Revue n° 33, 1998
Le dialogue mondial sur le microcrédit organisé à Stockholm centre son attention sur l’impact social du mouvement
Environ 80 spécialistes de la microfinance appellent l’attention sur les nouveaux enjeux du microcrédit à l’heure où les grandes institutions financières et d’autres acteurs importants du monde financier s’y intéressent de plus en plus.
STOCKHOLM — Pour s’assurer que l’engouement mondial pour le microcrédit prenne
en compte les dimensions humaines et culturelles du développement, quelque 80 spécialistes de la microfinance se sont réunis en avril dernier pour examiner comment concilier la viabilité économique et l’impact social des programmes de microcrédit à l’heure où les grandes institutions financières s’engagent de plus en plus dans ce domaine.
Convoqué par le European Bahá’í Business Forum (EBBF) et la Fondation Progressio des Pays-Bas dans le cadre d’une réunion organisée parallèlement à la conférence intergouvernementale de l’UNESCO sur les politiques culturelles au service du développement, le Dialogue mondial sur la microfinance et le développement humain s’est tenu les 2 et 3 avril 1998. Il a rassemblé des praticiens, des spécialistes, des donateurs, des hommes d’affaires et des représentants d’institutions financières et d’organisations non gouvernementales (ONG) venus de 25 pays.
Le Dialogue était axé sur l’encouragement des échanges directs entre les différents acteurs du monde naissant du microcrédit et, bien qu’il n’y ait eu aucun vote formel ni déclaration finale, il est ressorti clairement de la discussion générale que le mouvement est en pleine expansion et recouvre des enjeux importants.
« Nous sommes à un stade critique du mouvement de la microfinance et les esprits sont divisés » dit Barbara Rodey, coordinatrice du Dialogue. « D’un côté, il faut trouver des sources de financement et de l’autre servir au mieux les intérêts des pauvres. La façon dont nous pourrons concilier ces deux impératifs déterminera le résultat réel. Le but du microfinancement est-il de stimuler l’économie ou, au-delà des questions d’argent, de veiller au bien-être de l’homme ? »
« Nous sommes à un stade critique du mouvement de la microfinance et les esprits sont divisés », dit Barbara Rodey, coordinatrice du Dialogue. « D’un côté, il faut trouver des sources de financement et de l’autre servir au mieux les intérêts des pauvres. La façon dont nous pourrons concilier ces deux impératifs déterminera le résultat réel. Le but du microfinancement est-il de stimuler l’économie ou, au-delà des questions d’argent, de veiller au bien-être de l’homme ? »
« Le plan Marshall reposait sur l’idée qu’avec des ressources financières suffisantes, on peut supprimer la pauvreté », explique Mlle Rodey, directrice exécutive de « Earthrise Development » , réseau de consultation en matière de microcrédits basé aux États-Unis et membre de l’EBBF, « pourtant, l’écart des revenus a plus que doublé au cours des trente dernières années. L’économie mondiale a laissé pour compte un cinquième de la population mondiale. Nous continuons à prôner le modèle induit par la croissance. Le modèle durable est une idée nouvelle fondée sur les principes d’équité et de justice. Les services financiers ne peuvent à eux seuls constituer le fondement du développement. »
Le secrétaire général de l’UNESCO, M. Federico Mayor, s’est adressé au Dialogue lors d’une session plénière tenue conjointement avec le premier Forum de l’UNESCO sur l’entreprise, le développement humain et la culture à l’ère de la mondialisation, ainsi qu’était intitulé le volet de la conférence intergouvernementale de l’UNESCO. Parmi les autres participants renommés figuraient Muhammad Yunus, directeur de la Grameen Bank au Bangladesh, expert mondialement connu dans le domaine du microcrédit.
Les banques de plus en plus intéressées
Grâce en partie au sommet du microcrédit organisé l’année dernière, le recours au microcrédit pour réduire la pauvreté fait l’objet d’un intérêt croissant à tous les niveaux. Organisé à Washington, DC, du 2 au 4 février 1997, le sommet avait rassemblé quelque 2 200 personnes venues de 112 pays pour approuver un plan mondial d’action en faveur du développement du microcrédit et des petites entreprises au niveau communautaire dans le monde entier. L’objectif déclaré du sommet était d’élargir l’accès au microcrédit à une centaine de millions de familles parmi les plus pauvres du monde d’ici l’an 2005. A l’heure actuelle, on estime que près de 8 millions de familles bénéficient de prêts portant sur de petites sommes allant généralement de 300 à 1 800FF.
Le sommet a attiré l’attention et la participation non seulement de nombreuses ONG intéressées depuis longtemps par le microcrédit mais aussi celle de grandes sociétés et banques internationales ainsi que d’institutions intergouvernementales comme l’ONU et la Banque mondiale. Certains de ces nouveaux protagonistes se sont engagés à consacrer d’importantes ressources nouvelles au développement de microcrédits.
