Revue n° 38-39, 1999
Le basket aide les jeunes à ne plus traîner dans les rues et à se consacrer à leurs études
DEKALB COUNTY, Géorgie, Etats-Unis — Après l’entraînement, Thomas Robinson réunit ses 12 jeunes joueurs de basket pour les encourager. Contrairement aux discours habituels des entraîneurs, il insiste non seulement sur le talent de ses joueurs dans l’équipe, mais également sur leur motivation à faire des études.
Leurs échanges témoignent du caractère inhabituel du programme dirigé par M. Robinson et sa femme Cheryl, au Centre bahá’í pour l’unité situé à la périphérie d’Atlanta, au sud du comté de DeKalb. Le programme « Star », exige de ses athlètes qu’ils aient au moins des résultats moyens à l’école, sinon on leur interdit de jouer. Or, bon nombre d’élèves américains d’origine africaine, adorent jouer au basket.
« La plupart des programmes de sport pour les jeunes se cantonnent au basket », dit M. Robinson, juriste afro-américain de 34 ans qui explique que le programme Star exige non seulement de bonnes notes à l’école mais propose également des cours individuels particuliers postscolaires. « En tant qu’institut d’athlétisme, nous fonctionnons différemment et espérons pouvoir être un modèle pour d’autres programmes destinés aux jeunes. »
La plupart des programmes proposés au Centre bahá’í pour l’unité poursuivent le même objectif. Ils comportent tous les vendredis soirs un match de basket suivi d’une discussion pour les plus âgés, un cours d’informatique pour les adultes et une formation à l’expression orale pour les jeunes et les adultes. Tous ces programmes visent à responsabiliser et éduquer les Afro-américains. Le Centre propose également, à l’attention des réfugiés et des immigrés, un programme local de mobilisation reconnu au plan national.
Créé il y a quatre ans pour essayer de faire face à la montée de la violence, des problèmes sanitaires et de la toxicomanie chez les jeunes de la région, le Centre vise à travers ces programmes à prendre en main les problèmes des jeunes et de leurs familles.
« Nous avons recensé les besoins de cette communauté, notamment dans les domaines de formation à la résolution des conflits, la formation parentale et l’acquisition de connaissances et de vertus », dit Fred Ming, directeur de l’Institut pour l’unité familiale, organisation bahá’íe sans but lucratif qui parraine les différents programmes d’information proposés par le Centre. « Cette communauté possède un grand potentiel qui n’est pas utilisé. Nous voulons que l’Institut et ses programmes soient un pôle d’attraction qui renforce ce potentiel au bénéfice de tous. »
La diversité à DeKalb
Le comté de DeKalb se caractérise par la plus grande mixité de l’Etat de Géorgie. Un afflux de réfugiés d’Europe de l’Est et d’Asie ainsi que de nouveaux migrants en provenance de régions hispaniques ont augmenté de plus de 10 % la population non anglophone du comté, qui compte environ 600 000 habitants. Ils sont répartis à peu près à égalité entre blancs et noirs.
Cependant, ces populations très diverses vivent séparément dans des ghettos. Par exemple, plus de 70 % des habitants du Sud sont noirs alors qu’ils représentent moins de 20 % de la population dans le Nord. Certains quartiers sont entièrement blancs avec moins de 7 % de noirs.
Le quartier dans lequel se situe le Centre bahá’í pour l’unité est habité essentiellement par des noirs. Le périmètre n’est pas pauvre, mais la forte ségrégation raciale donne à beaucoup de jeunes un sentiment d’amertume et d’isolement.
« Dans ce comté, les gens n’ont pas de grands besoins économiques », dit Sharon Akiele, présidente de l’Assemblée spirituelle locale des bahá’ís du sud du comté. « Cependant les valeurs sociales ne peuvent qu’être en déclin car tant de parents sortent à peine de l’adolescence, l’usage de la drogue est encore important et les jeunes femmes originaires d’Afrique sont les plus touchées par le Sida. »
Les données statistiques du comté confirment la séparation souvent très nette entre les races en ce qui concerne les indicateurs et les problèmes sociaux.
« Les chiffres indiquent que près de la moitié des enfants scolarisés du comté n’ont qu’un parent, qui dispose probablement d’un revenu assez faible et est peu éduqué », dit Douglas Bachtel, sociologue et démographe à l’Université de Géorgie.
Préoccupée par cette situation, l’Assemblée spirituelle du sud du comté, qui représente les membres bahá’ís du comté (une centaine environ) a décidé au début des années 90 d’apporter son aide. « L’Assemblée a décidé que malgré la limitation de nos moyens et de nos effectifs, il fallait faire quelque chose pour les jeunes et pour l’ensemble du comté », dit Rosland Hurley, membre de l’Assemblée locale.
Dans le même temps, Mottahedeh Development Services (MDS), organisme sans but lucratif établi par la communauté bahá’íe des Etats-Unis pour promouvoir le développement social et économique dans le monde, a mis sur pied un programme de partenariat national pour les projets locaux aux Etats-Unis. Les deux groupes ont mis leurs moyens en commun et se sont portés acquéreurs d’une ancienne église baptiste avec ses cours de récréation et ses salles de classe. Ils ont aussi créé l’Institut pour l’unité de la famille qui travaille dans le Centre sous le parrainage conjoint de l’Assemblée et du MDS.
Le Centre et l’Institut essayent d’avoir une vue globale des problèmes de la société et de leurs causes. Pour les bahá’ís, le manque d’unité, l’intolérance et le matérialisme sont les causes profondes de la plupart des problèmes sociaux ; ils pensent que ces problèmes peuvent être résolus par la promotion de l’unité, de la tolérance et des valeurs morales.
