Revue n° 31-32, 1998
Une nouvelle approche de la formation professionnelle en Inde
L’Institut du développement
« New Era » vise à donner aux élèves les compétences nécessaires pour qu’ils puissent gagner leur vie et à leur communiquer une nouvelle idée du service communautaire. « Il en résulte un individu transformé. » SATARA, Maharashtra, Inde — En Inde, où l’économie est en pleine expansion, les métiers de la construction sont très florissants et celui d’électricien, qui est très recherché, peut aussi être lucratif.
Pour Rahul Mahamumi, 16 ans, et son ami Shivaji Shinde, 20 ans, ces deux mois et demi de formation d’électricien au Centre bahá’í leur auront surtout donné une plus grande confiance en soi et une nouvelle volonté affirmée de servir la communauté.
Cette formation se distingue d’autres programmes similaires parce qu’elle contient un cours intitulé
« développement personnel », dans le cadre duquel les élèves apprennent à mieux vivre en société et à se connaître. Les rudiments d’éducation morale et spirituelle qui leur sont apportés dans ces cours visent à leur donner une nouvelle idée d’eux-mêmes et de la société.
« Tous les cours de formation d’électricien offrent, globalement, les mêmes connaissances techniques », dit M. Mahamumi, mais au Centre bahá’í, les élèves apprennent à faire profiter largement les autres de leurs compétences et à les aider si possible, même s’ils n’en tirent aucun bénéfice. « A la fin de notre formation, notre but est de servir la communauté et pas seulement de gagner de l’argent », dit-il.
L’attitude de ces deux jeunes étudiants, qui ne sont pas bahá’ís, reflète les nouvelles orientations de l’Institut du développement « New Era » (NEDI), centre de recherche et de formation situé à proximité de Panchgani, petite station dans les collines distante d’ une trentaine de kilomètres de l’Institut.
Ces dix dernières années, l’Institut a mis au point une approche à l’égard du développement rural combinant une formation professionnelle concrète axée sur les régions rurales et un programme spécial d’éducation aux principes spirituels et moraux. Le but est de former des individus capables et dynamiques qui reviendront dans leurs villages et qui, tout en gagnant leur vie, pourront lancer et encourager des initiatives locales pour le développement durable.
« Notre produit est, en résumé, un individu transformé », dit Sherif Rushdy, directeur du NEDI. « Notre but est de forger chez l’individu une nouvelle vision, un nouveau cœur, de lui donner envie de rendre service et une plus grande confiance en soi et de lui faire comprendre que le service rendu aux autres l’ aide à grandir lui aussi. C’est aussi de lui apprendre un métier qui lui permette de gagner sa vie ainsi que quelques techniques susceptibles de l’ aider au sein de la communauté. »
Les retombées de cette nouvelle approche se font sentir dans des endroits comme Satara, dans d’autres villages à proximité de l’Institut et, en fait, dans l’Inde toute entière. En étroite collaboration avec le réseau local que constituent les deux millions de membres de la communauté bahá’íe en Inde, l’Institut a mis sur pied des projets dans les États du Gujarat, du Manipur, Du Sikkim et du Madhya Pradesh ainsi que dans le Maharashtra.
A ce jour, plus de 600 individus ont suivi une formation au campus principal du NEDI à Panchgani et au moins plusieurs milliers d’autres ont participé à l’un de ses programmes de vulgarisation. Sous tous ses aspects, le NEDI avec ses programmes de vulgarisation et ses diplômés, participe à toute une variété d’activités axées sur le développement, depuis des cours d’alphabétisation et d’hygiène élémentaire jusqu’à des programmes de plantation d’arbres et de conservation de la nature, la mise sur pied de projets générateurs de revenus à petite échelle et d’entreprises rurales ou des initiatives en faveur de la promotion de la femme.
A cet égard, l’Institut est actuellement l’un des centres bahá’ís de développement les plus importants et les plus reconnus du monde. Il fait autorité dans la manière de montrer comment appliquer les principes de la foi bahá’íe au développement. L’aspect peut-être le plus intéressant du travail de l’Institut a été de concevoir un programme qui combine les aspects pratiques et les aspects spirituels. Les administrateurs du NEDI considèrent cette intégration comme un moyen pour inciter les individus à se développer eux-mêmes ainsi que leurs communautés.
La formation professionnelle vue autrement
Le NEDI a été créé officiellement il y a une dizaine d’années mais on peut faire remonter son existence aux programmes de vulgarisation de l’École « New Era » au début des années 1970. Au fil du temps, le NEDI est devenu essentiellement un centre de formation professionnelle rurale dont le rôle est d’offrir à des ruraux une formation professionnelle et une formation axée sur le développement.