Bien que les programmes en faveur du microcrédit varient d’un pays à l’autre, l’une de leurs innovations essentielles est l’organisation des clients en « groupes de solidarité » dont les membres s’engagent à régler les dettes des autres en apportant une forme de « capital social » garantissant le remboursement des prêts. Les ONG ont joué un rôle important pour aider les personnes à former ces groupes et à gérer ces prêts que beaucoup de banques jugeaient trop petits pour être rentables. Pourtant, certains de ces programmes ont connu un grand succès avec des taux de remboursement de plus de 90%. Les participants au Dialogue de cette année ont souligné à plusieurs reprises que les programmes de microcrédits, connus aussi comme des programmes de microfinancement, sont parmi les meilleurs moyens utilisés pour réduire la pauvreté. Toutefois, il a été dit et répété que les nouveaux partenaires du mouvement ne devaient pas se focaliser sur le résultat final ni simplement essayer de « retailler » les concepts du microcrédit à la dimension des petits entrepreneurs sans doute plus rentables.
« Le microfinancement est une activité nouvelle et un moyen d’apprentissage pour tous », dit M. Yunus de la Grameen Bank. « C’est une approche différente des précédentes. Crédit signifie confiance. La banque traditionnelle a dévoyé le mot et fondé son profit sur la méfiance en assortissant les contrats de clauses particulières contraignantes. Des millions de prêts (4 millions de dollars par jour) sont consentis sans avocats dans un système fondamentalement différent qui repose sur les individus. Nous devons être sélectifs en ce qui concerne nos méthodes bancaires car le monde de la confiance est très différent de celui de la méfiance. »
M. Yunus a, par exemple, critiqué les nouvelles réglementations en matière de microfinancement proposées récemment par quelques grandes institutions. « Issus du monde de la méfiance, des consultants établissent un “ cadre de réglementation ” et perçoivent des droits élevés. Mais c’est l’auto-réglementation qui importe avant tout. Elle devrait venir de l’industrie elle-même. »
« Un diamant non poli »
« Le microcrédit peut croître par lui-même en développant des compétences et une méthodologie propres. C’est une nouvelle industrie qui peut paraître aujourd’hui comme un diamant non poli. Mais il ne faut pas le jeter car plus tard il sera étincelant » affirme M. Yunus.
En tant que présidente de la Fundusz Mikro et l’une des principales praticiennes du microcrédit en Europe centrale et orientale, Mlle Copisarow pense que le microcrédit peut ramener la banque à ses origines.
« Le microcrédit apprend aux banquiers du monde entier ce que la banque signifie réellement. “ Credo ” signifie “ Je crois, j’ai confiance ”, concept que la banque a oublié depuis longtemps. Donner de l’argent comme le faisaient les Médicis est une pratique du passé. On pourra peut-être revenir à ces racines dans 20 ans. Chaque chose peut être considérée sous deux angles : faire le maximum de profit ou avoir le maximum de bien-être. Il était normal au 15ème siècle de considérer la banque comme un moyen de se procurer le maximum de bien-être. Le monde bancaire pourrait aujourd’hui revenir à cette approche par le biais de la microfinance. »
Priorité aux enfants et aux familles
M. Dunford, de Freedom from Hunger, ONG attachée à la lutte contre la pauvreté et basée aux États-Unis, a également souligné l’importance des valeurs et des principes moraux, comme la justice sociale, l’émancipation des femmes et la nécessité d’aider les plus pauvres des pauvres en particulier les enfants.
« Les critères...de la réussite financière devraient s’équilibrer entre l’efficacité, d’une part et la justice sociale, d’autre part », dit M. Dunford. « Il est temps de nous demander si la microfinance suit cette voie. Si elle est guidée par des principes élevés, nous pouvons aller de l’avant. Il faudrait mettre les enfants au centre de cette activité et faire en sorte qu’ils puissent plus tard fonder une famille, accéder à la culture et avoir un idéal. Il faut viser le meilleur impact possible pour les enfants.
« Le fait est qu’on assiste aujourd’hui à un développement massif des programmes traditionnels de microcrédits », ajoute M. Dunford. « Il n’existe pas à proprement parler d’instance dans le cadre de laquelle on pourrait examiner les innovations à apporter en matière de microfinance alors que de nouveaux modèles s’imposent. Il ne faut pas décourager les créateurs potentiels en les soumettant à des contraintes bancaires. Peut-être devrions-nous revoir entièrement notre système bancaire. La tâche des ONG est de reprendre la haute main sur le microfinancement. Le génie du microcrédit est de penser que les pauvres doivent faire partie du marché mondial. Nous avons certes besoin d’ingénieurs financiers mais ce mouvement est trop important pour être confié au monde des affaires. L’approche doit être motivée autant par les valeurs que par le marché. »
« Nous espérons qu’en regardant l’avenir avec sagesse et perspicacité nous pourrons éviter certaines erreurs du passé », dit George Starcher, secrétaire général du EBBF. « Notre but était d’explorer les questions les plus importantes au sujet de la microfinance et de nous poser la question suivante : quel sera notre bilan dans vingt ans ? »
– Janith Loewen
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