Ainsi, les programmes de l’Institut n’ont cessé de se développer alors que les membres de la communauté bahá’íe mettaient leur temps et leurs talents à son service.
Le programme Star, par exemple, avait été lancé dans un autre quartier par M. et Mme Robinson. Or, les installations du Centre et l’infrastructure proposée par l’Institut constituaient un cadre idéal pour le projet, qui a reçu un appui fantastique pour son approche innovante et l’encouragement des jeunes afro-américains à s’accrocher à leurs études et à réussir. L’acronyme Star signifie en anglais « scolarité, travail d’équipe, ambition et respect ».
Dans la région, le fait de travailler à l’école n’est pas toujours encouragé par les camarades. En revanche, gagner un match de basket est valorisant. Le programme mise sur cette deuxième ambition et exige la participation des élèves aux séances de tutorat pour pouvoir rester dans l’équipe de basket STAR.
M. Robinson, juriste formé à l’Université de Stanford, explique que l’objectif du programme est surtout d’empêcher les jeunes de traîner dans les rues et de les faire participer à des activités positives. « Il est important d’occuper ces jeunes et de les garder à l’école », ajoute M. Robinson. « Statistiquement parlant, plus de 90 % des jeunes impliqués dans des affaires criminelles ne sont plus scolarisés. »
À l’heure actuelle, le programme touche une trentaine de jeunes de 9 à 15 ans. Les parents se disent ravis à double titre. « Mes garçons adorent le basket », dit Marie Bryant dont les deux fils participent au programme. « Ils se lèvent et se couchent avec un ballon dans les mains. Cela les motive à bien travailler en classe. Tous deux ont de meilleures notes. »
Umoja signifie unité
Un autre programme du Centre s’adresse aux plus âgés qui ont entre 16 et 25 ans, le basket restant leur motivation. Les questions traitées par les « Soldats de l’Umoja », sont un peu plus complexes et portent sur les problèmes des jeunes noirs d’Amérique : des tracasseries policières jusqu’à la consommation de drogues.
« Lorsque nous avons lancé le programme, nous voulions proposer aux jeunes quelque chose de positif, autre chose que le fait de simplement traîner dans les rues », dit Adrian Hooper âgé de 23 ans, l’un des fondateurs du programme. « Peu à peu, nous avons commencé à nous intéresser à la communauté africaine d’Amérique. »
Les Soldats de l’Umoja se réunissent tous les vendredis au Centre et 30 à 60 jeunes hommes viennent régulièrement à cette réunion. Après un ou deux matchs de basket, le groupe se met en cercle et parle des problèmes des uns et des autres.
« Umoja » signifie en Swahili « unité » et c’est dans le « cercle de l’unité », nom donné à la réunion, que le dialogue tourne autour des principes de la tolérance et du respect de soi.
« Le but des Soldats de l’Umoja est de permettre à nos frères américains d’Afrique de s’affirmer sur les plans psychologique, spirituel et physique afin d’arriver à l’autodétermination et à l’unité », dit Anthony Outler (22 ans), autre fondateur du groupe.
« Des idées fausses circulent sur ce que nous sommes. Par exemple, nous serions toujours ‘cool’, nous serions favorables à la violence, la drogue et l’alcool, ou nous traiterions les femmes de telle ou telle façon. »
M. Outler explique que les animateurs de la discussion proposent des solutions, invitent les garçons à penser par eux-mêmes et à reconnaître leur nature spirituelle. « Il ne suffit pas de prêcher en disant ‘Ne te drogue pas’, personne n’accepterait cela », dit M. Hopper. « En fait, nos discussions tournent plutôt autour de la recherche de la vérité avec une idée commune qui est de ne pas faire ce
que tout le monde fait. »
À l’heure actuelle, les autres programmes du Centre s’adressent surtout aux américains originaires d’Afrique.
Il y a des exceptions. L’Institut gère également un programme intitulé « Pour des familles multiculturelles en bonne santé », qui s’adresse à des familles asiatiques et hispaniques de la région et vient d’accueillir un nombre important de réfugiés et d’immigrants qui souvent maîtrisent mal l’anglais. Les cours sont dispensés après l’école aux enfants dont le mauvais anglais risque d’être un handicap pour leur scolarité.
Le programme offre également une éducation sanitaire et du travail afin de prévenir la violence dans les familles, de renforcer les liens familiaux et d’améliorer la condition des femmes.
« Nous avons constaté qu’à travers les interrogations informelles, un grand nombre de nouveaux immigrants sont en but à la violence familiale », dit Carole Miller, directrice des programmes du Mottahedeh Development Services. « La première méthode de prévention a consisté à encourager les jeunes et leurs familles à faire preuve de confiance, d’affection et de respect mutuels à travers l’éducation à la santé pour toute la famille. »
Dans un autre domaine, l’Institut a, par deux fois, parrainé des conférences interconfessionnelles qui visaient à rassembler les différents groupes ethniques et religieux du comté. Le Centre et l’Institut espèrent à l’avenir pouvoir s’adresser à l’ensemble de la communauté du comté.
« Beaucoup d’organisations s’occupent des problèmes des familles et des enfants, mais peu le font sous l’angle de l’unification des différents groupes », dit Mme Hurley, membre de l’Assemblée bahá’íe. « Nous considérons que cette communauté est une, sans distinction de groupes. Nous pensons pouvoir résoudre les difficultés sociales auxquelles nous sommes confrontées en unissant toutes nos forces. »
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