussi peu de temps après.
Si le bébé avait vécu, dit Mlle Damba-Danjo qui travaille tout en allant à l’école, elle aurait adopté l’enfant. Elle élève déjà l’enfant de sa sœur qui morte elle aussi après avoir subi une excision, tradition controversée désignée par l’Organisation des Nations Unies sous le nom de mutilation génitale de la femme et pratiquée dans certains pays d’Afrique.
« Combien de temps encore les filles devront-elles trouver la mort après une grossesse ? » a demandé Mlle Damba-Danjo lors d’une table ronde organisée sur le thème « Ecoutons les jeunes filles ». « Je lance un appel à toutes les filles pour les mettre en garde. »
Cette jeune gambienne faisait partie des 15 jeunes filles venues du monde entier pour assister à la 42 ème session de la Commission des Nations Unies sur la condition de la femme. Elles étaient parrainées par la Commission des ONG sur le Groupe de travail de l’UNICEF sur les jeunes filles et leurs récits ont apporté un aspect humain aux rapports et des statistiques qui ont été déversés aux réunions et ateliers tenus du 2 au 13 mars 1998.
Conformément au calendrier déterminé par la Plate-forme d’action de Beijing, adoptée en 1995 à la Quatrième conférence mondiale sur la femme, la Commission s’est réunie cette année pour évaluer les progrès réalisés en ce qui concerne la réponse apportée à quatre thèmes interdépendants : les droits de la femme, les femmes et les conflits armés, la violence à l’encontre des femmes et des fillettes.
« Les droits et les besoins des jeunes filles sont essentiels à la réalisation des droits de la femme, à l’élimination de la violence à leur encontre et à la protection des femmes dans les conflits armés », dit Sree Gururaja, conseiller principal de l’UNICEF sur la question des différences entre les sexes et le développement. « Ces thèmes devraient être examinés en étroite relation les uns avec les autres. »
Dans un rapport intitulé « Traçant une voie pour les filles » publié par les groupes de travail des ONG sur les filles à New York et Genève (WGG), 248 représentants d’ONG de 87 pays citent les domaines dans lesquels les progrès en ce qui concerne la situation des filles dans leurs pays ont été les plus spectaculaires et ceux dans lesquels ils ont été plus lents. Ils évoquent le plus souvent la santé et la nutrition; l’exploitation économique; des attitudes culturelles négatives et des pratiques telles que l’excision, les mariages précoces et la grossesse des adolescentes ; enfin « la discrimination tenace et répandue à l’encontre des femmes » qui « constitue l’unique cause la plus durable et la plus enracinée de tous les problèmes que rencontrent les filles ».
Selon le rapport, le progrès le plus remarquable, dans le monde entier, a été l’accès des filles à l’enseignement primaire où les effectifs ont sensiblement augmenté depuis 1990. Au niveau secondaire cependant, le taux d’abandon reste élevé à cause des mariages précoces, des grossesses, du travail, ou de l’inadaptation des programmes scolaires. La tendance la plus alarmante relevée dans le rapport est l’absence de progrès en ce qui concerne la protection des filles contre la violence qui est parfois un fait culturel qui n’est pas considéré comme un crime.
Les abus sexuels persistent également en raison des tabous qui empêchent de les dénoncer. L’expert des ONG auprès de la Commission sur la fillette, Teresita Silva de Childhope, ONG basée aux Philippines, a rappelé que le problème se posait très souvent dans son pays et que les victimes hésitaient à se manifester. « Dans les familles, les filles sont exploitées sexuellement par les pères, les beaux-pères, les grands frères » , dit Mlle Silva « même la police, les enseignants et les pasteurs sont impliqués » .
Pour lutter contre les problèmes auxquels les fillettes et par conséquent les femmes sont confrontées, les ONG saisies de ces questions pensent que l’autonomisation et l’éducation des femmes sont les clés qui leur permettront de retrouver leur respect de soi afin de comprendre et d’affirmer leurs droits et d’agir dans le sens de l’amélioration de leur condition.
« L’éducation des filles est si importante », lit-on dans une déclaration présentée par la Communauté internationale bahá’íe à la Commission, « que si le manque de ressources oblige à faire un choix, nous conseillons aux parents de donner plutôt la priorité à l’éducation de leurs filles ».
Les jeunes filles présentes à l’ONU, qui représentaient huit pays différents (Arménie, Brésil, Chili, Gambie, Népal, Singapour, Royaume Uni et États-Unis) et étaient âgées de 13 à 18 ans, ont fait écho à ces préoccupations lors de la table ronde du 4 mars.
« Toutes les filles doivent pouvoir aller à l’école », dit Milena Dalmaschio Silva, 18 ans, originaire du Brésil et membre des groupes de travail des ONG sur les filles, dont la participation était financée par la Communauté internationale bahá’íe. « Elles sont les éducatrices en puissance de toute la famille. »
« Donner une éducation à une fille c’est garantir l’éducation de ses enfants plus tard », dit Adeline Koay, fillette de 14 ans venue de Singapour. Certaines familles, précise-t-elle, n’envoient pas leurs filles à l’école par peur d’abus ou de harcèlement sexuels et l’accès limité des filles à l’éducation blesse leur amour-propre.
Selon le rapport présenté par l’Organisation de l’environnement et du développement des femmes, 70 pour cent des 187 gouvernements ont élaboré des plans nationaux pour répondre aux besoins des femmes dans leurs pays. Les ONG ont largement contribué à ce succès. Celles qui s’occupent des questions relatives aux femmes ont eu une influence notable sur la législation concernant la violence conjugale, le trafic des femmes et des enfants, la santé génésique, la participation à la vie politique et les droits à la propriété.
— Veronica Shoffstall
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