Revue n° 36, 1999
A La Haye, la société civile mobilisée en faveur de la paix demande une « nouvelle diplomatie »
LA HAYE — De part leur origine et leur organisation, les conférences de la paix de La Haye de 1899 et de 1999 diffèrent grandement.
Il y a cent ans, la première conférence de la paix de La Haye avait été organisée par les gouvernements. Convoquée par la Russie et les Pays-Bas, elle avait rassemblé des représentants de 26 nations et débouché sur la création de la Cour permanente d’arbitrage, devancière de la Cour internationale de justice.
L’Appel de La Haye de 1999, qui a rassemblé au moins 8 000 personnes venues d’une centaine de pays et représentant plus de 700 organisations, n’a pas été organisé par des gouvernements mais par des organisations de la société civile. Bien que les gouvernements aient longuement envisagé de tenir une grande conférence de la paix cette année à La Haye, ils ne se sont pas mis d’accord sur la dimension de cette conférence et ont finalement opté pour une petite conférence de deux jours pour commémorer celle de 1899.
« Ce changement est très révélateur » dit le Premier ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, dans une allocution de clôture de l’Appel, qui s’est tenu du 11 au 15 mai 1999. « Dès lors que l’initiative de la paix est prise par la société civile, la paix ne peut être bien loin. C’est ce qu’il faudrait faire dans le monde entier. »
La décision prise par des groupes de la société civile d’organiser leur propre manifestation correspond au thème de la conférence, à savoir que les gouvernements n’ont pas su étudier les causes générales de la guerre et que la structure d’une paix durable ne peut être mise en place que si la société civile se mobilise pour pousser les gouvernements à agir.
« Le monde émerge du siècle le plus sanguinaire et le plus dominé par la guerre de l’histoire », indique l’Agenda pour la paix et la justice au 21ème siècle, principal document de l’Appel. « A l’aube du nouveau siècle, il est temps de créer les conditions permettant la réalisation de l’objectif principal des Nations Unies qui est de “préserver les générations futures du fléau de la guerre”... Cette mission historique et cette reponsabilité ne peuvent pas être confiés aux seuls gouvernements. »
L’Agenda a été établi à travers une série de réunions préparatoires et l’Internet, par les quelque 70 groupes de la société civile présents aux comités d’organisation et de coordination de la conférence. Au-delà d’un simple appel lancé aux gouvernements pour qu’ils s’impliquent davantage, la conférence a mis l’accent sur les actions directes et les initiatives de la société civile elle-même. En particulier, les organisateurs ont préconisé un nouveau modèle de diplomatie où des avocats, des gouvernements progressistes et des organisations internationales travailleraient ensemble à la réalisation d’objectifs communs.
« Ensemble, nous représentons ce que l’on appelle la nouvelle diplomatie ou diplomatie démocratique, qui a déjà prouvé son efficacité en faisant passer le traité sur les mines antipersonnel, le statut de la Cour pénale internationale et l’opinion de la Cour internationale de justice sur l’illicéité des armes nucléaires » dit Cora Weiss, militante de longue date pour la paix et présidente de l’Appel, dans une allocution d’ouverture. « Nous sommes ici rassemblés pour dire que nous ne devons pas introduire la violence et l’injustice au siècle
prochain. »
Dans l’ensemble, la conférence a démontré l’existence d’une organisation et d’une coopération croissantes au sein de la société civile. A maints égards, l’Appel de La Haye peut être considéré comme un pas de plus dans un processus d’entente et de collaboration intersectorielles entre les différents groupes de la société civile, processus qui a commencé avec les Forums des ONG tenus parallèlement aux grandes conférences des Nations Unies sur l’éducation, l’environnement et le développement, les droits de l’homme, la population, les femmes, la pauvreté, les villes et l’alimentation.
« A La Haye, de nombreuses ONG ont constitué des alliances et des coalitions » dit Jonathan Dean, conseiller pour les questions de sécurité internationale à l’Union of Concerned Scientists, association basée à Washington. « Par exemple, nous nous sommes rapprochés davantage de deux groupes intéressés par l’alerte rapide en cas de conflit. Nous nous sommes également joints au groupe sur les armes de petit calibre et avons renforcé nos liens avec d’autres groupes qui militent en faveur d’un désarmement nucléaire complet. Cette réunion a véritablement pris la place d’une conférence de l’Organisation des Nations Uniessur la paix et le désarmement qu’il n’était ni possible ni commode de tenir. »
De longs préparatifs
La manifestation a attiré des participants très divers, depuis des représentants d’organisations internationales non gouvernementales bien connues jusqu’à des militants de base pour la paix. Un certain nombre de dirigeants ont pris la parole, dont le secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, S.M. la reine Noor de Jordanie, le Premier ministre des Pays-Bas et Mme Hasins du Bangladesh, ainsi que le directeur exécutif de l’UNICEF, Carol Bellamy et un certain nombre de prix Nobel de la paix. Selon les organisateurs, près de 80 gouvernements ont envoyé des représentants.