Sur le plan de la qualité, le succès du centre est remarquable. La formation est actuellement axée sur 9 domaines : mécanique diesel, réparation des cycles à moteur, traitement des données, confection, réparation des réfrigérateurs et climatiseurs, agriculture et élevage et formation pédagogique primaire et pré-primaire. Selon un sondage de l’Institut, plus de 70% des diplômés travaillent dans le domaine dans lequel ils ont été formés et un pourcentage assez élevé dans un pays en développement comme l’Inde.
Le campus, qui s’étend sur 56 hectares, comprend neuf bâtiments principaux: deux pour les classes, quatre dortoirs (deux pour les femmes et deux pour les hommes), un atelier, des logements de fonction et un bâtiment administratif. Les deux bâtiments réservés aux classes et deux des dortoirs ont été achevés en 1997 grâce aux dons des gouvernements canadien et norvégien au titre de l’aide au développement. Au total, l’Institut compte un effectif de 85 personnes dont 30 sont directement affectées à la formation et à l’administration.
A l’heure actuelle, 175 étudiants sont inscrits au campus. La plupart ont à peine 20 ans et sont originaires de toutes les régions de l’Inde avec, en outre, des étrangers (Bangladesh, Tanzanie et Congo). La majorité d’entre eux est bahá’íe mais on compte au moins 35% d’hindous, musulmans ou autres.
Les frais sont peu élevés : environ 7 500 FF par an et par élève pour les cours, le logement et la nourriture mais on demande aux élèves une redevance de 900 à 2 800 FF avec une réduction de 25% pour les femmes. Le financement de cette redevance et du fonctionnement général de l’Institut est assuré en grande partie par la communauté bahá’íe indienne, la Communauté internationale bahá’íe et des dons à titre d’assistance au développement à long terme fournis par les gouvernements canadien et norvégien.
Comme nous l’avons noté, l’Institut parraine et/ou coordonne des cours régionaux de formation qui font partie de son programme de vulgarisation. En 1997, selon M. Rushdy, environ 1 300 individus ont participé à ces cours étalés sur deux semaines à trois mois.
En plus de la formation professionnelle, l’Institut a également mis en œuvre directement un certain nombre de projets de développement à petite échelle dans les villages voisins de Panchgani, dans des domaines comme l’élevage de volaille ou de cochons, l’alphabétisation ou la promotion des systèmes d’énergie au biogas.
Une technique de formation
Selon M. Rushdy, « l’Institut a vraiment réussi à mettre au point une technique de formation qui transforme l’ individu en un être équilibré et lui permette de mettre ses compétences au service du développement communautaire » .
« Chaque cours comporte quatre volets : service, spiritualité, formation professionnelle, et culture. Ainsi notre objectif est que chaque étudiant puisse quitter l’Institut avec une compétence orientée vers le service - comment promouvoir l’hygiène, l’alphabétisation, l’éducation des enfants, quelques aptitudes spirituelles - pour savoir pourquoi ils font telles ou telles choses ; quelques activités professionnelles pour gagner un peu d’argent et se suffire à eux-mêmes et des activités culturelles axées sur la tolérance et la diversité ainsi que sur l’art. Ces activités leur permettent de prendre confiance en eux-mêmes, d’être capables de devenir des leaders et de transmettre le message du développement à travers les arts ». ajoute M. Rushdy.
Cette technique de formation s’appuie sur ce qu’on appelle « le tronc commun » . Quel que soit le but des élèves du NEDI, l’étude de la mécanique diesel ou l’enseignement pré-primaire, tous suivent ce tronc commun qui est enseigné chaque jour pendant les deux premières heures et favorise une vie communautaire novatrice à l’intérieur du campus impliquant la notion de service à l’extérieur.
Le principe de base de ce tronc commun est d’apprendre le respect des principes spirituels universels et leur application aux problèmes contemporains, dit M. Radha Rost, coordinateur de la formation à l’Institut.
« Nous enseignons les principes de base de la religion, des principes communs à toutes les religions du monde – nous n’enseignons pas la foi bahá’íe en soi », dit M. Rost. « Toutefois, la plupart des principaux éléments du programme sont empruntés aux enseignements bahá’ís. »
Les éléments du programme comprennent non seulement des principes sociaux progressistes comme l’égalité des hommes et des femmes, l’unité de l’humanité et la nécessité d’éliminer les écarts extrêmes entre les riches et les pauvres, mais aussi des discussions approfondies sur des sujets comme l’âme, la réalité spirituelle de l’existence et le but fondamental de la vie.
L’approfondissement des thèmes religieux et spirituels sous-tend un principe fondamental de l’Institut : le fait que le développement ne peut être vraiment durable sans le secours de la foi.