« Il ne fait aucun doute que beaucoup d’entre nous ont ressenti l’Appel de La Haye comme une étape historique dans la marche vers un monde pacifique » dit Son Excellence Anwarul Karim Chowdhury, représentant permanent du Bangladesh auprès des Nations Unies qui participait à la conférence. « Personnellement, j’ai senti que cette manifestation était organisée par la société civile. Non seulement elle était bien organisée mais elle était aussi chaleureuse. On se sentait bien à tout moment. Habituellement, les réunions organisées au niveau gouvernemental sont très rigides mais on se sentait heureux d’être là. De plus, c’était une réunion très intéressante qui a produit un document concret. »
La réunion a été préparée par quatre groupes : le Réseau mondial pour l’abolition de l’arme nucléaire, le Bureau international de la paix, l’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire, et les Fédéralistes mondiaux. Mais à la fin de la conférence, près de 70 ONG avaient participé aux comités d’organisation et de coordination et plus de 700 avaient apposé leurs signatures en qualité d’ « organisations reconnues » ou d’ « adhérents ».
Selon les organisateurs, le processus qui a permis l’organisation de la conférence est devenu aussi important que la manifestation elle-même dans la mesure où l’objectif était de préparer un document présentant les idées de la société civile sur la façon de mettre fin à la guerre. Selon Mme Weiss, l’Agenda a été mis au point au prix de deux années de consultations approfondies auprès de ces quelque 70 groupes. L’objectif était de stimuler la coopération, la formation de groupes et la mise en œuvre de différentes initiatives internationales, le but ultime étant de promouvoir une vaste campagne internationale visant à accélérer la réalisation d’une paix durable dans le monde.
Les organisateurs conviennent que le résultat n’a pas été pleinement à la hauteur des espoirs de tous ceux qui ont participé à la conférence ou à ses préparatifs. Toutefois, l’Agenda résume assez bien la réflexion des éléments progressistes de la société civile qui ont participé aux Forums des ONG organisés récemment, parallèlement aux conférences de l’ONU. A cet égard, on peut dire que c’est la première fois que la société civile a affirmé sa philosophie à propos des problèmes mondiaux concernant la paix et la justice.
Les organisateurs ont l’intention de faire une large publicité à l’Agenda. Mme Hasina, Premier ministre du Bangladesh, a promis de l’envoyer à tous les chefs d’États et de gouvernements et la mission du Bangladesh auprès de l’ONU l’a présenté comme un document de l’ONU.
L’Agenda de La Haye pour la paix et la justice pour le 21ème siècle lance notamment un appel en faveur d’une Organisation des Nations Uniesplus forte et plus dynamique, de mécanismes plus efficaces afin de mettre en œuvre et de faire respecter les droits de l’homme, de déployer plus d’efforts pour promouvoir l’éducation pour la paix et, enfin, de prendre des initiatives plus importantes pour renforcer la démocratie internationale et la gestion des affaires au niveau mondial.
Au plan des initiatives particulières, l’Agenda vise un certain nombre de traités et d’objectifs tels qu’une plus large ratification du Traité de 1997 sur l’interdiction des mines antipersonnel et de la Convention sur les armes biologiques, l’acceptation à bref délai et la mise en place du Tribunal pénal international et le lancement des nouvelles campagnes visant à limiter la prolifération des armes de petit calibre et à supprimer l’enrôlement des enfants dans l’armée.
Une nouvelle diplomatie
Les organisateurs espèrent entreprendre ces activités non seulement en mobilisant les pouvoirs publics, comme c’est souvent le cas, mais surtout en recourant à ce qu’on appelle la « nouvelle diplomatie », c’est-à-dire à un partenariat renforcé entre les ONG et les gouvernements dans les pays de petite ou moyenne taille afin de circonvenir l’opposition à certains traités ou à certaines positions prises par d’autres gouvernements, à savoir les « grandes puissances ».
L’exemple le plus souvent cité de cette nouvelle diplomatie en action est le Traité sur l’interdiction des mines antipersonnel signé en 1997 malgré les objections de la Chine, de la Russie et des États-Unis. Le traité, qui au 31 mars 1999 avait été signé par environ 135 pays vise à interdire l’utilisation, le stockage, la fabrication et le transfert des mines antipersonnel. Il est largement reconnu que la prompte signature du texte final est due en grande partie à la collaboration entre plusieurs gouvernements de « puissances moyennes » et un groupe d’organisations internationales non gouvernementales.
« La nouvelle diplomatie est un modèle fondé sur le partenariat entre les gouvernements et les organisations internationales » dit William Pace, directeur exécutif du Mouvement fédéraliste mondial et secrétaire général de l’Appel pour la paix de La Haye. « Dans la campagne internationale contre les mines antipersonnel, la nouvelle diplomatie était clairement exclue du processus officiel. Aussi les ONG, en collaboration avec des gouvernements progressistes, ont-elles placé cette campagne en dehors du processus de l’ONU, organisé des réunions avec les gouvernements et élaboré un traité qu’elles ont fait ratifier par plusieurs pays. »
Cette nouvelle approche discrète à l’égard de la politique peut contribuer pour beaucoup à ce que soient évitées au 21ème siècle les catastrophes auxquelles nous avons assisté tout au long du 20ème siècle en termes de paix et de guerre » dit M. Pace.
Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, l’a également reconnu dans l’allocution qu’il a prononcée le 15 mai à la séance plénière de la conférence.
« Les différends peuvent être résolus de façon pacifique » dit M. Annan. « On peut arrêter les guerres. Mieux encore, on peut les éviter. Cela exige des hommes politiques qu’ils fassent preuve de sagesse et de diplomatie tactique. Mais, ce qui est peut-être le plus important, cela nécessite un profond changement dans la société civile : le développement d’une culture dans laquelle les hommes d’État comme les diplomates savent ce qu’on attend d’eux.
« Ils doivent savoir que, pour leurs concitoyens, le plus grand crime n’est pas de lâcher un intérêt national réel ou imaginaire. Le plus grand crime, c’est de laisser passer les chances de paix et alors de condamner son peuple à l’indicible misère de la guerre. C’est vous - et des hommes et des femmes tels que vous à travers le monde - qui lentement contribuez à ce changement profond et indispensable. »
Une rencontre planétaire
Outre les discours en session plénière et les réunions-débats de la « session de synthèse », la Conférence de La Haye a tenu environ 400 ateliers et séminaires de moindre ampleur et s’est réservé un large espace où plus de 180 organisations disposaient de stands pour exposer des livres et des objets. Des réunions et des manifestations informelles spontanées ont eu lieu pendant toute la durée de l’Appel dans les couloirs et les foyers du vaste Centre des congrès des Pays-Bas où se tenait la conférence.
La conférence a essayé de répartir les débats en quatre thèmes principaux : 1) renforcement des législations en matière de droits humanitaires et de droits de l’homme ; 2) prévention, résolution pacifique et conversion des conflits violents ; 3) mise au point d’efforts de désarmement et coordination entre ces efforts, y compris sur la suppression du nucléaire ; et 4) identification des causes de la guerre et édification d’une culture de la paix.
Dans ce cadre, les sujets de discussion proprement dits ont porté sur tous les aspects de la paix et de la sécurité aux niveaux mondial et régional ainsi que leur relation avec d’autres sujets comme les droits de l’homme, l’environnement et la promotion de la femme. Par exemple, le programme d’une après-midi, avait pour thèmes : « Le rôle des jeunes dans l’édification d’une culture de la paix » ; « Jérusalem : Quels faits, quelles visions, quelle paix? » ; « Sortir de l’impasse du désarmement nucléaire » ; « Reportages sur des conflits violents : formation des jeunes journalistes » ; « Création d’une assemblée parlementaire planétaire » ; « Écologie et paix » et « Si les femmes gouvernaient le monde ».
Au-delà des points énumérés dans l’ordre du jour écrit, d’autres thèmes ont souvent été abordés par les intervenants ou dans les discussions, par exemple la nécessité de renforcer l’organisation des Nations Unies, l’importance de l’éducation pour la paix, l’inclusion des femmes dans la prise de décision, et la nécessité d’appliquer strictement les principes du droit dans les relations internationales.
Les groupes religieux ont joué un rôle important dans la conférence. « Un consensus s’est aussi dégagé sur la nécessité d’intégrer la religion et la spiritualité dans le processus de paix et de reconnaître l’importance de la religion dans un monde sans guerre », dit Kathleen Uhler, OSF, codirectrice de Franciscans International qui a coordonné un groupe de réflexion sur la religion et la spiritualité. « Je pense que la religion a été la cause de la guerre mais elle peut aussi être utilisée pour créer une culture de la paix. »
Plus de 50 bahá’ís originaires de 19 pays ont participé à la conférence, dont les représentants du Bureau parisien de la Communauté internationale bahá’íe qui ont présenté le projet « Promouvoir des messages positifs à travers les médias ». Ce projet a été l’un des premiers sélectionnés par le Processus de Royaumont, complément diplomatique des accords de paix de Dayton. Ce processus a comme objectif de promouvoir la stabilité et les rapports de bon voisinagr dans le Sud-est de l’Europe.
« Promouvoir des messages positifs » utilise les médias et des techniques théâtrales pour faciliter la cicatrisation des blessures sociales et la communication interethnique. Jusqu’à présent des séminaires de formation ont eu lieu dans six pays. Deux nouveaux séminaires sont prévus à la fin du mois de septembre en Macédoine et en Bosnie [Voir One Country n° 35-36].
La communauté bahá’íe des Pays-Bas et le Conseil européen des jeunes bahá’ís ont coordonné la présence bahá’íe à la conférence de la Haye. Les deux organisations tenaient des stands dans l’espace réservé au Forum. La communauté des Pays-Bas a présenté son groupe de danse « Awake », qui a donné une représentation sur la tolérance. Quant au Conseil européen des jeunes, il a été étroitement impliqué dans l’élaboration de la déclaration des jeunes lue lors de la séance plénière de clôture.
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