« En dépensant beaucoup d’argent, les agences de développement peuvent faire aboutir un projet », dit M. Rushdy. « Nous pensons cependant que l’aboutissement des choses vient de l’intérieur et que la clé de cet aboutissement que toutes les agences de développement recherchent se trouve dans ce qui pousse les individus à agir pour se développer et développer leur communauté. »
« Nous pensons qu’ à long terme cette motivation n’émane pas du travailleur social ou de l’agent de développement professionnel tout seul. Elle vient de la propre relation de l’individu avec Dieu.
La foi est la clé de la stabilité et le sens du développement est de traduire sa foi en acte. Il en a toujours été ainsi. Toutes les civilisations du monde sont nées d’une nouvelle vision des peuples ayant la foi pour la mettre en pratique », dit M. Rushdy. « Et c’est ce que nous espérons transmettre à nos élèves. Nous avons le sentiment d’être autre chose qu’un simple établissement de développement de plus, mais d’être en train de contribuer à faire naître une nouvelle civilisation. »
S’il est difficile de recueillir des statistiques concrètes sur l’énergie spirituelle qui anime les élèves du NEDI pour développer leurs communautés, il ne fait aucun doute que l’approche du NEDI intéresse de nombreuses agences de développement.
L’Institut reçoit des fonds du gouvernement indien depuis 1989, pour financer différents projets et, comme nous l’avons signalé, il a noué des relations avec l’Agence canadienne pour le développement international et l’agence norvégienne pour le développement outre-mer. En 1997, il a commencé à collaborer avec le Norway’s Telemark College de Notoden, pour quatre ans. Le but était d’échanger des idées sur les programmes de formation pédagogique axés notamment sur la coopération, l’éducation pour la paix et le théâtre.
Beaucoup de témoignages confirment le succès de l’Institut. Selon de jeunes diplômés du NEDI, dans six localités du Gujarat et du Maharashtra, beaucoup d’entre eux ont acquéri la confiance en soi et veulent rendre service aux autres à titre bénévole.
Les élèves d’un cours d’électricité à Satara, comme nous l’avons déjà dit, ont eu ce type de comportement lors d’une récente interview en novembre. Ce cours était parrainé par le Conseil bahá’í de l’État du Maharashtra, en collaboration avec le NEDI. Le Conseil a fourni la classe et le dortoir, en utilisant le Centre bahá’í de Satara, et le NEDI a fourni les instructeurs et financé la participation de 29 élèves, dont aucun n’était bahá’í. Il convient de noter que cette collaboration avec les organisations et agences régionales bahá’íes fait partie du mandat du NEDI qui est géré par la communauté nationale bahá’íe en Inde.
Dans le village voisin de Biblewadi, le Conseil bahá’í de Maharashtra, collaborant également avec le NEDI, a financé une série de cours visant à améliorer les taux d’alphabétisation, l’hygiène et la santé des femmes et des enfants et à leur apprendre à se valoriser.
Ces cours, donnés gratuitement par le NEDI et des volontaires du NEDI, ont été reconnus lors d’une cérémonie organisée par les dirigeants de villages le 20 novembre 1997. Après la fête, bien après minuit, les chefs des communautés ont fait l’éloge de la NEDI dans une série de discours. Ils ont notamment apprécié le fait que l’Institut cherche à encourager le développement de la personne humaine par l’éducation morale.
« C’est un programme complet et l’ensemble de la communauté a retrouvé confiance en elle », dit le chef du village, Tulsiram Moré. « Nous avons pris de mauvaises habitudes. Si un membre du village progresse, nous essayons parfois de le rabaisser. Mais l’éducation spirituelle va nous aider à progresser nous-mêmes. »
Dans le village de Shendurjane, à une vingtaine de kilomètres au nord, des cours du soir sur le développement spirituel ont pu être organisés en novembre grâce à la collaboration entre le NEDI et le Conseil bahá’í du Maharashtra. Ces cours, de deux semaines seulement, s’appuyaient sur une série de manuels d’enseignement spirituel mis au point par des éducateurs bahá’ís en Amérique latine dans le cadre du « Cours de l’Institut Ruhi ».
Les thèmes étudiés étaient notamment les suivants : la nature de l’âme, les perspectives d’une vie après la mort et la relation entre l’évolution de l’âme et le service des hommes sur la terre.
Le lien entre ces thèmes et le développement de leur propre communauté n’a pas échappé aux douzaines de jeunes participants. Interrogés après le cours, ils ont dit que les débats leur avaient permis de comprendre l’existence du lien entre la morale et le progrès social.
« Ceux qui suivent ce cours ne pourront jamais heurter ni mal agir parce qu’ils n’oublieront jamais que Dieu est là pour nous demander des comptes » dit Bapu Jadhva, jeune agriculteur hindou de 20 ans.
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